On peut penser ce qu’on veut des contrats aidés – qu’ils entretiennent la précarité, qu’ils n’aident pas à l’insertion… -, en supprimer des milliers du jour au lendemain comme cela s’est fait à la rentrée, parfois sans même prévenir les premiers concernés, ça n’est pas humain. Quatre témoignages pour illustrer la brutalité de la mesure et son impact dans les écoles.
Medias
Katia Philippe est directrice d’une maternelle de trois classes à Puget-Théniers, commune de moyenne montagne de 2 000 habitants située entre Nice et Digne, dans les Alpes-Maritimes.
Jusqu’ici elle avait une EVS deux jours par semaine. Elle la partageait avec la directrice d’une école de montagne située à quarante kilomètres de là. Son contrat devait être renouvelé fin août. Il ne l’a pas été.
» Je n’ai même pas été avertie, souligne Katia Philippe qui est membre du Snuipp. C’est dans la presse que j’ai appris que 23 000 contrats aidés étaient supprimés dans l’éducation. Comme personne ne m’avait rien dit, j’ai envoyé un mail à une conseillère pédagogique que je connais. J’ai alors compris que mon EVS ne reviendrait pas.
J’étais très contente de mon EVS, comme l’autre directrice. Elle faisait l’ouverture du portail, l’accueil des retardaires, des courriers que je préparais… Elle répondait au téléphone et prenait le messages pendant que j’étais dans ma classe, ouvrait aux parents venant chercher leur enfant pour l’orthophonie par exemple, etc.
Je suis peinée que son contrat soit supprimé. Je regrette aussi pour le poste qu’elle occupait, très utile.
J’enseigne dans une classe » de cycle » – qui va de la petite à la grande section de maternelle, le cycle 1. Et j’ai un jour de décharge par mois en tout et pour tout. Seule, lorsque je dois répondre au téléphone, il faut que je laisse ma classe. Or il faut répondre car souvent, ce sont des parents qui préviennent qu’ils seront en retard par exemple…
J’attends maintenant la suite avec mon syndicat. S’il y en a, je participerai aux actions. »
Cinq ans
Karine Parent, 32 ans, devait commencer un contrat aidé dans une école de Liévin (Pas-de-Calais), sa ville. Elle devait assister la directrice, c’est-à-dire assumer un emploi d’EVS (employée de vie scolaire). Vingt-quatre heures par semaine pour 687 euros mensuels, elle allait répondre au téléphone, envoyer des courriers, trier des mails… Au lieu de cela, elle est partie s’inscrire à Pôle emploi. Elle raconte :
» En juin, j’avais rencontré la directrice avec qui j’allais travailler commence Karine Parent. Elle m’avait dit qu’elle comptait sur moi. J’avais rempli le dossier, je l’avais renvoyé. J’attendais qu’on me fasse signe fin août-début septembre pour me dire de venir signer le contrat.
C’est en emmenant mes filles – de 7 ans et de 3 ans – à l’école à la rentrée que j’ai appris pour les contrats aidés. L’institutrice de la plus grande, qui est syndiquée, m’a dit : » Mais vous ne savez pas, madame Parent, ils ont supprimé tous les emplois aidés ! «
J’ai téléphoné à la directrice. Elle m’a dit qu’elle avait reçu un mail mais qu’elle attendait d’en savoir plus. Aujourd’hui, je suis venue au syndicat pour avoir des nouvelles. Je crois qu’il n’y a plus rien à attendre.
J’avais tout préparé. J’avais inscrit mes filles à la cantine et à la garderie. Je me voyais partie pour cinq ans. En effet, comme j’ai un dossier MDPH (maison départementale des personnes handicapées), j’ai droit à cinq ans en contrat aidé – contre deux ans maximum habituellement.
Ce que je vais faire maintenant ? Je pars m’inscrire à Pôle emploi – je sors d’un congé parental. Je ne peux plus travailler dans le commerce comme avant. Il va falloir que je me réoriente. «
Kleenex
Pascal Bécu est le représentant du SE-Unsa dans le Pas-de-Calais, département où son syndicat est majoritaire. Le jour où nous nous sommes parlés au téléphone, il recevait Karine Parent dans son bureau. Il était révolté par la désinvolture avec laquelle ces personnes en contrat aidé sont traitées : » Si je suis syndicaliste, c’est parce que je défends des valeurs humanistes mais elles sont foulées au pied. On jette ces personnes comme de vulgaires kleenex ! »
Le Pas-de-Calais est particulièrement touché : 900 suppressions de contrats aidés dans l’aide aux directions d’école d’ici la fin 2017, c’est-à-dire la totalité. Le département compte plus de 1200 écoles. Toutes celles ayant 4 classes et plus disposaient jusqu’ici d’une EVS. Le seuil était abaissé à 3 classes pour les écoles en REP + (les réseaux d’éducation prioritaire renforcés).
» Nous sommes un département pauvre, avec beaucoup de petites écoles, souligne Pascal Bécu, ceci explique pourquoi on avait tant de contrats aidés – 850 à 900.
» Les contrats qui devaient débuter septembre n’ont pas été signés, poursuit-il, et tous ceux qui arrivaient à terme n’ont pas été renouvelés.
Des directrices ont dû parfois l’annoncer elles-mêmes aux personnes concernées. On en a vu s’effondrer dans la cour de récréation, devant les enfants. »
Bienveillance
» Les conséquences ?, s’interroge Pascal Bécu, les directeurs d’école ont tout à la fois un rôle pédagogique, relationnel, social, administratif, sanitaire, etc. Sans aide, ils ne vont pas pouvoir tout faire.
Nous leur avons demandé de privilégier les enfants, l’équipe pédagogique et la communauté éducative avec les parents. Les tâches administratives, qu’ils les fassent quand ils peuvent ! Nous appelons aussi à manifester le 27 septembre devant l’Inspection académique et devant la Préfecture.
Par ailleurs, que vont devenir ces personnes qui, auparavant, étaient au chômage ou sont en situation de handicap ? Dans un département comme le nôtre, ces 650 euros par mois, cela représente quelque chose pour pas mal de gens.
Depuis le début, nous demandons que ces emplois soient pérennisés : ce sont de vrais emplois. Et nous continuons à le réclamer. Où est l’école de la bienveillance promise par le ministre Jean Michel Blanquer ? «
Merci
A Beauvais, dans l’Oise, Pierre Ripart, secrétaire départemental du Snuipp, le principal syndicat du primaire, tempête lui aussi. » Nous ne sommes pas pour la pérennisation des emplois précaires, précise-t-il, mais on ne jette pas des gens commme ça alors même que ces personnes sont fragiles. Un traitement inadmissible. »
Pierre Ripart vient de lire le courrier qu’une EVS a reçue de l’académie : » On lui annonce que son contrat ne sera pas renouvelé au 19 septembre. Et c’est tout. Pas un merci, rien, alors que ces personnes s’investissent. »
Au niveau de l’académie d’Amiens, sur les 624 contrats aidés au total, il a été annoncé que 321 étaient maintenus au 1er septembre. A peine la moitié.
Pour faire le bilan, Pierre Ripart attend les chiffres précis sur les aides aux directions d’école – les premièrs visées par les coupes, les contrats aidés pour accompagner les enfants en situation de handicap étant, eux, préservés.
» Pour mesurer l’impact dans les écoles, poursuit le syndicaliste, il faut ajouter tous les contrats aidés supprimés dans le périscolaire : dans les cantines, dans les transports et aussi dans les petites classes, en grande section de maternelle ou en CP où des Atsem (employées municipales aidant les enseignants) ne sont pas prévus mais où les communes mettaient parfois des contrats aidés. «
Véronique Soulé
Sur les contrats aidés et les tensions suscités par leurs suppressions