Alors que les écoles resteront portes closes lundi, les parents s’organisent comme ils peuvent. Même si beaucoup s’attendaient à une fermeture de l’école de leur enfant, l’annonce du président jeudi soir les a pris de court. « Nous savions que cela nous pendait au nez, mais le ministre de l’Éducation Nationale semblait tellement sûr de lui lorsqu’il annonçait le contraire… » explique l’un d’entre eux dépité. Thomas, Dyna, Soraya, Mélinda ou encore Francklyn et Anissa sont tous parents d’enfants scolarisés en primaire. Pour eux, comme pour bon nombre de Français, la situation est anxiogène. Comment l’expliquer à leur enfant ? Comment assurer la « continuité pédagogique » tant prônée par la rue de Grenelle ? Car, quoique l’on en dise, quoique les enseignants mettent en place, c’est bien sur leurs épaules que pèsent cette continuité de la scolarité de leurs enfants, une continuité qui semble prendre des formes bien disparates.
Dyna est maman de deux petites filles de trois et cinq ans scolarisées en PS et GS à Courbevoie. « C’est avec effroi que j’ai entendu l’annonce du président. On savait que ça nous pendait au nez mais je pensais qu’on avait encore un peu de temps, là c’était un peu du jour au lendemain. On va s’adapter, on n’a pas vraiment le choix. La situation est quand même très exceptionnelle ». Dyna est commerciale, son conjoint aussi, ils vont pouvoir tout deux être en télétravail, une pratique dont ils sont assez coutumiers. Mais pourtant, c’est avec angoisse que cette jeune maman appréhende les semaines à venir, « la cohabitation ne va pas être évidente, les filles ont besoin de se dépenser ». Vendredi, les enfants sont rentrés de l’école avec des activités, des crayons de couleur, de la colle et une petite fiche explicative indiquant des pistes pour accompagner au mieux son enfant. « Mais ça va quand même être très compliqué de travailler et de gérer les enfants, surtout si on doit les accompagner dans leurs apprentissages ». Par contre rien concernant le numérique. « Je suis allée jeter un œil sur le site du CNED, mais comme l’école n’a pas créé de classe, j’y ai pas accès ». Dyna reconnaît qu’elle fait quand même partie des privilégiés qui pourront accompagner leurs enfants sur un support numérique si cela devait se mettre en place, « on est cadres sup, on est à l’aise avec l’outil. Nous avons plusieurs ordinateurs, nos filles pourront avoir un espace de travail dédié. On sait qu’on a de la chance ».
Infirmière, Mélinda préfère que sa fille n’aille pas à l’école
Mélinda est étudiante infirmière, son mari travaille à l’étranger. Seule avec sa fille, « c’est panique à bord » explique-t-elle. En stage en clinique elle va devoir trouver une solution de garde pour sa fille de quatre ans. « Je n’ai pas le budget pour la laisser chez la nounou, qui me coûte 10,80 euros de l’heure ». Alors elle a essayé, dans un premier temps, de compter sur la solidarité en sollicitant son entourage mais elle habite l’Oise, à Beauvais, ce qui a limité les volontaires. Du côté école, aucune information. La directrice lui aurait expliqué qu’il n’y avait pas de mise en place d’accueil des enfants du milieu médical pour l’instant. Une réponse qui l’a quelque peu étonnée mais « de toutes façons, j’ai décidé de garder ma fille pour l’instant et de me mettre en arrêt. Je ne veux pas qu’elle soit à l’école alors que tous les autres enfants seront chez eux. Si cela dure, ce sera ma mère même si je sais que ce n’est pas sage » explique-t-elle. Côté pédagogique, les seules pistes données par l’école, c’est « Ma classe à la maison », et là peu de choses pour les moyennes sections, comme sa fille. Mélinda adaptera des contenus de GS au niveau de sa fille, « pour qu’elle ne perde pas le fil… »
Et les enfants de la protection de l’enfance ?
Francklyn et Anissa ont trois enfants, dont deux en âge d’être scolarisés, l’un en CE1 et l’autre en PS. Lui est chef de projet-analyste, sa femme est directrice d’une structure de la protection de l’enfance. Dans ce couple, c’est papa qui restera à la maison. « La classe a la maison ce n’est pas simple. On n’a pas été préparés en amont, c’est dommage. Les parents doivent avoir les outils, des ordinateurs, des imprimantes, avoir internet et être pédagogues. Ici (ndlr : à Ezanville, 95) ça va, on est plutôt privilégiés mais comment ça va se passer ailleurs, ça m’inquiète ». Leur ainé est rentré vendredi soir avec un petit livret imprimé. « Il y a un blog, mais on nous a donné aucune consigne », pour ce papa, la consigne de l’école c’est donc faites comme vous pouvez. Anissa, la maman, ne sera que peu à la maison pendant cette période de crise. « Dans les structures que je dirige, seulement trois enfants sur quarante-trois peuvent bénéficier d’un accueil familial. Donc tous ces enfants seront livrés à eux-mêmes, si mes collaborateurs et moi n’allons pas travailler ». Cette maman, c’est plus à « ses jeunes » qu’elle pense qu’à ses enfants. « Ça va être dur pour nos jeunes de rester à la maison, ils ont déjà du mal à comprendre pourquoi on ne leur accorde plus d’autorisation de sortie. C’est encore un peu irréel pour eux, même s’ils ont conscience que la situation est exceptionnelle. Et puis, nous sommes dans des collectifs, ce qu’on demande d’éviter en fermant les écoles, on ne peut le faire dans les foyers ». Concernant la classe à la maison, pas d’infos des établissements où sont scolarisés les jeunes placés sous sa responsabilité. « On a décidé de mettre en place une forme de soutien scolaire tous les matins avec les éducateurs, même si l’on sait que cela ne sera pas simple car tous nos jeunes sont très éloignés des codes scolaires ». Et pour couronner le tout, pour ces professionnels qui sont indispensables et qui n’ont aucune solution de garde, aucune proposition n’est faite.
Thomas est papa de deux enfants, l’un en CP, l’autre en en PS. Lui est informaticien, sa compagne, gendarme. « On va alterner les moments à la maison. Et puis, nos parents vont nous aider aussi. D’ailleurs c’est mon père qui va s’occuper du travail scolaire avec ma fille ». Dans l’école de Pavillons-sous-Bois où sont scolarisés ses enfants, rien n’est encore organisés, « ma fille est rentrée avec une pochette de travail mais on n’en sait pas plus pour l’instant. Il faudra que l’on aille vérifier l’affichage sur la porte de l’école tous les jours ».
Dans une école où des enseignants sont positifs au COVI19
Soraya, maman de deux enfants, est inquiète quant à elle. Elle a appris samedi que le directeur ainsi que des enseignants de l’école où sont scolarisés ses filles ont été dépistés positifs et que certains sont hospitalisés. « On a reçu un mail lapidaire du directeur, rien de l’académie. On ne sait pas trop ce que l’on doit faire. Nos enfants vont-ils bénéficier d’un suivi médical particulier ? Est-ce qu’on va être dépistés. Cela manque vraiment de communication ». Cela faisait plusieurs jours que plusieurs enseignants étaient absents dans cette petite école du douzième arrondissement parisien. « Pour le suivi de nos enfants, on a eu des petits mots et une adresse mail a été créé pour pouvoir créer. On attend que tout cela se mette en place, mais je n’ai pas de grosses inquiétudes du côté scolaire. On a le bagage pour accompagner nos enfants », une sérénité que Soraya affiche car pour elle ce sera des congés et non du télétravail. « J’ai gardé ma petite la semaine passée, puisque son instit est absente depuis plusieurs jours, et c’était impossible de travailler. Je suis à la direction d’une grande banque, et mon quotidien ce sont des réunions alors c’est plutôt difficile avec des enfants dans les pattes ». Mais Soraya, fille d’instit, s’interroge surtout des conditions de vie des enfants de milieux populaires. « Moi, et mon mari, pouvons accompagner les enfants sur des activités mais qu’en est-il de ceux qui ne peuvent pas ? Ca va être compliqué. Le discours du ministre est quand même utopique… » Elle a la chance de pouvoir se réfugier dans une maison de campagne pour les semaines à venir, « afin que les filles puissent avoir des activités en extérieur mais qu’en sera-t-il de tous ces enfants qui seront enfermés dans des barres HLM ? ».
Alors que le confinement de la totalité de la population semble se rapprocher de jours en jours voire d’heures en heures, les parents s’arment comme ils peuvent pour faciliter le quotidien de leur enfant mais aussi pour lui apporter une continuité dans le nourrissage culturel mais quid de ces enfants qu’évoquent Francklyn, Soraya ou encore Dyna ? Les parents arriveront-ils à contenir leurs enfants dans des appartement parfois trop petits ? Arriveront-ils à leur apporter l’aide nécessaire pour que « continuité pédagogique » il y ait ?
Lilia Ben Hamouda