Si les professeurs français sont parmi ceux qui se sentent les moins estimés parmi les pays de l’OCDE cela a peut-être à voir aussi avec la façon dont leur propre institution les traite. C’est la leçon qu’on peut retenir de la publication par l’OCDE d’un nouveau volume de Talis, une enquête touchant 260 000 professeurs de 48 pays. En 2013 l’OCDE estimait qu’il y avait urgence à valoriser les enseignants français. En 2018, Talis démontre que les enseignants français ne sont pas seulement isolés, sous payés mais aussi méprisés par leur institution.
Les profs les moins bien considérés au monde ?
Que les professeurs français aiment leur métier, ne surprendra personne. Les enquêtes nationales, par exemple le Baromètre Unsa, le montrent tous les ans. Talis le confirme en montrant que les enseignants français sont parmi ceux qui ont les plus grandes attentes pour leurs élèves. 85% des enseignants français s’estiment satisfaits de leur travail (OCDE 90%). 97% des professeurs français croient dans le succès de leurs élèves, contre 80% en moyenne dans l’OCDE. Sur ce terrain là nous sommes au 4ème rang sur les 48 pays ou territoires participant à Talis, une enquête de l’OCDE qui a lieu tous les 5 ans. L’OCDE vient juste de publier le second volume de résultats pour Talis 2018.
Cette vigueur des enseignants français contraste avec leur sentiment de ne pas être reconnus par la société française. Là aussi la France se distingue mais en queue de peloton. Il n’y a que trois pays où les professeurs se sentent moins bien considérés : la Slovaquie, la Slovénie et la partie francophone de la Belgique. Seulement 7% des professeurs français estiment que leur profession est appréciée dans la société contre 27% en moyenne dans les pays de l’OCDE (92% au Viet Nam, 72% à Singapour, 59% en Finlande). Alors que ce taux augmente dans la moitié des pays (Estonie, Chine par exemple) en France il stagne depuis 2013. Les enseignants français sont nettement moins nombreux que leurs pairs dans l’OCDE à acquiescer à la proposition selon laquelle « les avantages du métier d’enseignant compensent largement ses inconvénients » (55 % en France contre 76 % dans les pays de l’OCDE).
Comme le note l’OCDE, « si les enseignants en France tendent à être plus satisfaits des termes de leur contrat de travail (80 % pour la France, 66 % pour la moyenne de l’OCDE), ce n’est pas le cas pour leur rémunération. En effet, seuls 29 % d’entre eux rapportent être satisfaits de leur salaire, soit un niveau inférieur de 10 points de pourcentage à la moyenne de l’OCDE (39 %) ». Parce que l’OCDE démontre qu’il y a bien un lien entre la paye et le sentiment de satisfaction. Ca tombe sous le sens, mais il n’est pas inutile en France de le rappeler. L’OCDE montre aussi que le sentiment d’être déclassé est plus important en France chez les enseignants expérimentés que chez les débutants. Un point important alors que le ministère ne parlait, avant la catastrophe sanitaire et économique, de revalorisation que pour les débutants.
L’OCDE note aussi que « les chefs d’établissement sont globalement plus satisfaits que les enseignants : 45 % des chefs d’établissement en France sont satisfaits de leur salaire (contre 29 % pour les enseignants).
Des profs méprisés par leur institution
Comment des professionnels non reconnus par leur propre employeur pourraient-ils l’être dans la société ? Le problème des enseignants français tient dans cette question.
La grande particularité du système français c’est d’avoir totalement marginalisé dans leur institution les enseignants. Ce que montre Talis c’est que les professeurs français sont les moins écoutés du monde. Eux le savent. Talis le démontre. La France fait partie des pays où les enseignants sont le moins associé au management de l’établissement d’après la déclaration des chefs d’établissement. Seulement 22% de ceux-ci déclarent qu’ils y sont associés contre 50% dans l’OCDE et 85% en Finlande. Quand on demande aux principaux si les enseignants sont consultés sur le curriculum ou la politique scolaire, seulement 13% répondent favorablement en France contre 42% en moyenne dans l’OCDE, 90% en Italie, 60% aux Pays Bas. La France est au 40ème rang sur 48. Seulement 8% des enseignants estiment que les décideurs du système éducatif tiennent compte de leur avis en France contre 13% dans l’OCDE, 23% en Finlande. Cela nous place au 39ème rang.
On sait , notamment par le Baromètre Unsa, qu’ily a une vraie coupure entre ,les enseignants et leur hiérarchie en France. Talis montre une particularité française. Les enseignants français sont, avec les Belges, ceux qui estiment que leur évaluation est la moins utile de tous les pays de l’OCDE. C’est particulièrement net pour les enseignants expérimentés, alors que les taux sont généralement identiques entre expérimentés et novices.
Des enseignants isolés
Talis confirme aussi le relatif isolement des enseignants français. Le phénomène est connu depuis Talis 2009. Même si l’OCDE souligne l’effort fait en France en 2015 pour dégager du temps de travail d’équipe en Rep+, les enseignants français sont avant derniers (devant le Chili) quand il est question de collégialité et de support mutuel. Ils sont parmi ceux qui collaborent le moins avec leurs collègues. « En France, seuls 3 % des enseignants déclarent participer à des activités de formation professionnelle en groupe au moins une fois par mois (31 % pour la moyenne de l’OCDE) et 15 % déclarent enseigner à plusieurs en classe aussi fréquemment (28 % pour la moyenne de l’OCDE) », note l’OCDE. Moins de 20% déclarent enseigner en équipe alors que ce taux c’est le cas de 35% des enseignants en moyenne dans l’OCDE. Talis montre aussi que relativement peu de chefs d’établissement en France encouragent la coopération entre enseignants et de moins en moins par rapport à 2013 (60% en 2013 et 57% en 2018)
Les enseignants français connaissent moins le stress que leurs collègues étrangers mais en identifient mieux les raisons. « En France, 11 % des enseignants rapportent être « beaucoup » sujets au stress dans leur travail, ce qui est inférieur à la moyenne de l’OCDE (18 %) », rapporte l’OCDE. « Cependant, les enseignants en France sont plus nombreux que leurs pairs de l’OCDE à identifier plusieurs facteurs de stress. Les trois sources de stress les plus fréquemment citées par les enseignants de collège sont « respecter les nouvelles exigences des autorités nationales, académiques ou locales » (pour 65 % d’entre eux), « avoir trop de devoirs à corriger » (pour 64 % d’entre eux) et « avoir trop de travail administratif à faire » (pour 60 % d’entre eux) ».
Pourquoi un faible taux d’attrition ?
Le paradoxe c’est que les enseignants pensent moins quitter leur métier que dans les autres pays, même si ce taux est en hausse. 18 % des enseignants rapportent qu’ils souhaiteraient quitter l’enseignement dans les cinq prochaines années contre 25 % pour la moyenne de l’OCDE. On touche là à la nature même du métier. Dans les pays qui ont appliqué pleinement le Nouveau management public, la nature du métier a changé pour devenir un métier d’exécutant plus ou moins temporaire. En France le taux de titulaires de leur poste reste élevé. Le métier est encore perçu chez beaucoup comme un métier à vie et une fonction sociale et non comme un job. Ce sont ces conceptions qui pourraient sauter avec le « nouveau métier enseignant » et « le management de proximité ».
François Jarraud