En titrant le 24 mars « Les profs français, les plus méprisés du monde ? », nous ne croyions pas avoir une confirmation aussi rapide. Elle est arrivée très vite. Avec les propos de Sibeth Ndiaye, lors du compte-rendu du conseil des ministres le 25 mars, parlant des enseignants qui « aujourd’hui ne travaillent pas compte tenu de la fermeture des écoles ». Mais aussi avec des gestes concrets comme le refus de masques pour les enseignants accueillant des enfants de soignants. Parce qu’au sommet de l’État, les petites phrases et les stéréotypes sur les enseignants ont des conséquences sur la vie des enseignants…
Les enseignants qui ne travaillent pas…
« Il va sans dire que nous n’entendons pas demander à un enseignant qui, aujourd’hui, ne travaille pas, compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser la France entière pour aller récolter des fraises gariguette ». Les propos de Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, devant les caméras, lors du compte rendu du Conseil des ministres du 25 mars, ont fait mal.
Contrairement à ce que pense la ministre, les enseignants travaillent beaucoup et particulièrement en ce moment. Toute la « continuité pédagogique » ne repose que sur leur engagement personnel. Le ministère n’ayant pas anticipé la fermeture des écoles, les enseignants doivent maitriser des outils qu’ils ne connaissaient souvent pas il y a une semaine pour garder le contact avec leurs élèves. Outils qui sont rarement officiels. Ils réinventent leurs cours en les adaptant à la situation dans l’urgence et pour tous leurs niveaux. Beaucoup disent travailler plus longtemps qu’avant la fermeture. Enfin beaucoup se plaignent aussi d’avoir davantage leur hiérarchie sur le dos. Et ils assurent cette continuité avec leur matériel et leur forfait Internet personnel.
Des réactions
Alors les propos de Sibeth Ndiaye ont enflammé les réseaux sociaux. « Je suis professeure en collège . Je suis debout dès 6h30. Je travaille toute la journée (cours à mettre en ligne dés 8h, copies numériques, des dizaines de messages d’élèves, de parents ..). Donc svp ne dites pas aux Français que les professeurs ne travaillent pas », écrit par exemple une enseignante sur Twitter. « Je passe mes journées sur écran, à suivre mes élèves autant que possible. Nous aidons les familles, nous mettons en place des outils sans aide aucune de l’institution, uniquement avec notre bonne volonté. Nous passons des heures à trouver des solutions pour pallier les déficiences du système. Ces propos sont insultants ! », nous écrit une autre enseignante. Les syndicats ont réagi aussi : le Se Unsa, le Snes, le Snalc dénoncent ces propos sur Twitter.
Quelques heures plus tard, Sibeth Ndiaye réagit. « Nous savons tous l’engagement des professeurs pour assurer la continuité pédagogique, donc pas de polémiques inutiles ! », écrit-elle sur Twitter de façon encore bien maladroite. « Mea culpa. Mon exemple n’était vraiment pas le bon. Je suis la première à mesurer combien l’engagement quotidien des professeurs est exceptionnel », finit-elle par dire. Et JM Blanquer vole à son secours, écrivant : « Les Professeurs de France font un travail extraordinaire, ne comptant ni leur temps ni leur énergie, pour suivre tous nos élèves en ces circonstances exceptionnelles. »
Le problème c’est que le mal est fait. Les propos de Sibeth Ndiaye ont été très largement diffusés par les télévisions. De façon beaucoup plus large que son tweet. Ils alimentent le stéréotype du professeur toujours en vacances.
Des mots aux maux
Car ces propos si bêtes ne sont pas des mots en l’air. Ils reflètent un mépris des enseignants qui semble bien installé au sommet de l’État. On en trouve la trace dans la façon dont le ministre promène les enseignants et leurs représentants depuis des mois à propos de la revalorisation.
Très concrètement, l’enquête Talis de l’OCDE, publiée le 24 mars, nous dit que les enseignants français estiment être les moins considérés dans la société. Talis montre aussi qu’ils sont les enseignants les moins écoutés du monde par leur institution. Ils sont les moins associés à la gestion de leur établissement. Et les moins consultés sur la politique éducative du pays. Pour l’institution scolaire, leur avis sur la gestion des établissements ou de l’éducation est sans valeur.
La crise sanitaire révèle d’une façon plus visible le mépris pour les enseignants. C’est lui qui rend possible qu’on leur fasse prendre des risques actuellement dans les écoles encore ouvertes en les laissant accueillir des enfants sans aucune protection. Une situation validée par le ministre lui-même qui affirme que les masques « sont inutiles ». Au final, comme à Pannes, les mots rendent malade.
François Jarraud