Par Frédérique Yvetot
Jocelyne Ménard du laboratoire CREAD de l’Université de Rennes2 a mis en ligne, sur les archives ouvertes, une étude publiée dans le cadre du « Colloque Doctoral International de l’éducation et de la formation » (25 et 26 novembre 2011, Nantes). Cette étude porte sur la professionnalisation des professeurs documentalistes utilisant les espaces numériques de travail (ENT).
Partant du constat que la France est en retard, par rapport aux autres pays du monde, dans les usages des outils numériques à l’école (Fourgous, 2010), Jocelyne Ménard axe principalement son étude sur l’accompagnement fait par les professeurs documentalistes auprès des autres enseignants pour les mener vers un usage plus large des ENT et pour pouvoir en utiliser toutes leurs potentialités. En effet, depuis le développement des ENT dans les établissements scolaires, les professeurs documentalistes ont dû modifier leurs pratiques, transformer leurs compétences, en acquérir de nouvelles pour s’adapter aux nouvelles situations et ainsi rendre leur action efficace. Jocelyne Ménard a tenté de positionner ces pratiques sur les différentes voies de professionnalisation. Elle fait référence aux travaux de Wittorski (2005-2009) qui distinguait six voix de professionnalisation (logique de l’action, logique de la réflexion et de l’action, logique de la réflexion sur l’action, logique de la réflexion pour l’action, logique de traduction culturelle par rapport à l’action, logique de l’intégration-assimilation).
Des pratiques observées qui ne sont pas surprenantes
Par cette étude, on apprend que le changement d’outils a engendré de nouvelles situations, que le professeur documentaliste a modifié son activité de signalement des ressources et de diffusion de l’information, qu’il a été obligé de s’adapter, qu’il a acquis de nouvelles compétences, de nouvelles connaissances, a développé de nouvelles pratiques. On apprend que le professeur documentaliste est réactif, qu’il évolue, qu’il vit avec son temps en s’emparant des nouveaux outils, qu’il réfléchit sur son métier, ses pratiques pour avancer, etc… Ce n’est pas tellement une surprise.
L’accompagnement des enseignants vers un usage des ENT
Jocelyne Ménard a fait le choix d’étudier la professionnalisation des professeurs documentalistes dans le cadre de l’accompagnement des autres enseignants dans leurs usages de l’ENT. Mais est-ce le rôle des professeurs documentalistes que d’accompagner les enseignants ? N’est-ce pas plutôt celui des référents numériques ? Lorsque l’on lit le dossier de presse du « Plan de développement des usages du numérique à l’École » (p.9), on apprend que pour «faciliter le développement des usages pédagogiques du numérique avec les élèves, il est nécessaire d’aider et d’accompagner les enseignants des collèges et des lycées afin qu’ils utilisent toutes les potentialités des outils et des ressources numériques. C’est dans cette perspective que chaque établissement du second degré nommera, sur la base du volontariat, un enseignant « référent pour les usages pédagogiques numériques ». » Il s’agit bien de cet accompagnement étudié par Jocelyne Ménard et son étude semble vouloir montrer que cette mission du « professeur responsable du numérique pédagogique » est celle du professeur documentaliste. L’étude parle d’une professionnalité spécifique pour les professeurs documentalistes qui s’enracinerait dans l’accompagnement des enseignants, de « compétences spécifiques qu’ils mettent au service des autres enseignants », d’une inscription de «leur professionnalité autour d’un rôle d’accompagnateur ». Que le professeur documentaliste endosse cette charge, cela peut se comprendre, mais c’est une mission spécifique tournée vers les enseignants.
Les professeurs documentalistes sont aussi et surtout des enseignants!
Etudier ici les ENT sous l’angle de l’accompagnement, c’est donner une vision limitée des bénéfices de l’utilisation des ENT et du métier de professeur documentaliste. Il serait tout aussi intéressant (voire plus) d’étudier la professionnalisation des professeurs documentalistes dans leur mission pédagogique, dans leur usage de l’ENT AVEC les élèves. Car si le professeur documentaliste s’empare des ENT, ce n’est pas uniquement pour mettre ses compétences au service des autres enseignants : il travaille avant tout pour les élèves. En permettant au professeur documentaliste de diffuser ses enseignements, ses conseils et une veille aux élèves en fonction de leur projet et en reconnaissant le statut spécifique du professeur documentaliste dans l’équipe pédagogique, l’ENT est un support pédagogique, un outil d’accompagnement,… Il est vrai que le professeur documentaliste pourrait avoir un rôle à jouer dans cet accompagnement, cependant il ne faudrait pas que cet accompagnement et la gestion numérique des ressources (et la gestion des ressources numériques) réduisent la part de gestion physique du CDI, d’ouverture culturelle apportée aux élèves et surtout de la mission pédagogique du professeur documentaliste.
En conclusion, Jocelyne Ménard dit qu’en « réactualisant la construction d’une professionnalité autour du rôle d’accompagnateur et autour de la personnalisation des services aux différents acteurs, ils apportent une plus-value au métier. » Est-ce la plus-value voulue par une majorité de la profession ? Il faut rappeler que cette étude porte sur sept professeurs documentalistes… la France en compte environ 13000 ! Sept professeurs documentalistes observés dans leurs pratiques, est-ce vraiment suffisant pour tirer de telles conclusions ?
Le professeur documentaliste et le numérique : le renforcement d’un processus de professionnalisation dans le signalement, l’organisation et la mise à disposition de ressources
http://hal.archives-ouvertes.fr[…]le_professeur_documentaliste_et_le_numA_rique.pdf
Sur Eduscol, Plan de développement des usages du numérique à l’École
http://eduscol.education.fr[…]plan-developpement-usages-numerique-ecole