Par Françoise Solliec
Pour cette deuxième édition de ses entretiens, le groupe Compas, qui regroupe diverses personnalités du monde des TICE, avait choisi de se centrer sur l’ouvrage qu’il vient de faire paraître, « Apprendre demain, Sciences cognitives et éducation à l’ère numérique », pour donner quelques éclairages sur la façon dont l’école peut « intégrer le numérique dans ses pratiques d’enseignement » et faire « une place aux nouveaux lieux où la connaissance se forge et se diffuse » ;
Pour la première table ronde, animée par Pierre Cohen-Tanugi (ENS), Marie-Noelle Audigier (Hatier), Gaëll Minguy (Veolia Environnement) et Henri Verdier (Lagardère active) se donnaient la réplique au sujet de l’édition scolaire numérique et de la place des TICE dans l’éducation.
Même si l’édition numérique scolaire connaît quelques succès, force est de constater que « le marché n’a pas encore vraiment décollé ». L’offre est encore essentiellement du manuel numérisé (pdf téléchargeable sur ordinateur) ou du manuel numérique peu interactif. Des produits d’accompagnement en ligne commencent à exister et le soutien scolaire semble potentiellement porteur pour le développement de telles ressources.
Il est vrai que le système éducatif français apparaît fortement structuré par des choix déjà anciens (répartition en classes, contenus des programmes, modalités de fonctionnement) qui laissent peu de place aux bouleversements que pourraient induire une utilisation très poussée des TICE dans la formation. « Aujourd’hui, leurs apports se situent à la marge » et « cette conception du système éducatif fait qu’on est systématiquement en retard par rapport à d’autres ». Pourtant les TICE apportent de nouvelles façons de travailler (mutualisation, individualisation, travail collaboratif) et la conscience qu’on peut accéder au savoir autrement que dans un face à face avec l’enseignant.
Dans ce contexte et alors qu’on pourra peut-être trouver librement les cours numérisés des universités les plus prestigieuses, y-a-t-il une place pour des manuels scolaires numériques ? L’expérience de Sésamath est intéressante qui montre que l’existence de la ressource en ligne n’exclut pas la vente du manuel. Serait-ce tout simplement que ce manuel offre une structuration du programme de l’année scolaire conforme à ce qu’en attendent les enseignants ?
La deuxième table ronde a été l’occasion pour Daniel Andler (ENS) et quelques-uns des auteurs de l’ouvrage, dont Alain Chaptal (MSH Paris Nord) et Bastien Guerry (ENS) de revenir sur quelques aspects de leurs articles .
L’intégration des TICE dans l’enseignement renvoie en effet à un problème complexe, dans lequel le modèle classique de progression du savoir humain ne s’applique pas car il y a trop d’imprévus. On est aujourd’hui dans une phase légitime d’expérimentations diverses et de multiplicités d’approche, mais il faudra bien qu’une structuration finisse par s’imposer et qu’on sorte de l’ambivalence actuelle.
Les enseignants ne sont toujours pas convaincus des plus qu’apportent les TICE. C’est ainsi qu’ils sont tous équipés et se servent des ordinateurs pour entrer leurs notes ou préparer leurs cours, mais qu’une bonne partie d’entre eux refuse de les utiliser en classe. La volonté politique a pour l’instant davantage concerné la mise en place des ENT ou la généralisation des équipements, de même qu’au Royaume Uni, l’effort a porté sur la généralisation des tableaux numériques et la création de ressources. La plupart des enseignants ne s’approprient pas cette volonté et il sera certainement nécessaire de mobiliser davantage l’appareil d’encadrement. L’attribution forcée du B2i, qui se vide ainsi de sa signification citoyenne, constitue une conséquence grave de cet écart entre le discours officiel et les enseignants.
Pourtant, l’utilisation du numérique en classe ne peut relever d’un choix, mais est bien de l’ordre de l’imposition. Ce qui rend les choses difficiles c’est que cette intégration modifie nécessairement l’écosystème de la connaissance. La question pertinente n’est pas « Faut-il utiliser les TICE en classe ? » car l’école n’a pas le choix, mais bien « Quels sont les usages pédagogiques pertinents des TICE ? ». Il faut donc s’attacher à évaluer systématiquement l’efficacité et la pertinence de ces usages.
Au nombre des quelques actions présentées dans la troisième table ronde, citons « Les lapins du futur », un projet mené par « 5 classes de CM2 implantées sur le territoire de la Communauté d’Agglomération Arc de Seine, impliquant les villes de Chaville, Issy-les-Moulineaux, Meudon et Ville d’Avray », en collaboration avec le centre de création numérique, Le cube, d’Issy-les-Moulineaux et la ligue de l’enseignement 92.
Les cinq classes ont chacune accueilli un lapin communiquant Wi-fi, le Naztabag. A ce voyageur du futur, il s’agissait de se présenter, d’expliquer la vie de sa classe et de lui inventer des aventures. La communication entre les classes et l’aide d’un concepteur-multimedia spécialisé dans les livres pour enfants ont permis à l’écriture de ces aventures de constituer pour chaque classe un projet pédagogique ; elles ont ensuite été rassemblées dans un livre interactif lu par les lapins au Cube festival début juin.