Cher collègue,
Dans votre contribution intitulée « La formation des maitres : l’histoire d’un renoncement » publiée dans le numéro de Marianne de la semaine du 15 au 21 septembre, vous dressez un portrait à charge de la formation des enseignants tout au long des trente dernières années.
Ainsi, vous prétendez que « la formation des enseignants du primaire est confiée à des universitaires peu au fait des réalités de l’enseignement dans les petites classes » et que « furent ainsi négligées à la fois la nécessaire maitrise des contenus disciplinaires et la transmission de pratiques professionnelles ». Avec un sens de la nuance que le lecteur saura apprécier, vous affirmez que « des étudiants, dotés d’un bac de complaisance, sont donc aujourd’hui formés par des universitaires qui ignorent eux-mêmes tout de l’enseignement en maternelle et primaire ». Pourquoi un tel mépris arrogant envers les formateurs, les enseignants, les étudiants et les lycéens ?
Vous semblez l’ignorer, la plupart des formateurs d’enseignants sont en contact étroit et permanent avec le terrain scolaire : ils effectuent des visites-conseils dans les classes des professeurs stagiaires et participent au tutorat de ces jeunes enseignants, en collaboration étroite avec les Maîtres-formateurs ou les tuteurs. De plus, ils mènent des recherches sur le terrain scolaire, notamment dans les didactiques des disciplines scolaires. Pour qui suit l’actualité scientifique, il est aisé de constater l’ampleur, la qualité de ces travaux de recherche et leur reconnaissance internationale en consultant les banques de données scientifiques. Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a d’ailleurs recensé les recherches effectuées par les chercheurs formateurs en ESPE et tient leur recueil à disposition de ceux qui s’y intéressent. Les ressources que le Ministère de l’Education Nationale élabore au sein de la DGESCO à l’intention des enseignants pour leur formation et leur accompagnement doivent beaucoup à ces travaux, qui s’appuient sur une connaissance fine et actualisée de l’école, notamment de l’école maternelle dont on connait l’importance pour la réussite future des élèves de milieux culturellement peu favorisés et qui, à juste titre, vous tient particulièrement à cœur.
Vous dites que « les graves insuffisances de la formation initiale et continue posent de plus en plus cruellement la question du professionnalisme des enseignants et dévaluent l’image du maitre d’école auprès des parents et des élèves ». A vous lire, on pourrait croire que cette situation relève des choix des formateurs eux-mêmes. Mais c’est vous, Monsieur Bentolila, qui, en entretenant des rumeurs sans aucun fondement et contraires à la réalité du terrain, contribuez à fragiliser la position des enseignants débutants. Il est vrai que, depuis les Ecoles Normales, la complexité du métier d’enseignant exige des compétences professionnelles de plus en plus importantes et que les institutions de formation, même si elles font du mieux qu’elles peuvent, manquent de temps pour les construire.
Il est cependant deux points sur lesquels je suis d’accord avec vous.
De la qualité de la formation des enseignants dépend notre avenir le plus précieux, la formation intellectuelle et morale de nos enfants, les futurs citoyens. Cet enjeu est suffisamment important pour légitimer aussi une revalorisation financière de la carrière des enseignants français, qui sont actuellement parmi les plus mal payés d’Europe. La considération que l’on accorde à un travail se mesure aussi à la rémunération que la société accorde à ce métier. Nul doute que, par son caractère vitriolé et les amalgames qu’il opère, votre article entretienne la défiance et favorise le discrédit à l’égard de la profession enseignante, et tout particulièrement des enseignants débutants.
Je suis également d’accord avec vous lorsque vous indiquez que « des Masters les plus divers permirent d’accéder à un concours d’enseignants de plus en plus dévalué ». Il est en effet surprenant qu’un étudiant puisse passer un concours de recrutement d’enseignants sans avoir effectué le moindre stage dans un établissement scolaire, d’autant plus que, dès le jour de la rentrée, on va lui confier une classe en pleine responsabilité. Tandis que les étudiants de l’ESPE bénéficient de plusieurs semaines de stage en première année de Master, faisant suite souvent à des modules de préprofessionnalisation vers les métiers de l’enseignement en Licence, les nombreux candidats libres se limitent à une préparation livresque.
Cette disposition aboutit à des situations scandaleuses. Ainsi de cette lauréate du Concours de Recrutement de Professeur des écoles n’ayant pas été inscrite en première année de Master à l’ESPE qui, à la rentrée 2017, se retrouve en responsabilité d’une classe de CP/CE1, alors qu’elle n’a jamais fait de stage dans une école. Malgré tous ses efforts et ceux des formateurs qui l’accompagnent, elle ne peut que rencontrer des difficultés. Ne parlons pas des conditions dans lesquelles se trouvent de ce fait placés ses élèves, à un moment crucial pour les apprentissages de l’écrit, qui conditionne leur futur. Ferait-on de même pour une infirmière ou un ingénieur ? Peut-on en quelques mois former à un métier aussi difficile, quels que soient la volonté et l’engagement des jeunes enseignants et de leurs formateurs ?
Vous ne parlez pas des vrais problèmes que vous n’auriez pas manqué d’identifier si vous aviez pris la peine de vous informer sur ce dossier.
Vous ne parlez pas des stagiaires épuisés, tiraillés entre les exigences de leur classe en responsabilité, qui les contraint parfois à de longs et fatigants déplacements, et les multiples tâches à réaliser en formation. En effet, la formation des enseignants débutants s’effectue actuellement en alternance pendant la durée d’une année scolaire : la moitié de la semaine, les enseignants débutants sont en poste dans un établissement scolaire, dans lequel ils assument toutes les responsabilités d’un enseignant, l’autre moitié de la semaine, ils suivent des enseignements à l’ESPE, afin d’acquérir les connaissances disciplinaires, didactiques et pédagogiques dont ils ont besoin et rédigent un mémoire d’initiation à la recherche. Les jours, les nuits et les vacances scolaires sont à peine suffisants pour que l’ensemble de ces tâches soient remplies. Souvent au détriment de leur santé et de leur vie familiale, avec le soutien de leurs formateurs, les stagiaires parviennent tout de même, mais à quel prix !, à terminer cette année de stage. Les congés de maladie, abandons et démissions attestent de leur souffrance professionnelle au moment de l’entrée dans le métier.
Vous ne parlez pas de la place du concours, au milieu du Master, qui empêche le déploiement de la formation professionnelle en conduisant les étudiants à devoir choisir entre préparer un concours ou se préparer au métier d’enseignant. Certes les concours évaluent quelques compétences professionnelles déclarées mais ils sont essentiellement encore centrés sur la vérification de la maitrise des contenus disciplinaires. L’entrée dans la vie professionnelle suppose un repositionnement de ces connaissances et la construction de nouvelles compétences professionnelles. Les Professeurs des Ecoles étant polyvalents, la trop courte durée de la formation initiale actuelle ne permet pas de les doter des compétences professionnelles de base dans toutes les disciplines qu’ils auront à enseigner. Il faudrait, pour cela, que la formation professionnelle se réalise sur plusieurs années, avec des allègements de service en début de carrière.
Vous ne parlez pas des groupes de formation à effectifs très chargés parce que, à moyens constants, l’ESPE doit former chaque année environ trente pour cent de plus de stagiaires que l’année précédente.
Vous ne parlez pas de la formation continue sinistrée, contrainte d’économiser et de jongler avec de tout petits horaires. Pour des raisons budgétaires, terminés les stages de trois semaines en plusieurs sessions, permettant d’accompagner des changements dans les pratiques professionnelles ! Ils sont remplacés par des conférences promouvant tel ou tel matériel d’enseignement ou par des modules de formation à distance, qui demanderaient à être complétés par des échanges de pratiques entre enseignants.
Vous avez une haute idée de l’école et de ses missions. Nous aussi. Je suis fière de travailler au sein d’une ESPE et autour de moi, je ne vois ni « des agrégés déçus » ni « des universitaires de seconde main » mais au contraire des formateurs engagés, rigoureux et bienveillants, soucieux de la maitrise des contenus et attentifs aux modalités d’apprentissage, alimentant leurs enseignements par des travaux de recherche orientés par la volonté de mettre en position de réussite tous les élèves, notamment ceux de milieux défavorisés, et de trouver des solutions au décrochage scolaire.
La publication dans Marianne d’une contribution aussi peu informée que la vôtre et aussi éloignée des qualités attendues d’une posture universitaire soucieuse de vérifier ses sources a au moins contribué à ouvrir le débat sur la formation des enseignants. Soyez-en remercié.
Claudine Garcia-Debanc
Ancienne élève de l’ENS
Professeure des universités 1° classe en Sciences du langage à l’ESPE Midi-Pyrénées, Ecole interne de l’Université Toulouse –Jean Jaurès
Coresponsable de l’axe DIDAPS (Didactique, Acquisition, Psycholinguistique) du laboratoire CLLE, UMR 5263, CNRS & UT2J
Responsable du thème 1 (didactiques des disciplines scolaires et travail des enseignants) de la Structure Fédérative de Recherche Apprentissage Enseignement Formation de l’ESPE Midi-Pyrénées
Membre du Conseil National des Universités 7° section (Sciences du langage)
Membre du Conseil d’Administration de l’AIRDF (Association Internationale de Recherche en Didactique du Français)