Renoncement au plan numérique ? Gestion des données personnelles renvoyée aux chefs d’établissement ? Des décisions sont en préparation… En juillet dernier, dans notre dernière chronique d’entrée dans la période de vacances scolaires nous avions posé un certain nombre de questions. A ce jour ces questions (et quelques autres), n’ont pas reçu de réponses officielles. Mais les multiples propos du ministre laissent entendre que l’on pourrait ne pas être bien loin de découvrir des prises de positions et éventuellement les décisions ou réglementations.
Des questions pour cette année…
Rappelons ce que nous écrivions en juillet 2017 : « Au moment de l’injonction à fermer les livres et les cahiers, les smartphones restent ouverts, les ordinateurs portables vont continuer d’offrir leurs services quotidiens. Et pendant ce temps de « grandes vacances » l’école va s’endormir tandis que les objets numériques vont poursuivre leur vie ordinaire. Voilà deux mondes qui se séparent sur des incompréhensions dont on n’a pas fini de connaître les conséquences : que se passera-t-il à la rentrée scolaire dans le domaine du numérique :
1 – Y aura-t-il une interdiction forte des smartphones dans les établissements (laquelle ? Lesquels ?)
2 – Ecartera-t-on le code des fondamentaux au prétexte qu’il faut d’abord savoir lire écrire compter avant de faire des programmes informatiques ?
3 – Le plan numérique de 2015 sera-t-il abandonné ou continué ?
4 – Les Environnements Numériques de Travail seront-ils encore portés par un ministère qui après avoir passé un accord avec Microsoft semble prêt à ouvrir ses portes à Google (qui est déjà bien présent dans le territoire comme en témoigne le recensement des établissements utilisateurs par Google Classroom) ?
5 – Les ressources et leur accès (Eduthèque Myriae et autres) vont-ils continuer leur développement ?
6 – Comment les collectivités territoriales vont réagir face à un nouveau pouvoir politique qui pour l’instant ne se prononce pas (encore ?) sur le numérique éducatif ? »
Et des réponses…
1 – A la première question la réponse est clairement oui. Il est fort probable qu’un texte réglementaire complémentaire de la loi en place va nous être imposé qui élargira l’interdiction d’utilisation du téléphone portable à tous les usages des smartphones.
2 – Le code est l’absent des propos du ministre en cette rentrée. Il est toutefois probable qu’il ne touchera pas à ces recommandations autour de l’apprentissage de l’informatique qui finalement n’ont que peu d’impact en réalité sur l’organisation et le coût et surtout qui satisfait les professionnels.
3 – Le plan numérique cher au précédent président a du plomb dans l’aile. Peut-être même au moment où cette chronique sera publiée, les décisions seront elles actées et le plan enterré…
4 – Les ENT apportent ce paradoxe : ils sont indispensables à un véritable contrôle des données personnelles et des usages scolaires et en même temps, en dehors des fonctions dites de « vie scolaire », ils sont contournés, de manière le plus souvent illégale, par de nombreux enseignants. On peut penser que dans une vision de contrôle et de sécurisation ils vont être confortés.
5 – Faut-il encore continuer à aller chercher les ressources pour tenter de les contenir (les structurer) alors que les éditeurs de toutes sortes font finalement leur travail à la satisfaction de nombreux acteurs de l’éducation en France. Les initiatives, parfois dispersées du ministère, pourraient subir un coup de frein.
6 – Les collectivités sont bien sûrs une fois de plus maltraitées, soumises aux atermoiements des pouvoirs centraux dont ils subissent les effets. Souvent considérées comme des vaches à lait, on leur « commande » de faire et de défaire (cf. les rythmes scolaires, ou le grand plan numérique). Il leur faut d’abord éponger ce qui a été engagé, et ce n’est déjà pas mal. Il est probable que certaines préféreront renoncer à suivre les injonctions nationales de toutes sortes et tenteront de calmer le jeu (et éventuellement de faire des économies).
Les données personnelles et les chefs d’établissement
La grande affaire de la rentrée est à coup sûr la question des données personnelles et leur protection, à l’école et ailleurs comme en témoigne le communiqué de presse du CNNUM (Communiqué du 19 septembre 2017 : Pourquoi l’accord « Privacy Shield » doit être renégocié ? ). Si l’Europe s’interroge, si le ministère français par la DNE comme par le ministre est en débat, il reste que l’on renvoie trop souvent la responsabilité (en particulier juridique) au chef d’établissement ou plus largement à l’établissement. L’autonomie de l’établissement proposée et souhaitée ne doit pas être en contradiction avec la responsabilité politique et juridique du pouvoir central. Celui-ci à le devoir de protéger les citoyens mais aussi ses fonctionnaires. S’il protège les premiers en chargeant les seconds, il risque fort le mécontentement. Le pouvoir central doit fournir un « cadre vivable » à l’autonomie. Les débats récents, retransmis dans plusieurs organes de presse, montrent que sur ce point le pouvoir central n’est pas vraiment au clair ni sur ses choix, ni même sur les conséquences humaines, commerciales et juridiques de ceux-ci.
Renoncement probable au plan numérique
L’autre grande affaire va être le renoncement probable au plan numérique et plus généralement à une politique qui impose au local des dépenses décidées au national. Mais un ministre qui fait quand même preuve de jacobinisme quoiqu’on en dise, résistera-t-il longtemps à l’envie d’imposer ? Certes avec la réforme du temps scolaire il a montré qu’il ne voulait pas agir ainsi, mais on sait aussi que c’est d’abord une opération de déminage politique et qu’elle est faite à minima. Sur le plan numérique, c’est aussi, comme il l’indique à propos du téléphone portable, une volonté politique qui tente de s’affirmer : le ministre doit être le premier éducateur de la nation au travers de ses décisions. Non seulement dans l’école, mais bien au-delà, auprès des familles, il entend donner le cap (cf. les écrans). Si sa prédécesseur rappelait la transcendance de l’état républicain, l’actuel ministre veut proposer un état éducateur, formateur. On est passé du républicanisme des intentions politiques au républicanisme des contraintes philosophiques, peut-être.
Le marché donne le « la »
Enfin il y a les éditeurs et le marché des edtechs (ces entreprises qui veulent mettre le pied dans les technologies éducatives, à l’école entre autres). Le soutien du pouvoir est fort envers eux, comme l’indique la réorientation d’actions de la caisse des Dépôts et Consignation (cf. les tweets et propos publics de Nicolas Turcat lors de Ludovia 14). La libéralisation d’une économie et de systèmes très rigides comme l’éducation est un pari osé, risqué. On le sent poindre dans les propos entendus ici ou là. Il se trouve que le marché a réussi à imposer les objets numériques et leurs effets éducatifs sur l’ensemble de la population. Le système éducatif, alors qu’on lui proposait dès le début des années 2000 de tenir son rôle avec le modeste B2i, à balayé d’un revers de manche les arguments de ses promoteurs, les accusant même parfois de collusion avec le marché. Alors que c’était une tentative pour tenir la tête de l’école hors de l’eau numérisée, les acteurs de l’éducation et leurs ministres successifs ont fait fausse route (et sans tousser, pourtant). Aujourd’hui, les familles et le marché donnent le la, et le ministre déplace la cible, espérant ainsi retrouver une honorabilité éducative très inspirée par des idées issues entre autres du modèle des jésuites, chers au président Macron. Le terme discernement et d’autres propos nous laissent ainsi voir une ligne de pensée qui méritera d’être éprouvée dans les années qui viennent.
Fin de cycle
Quel est donc l’avenir de la question du numérique en éducation ? Nous sommes arrivés au bout d’un cycle volontariste (1997- 2017). N’ayant pas réussi à trouver une véritable place dans le projet éducatif du système scolaire français, il est probable que ces questions seront mises de côté, en sommeil ou mieux en veille passive. Si dans l’enseignement supérieur les enjeux de mondialisation de la formation obligent à repenser les institutions, dans l’enseignement scolaire ce sont les enjeux structurants de notre société qui semblent guider les pas des décideurs en ce moment. Or la vision actuelle est plutôt celle du sanctuaire que celle de l’agora.
Bruno Devauchelle