Nous vous proposons ce mois-ci l’interview de Sophie Abric, professeur de LCA au Collège Jean Rostand à La Machine (58 Nièvre). Ces propos ont été recueillis à Lyon lors du 8ème Festival Européen du latin grec où notre collègue est venue présenter son blog « La machine latine » (sur lequel elle publie les travaux de ses élèves sous la forme d’articles de blogs, ou, plus original encore, de vidéos dans lesquelles les élèves se mettent en scène).
Café Pédagogique – Bonjour Sophie, en quelques lignes, pouvez-vous nous détailler votre cursus ?
Sophie Abric – Bonjour, j’ai commencé à apprendre le latin en quatrième et le grec par le CNED en terminale. J’ai vraiment approfondi l’étude de ces langues en Hypokhâgne et en Khâgne, classes que j’ai suivies au Lycée Carnot de Dijon, ma ville natale. J’ai ensuite poursuivi ma licence à la Faculté de Bourgogne. Mon mémoire de maîtrise, soutenu en 2002, portait sur le vin dans les Lycurgies et Penthéides d’Homère à Nonnos de Panopolis. J’ai obtenu mon CAPES de Lettres Classiques en 2004. J’ai fait les recherches pour mon Master II, en parallèle de mon année de stage, effectuée au Lycée Chagall de Reims. Il portait sur les couleurs et les odeurs chez Nonnos de Panopolis et je l’ai obtenu en 2005. Enfin, je termine actuellement ma thèse de Doctorat qui porte sur le rapprochements entre les figures d’Alexandre le Grand et Dionysos à la fois chez les historiens de la Vulgate et dans les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis.
C.P. – Où enseignez-vous et depuis combien de temps ?
S.A. – Cela fait maintenant huit ans que j’exerce dans le poste où j’ai été nommée an première affectation : le Collège Jean Rostand de La Machine, dans la Nièvre (58). C’est un petit collège de 120 élèves, et j’ai la chance d’avoir un quarantaine de latinistes et hellénistes, sur les trois niveaux de la cinquième à la troisième, ce qui représente environ 30% de l’effectif global. J’ai créé un club de grec en 2009 qui a pu être transformé en option pérenne, grâce à son succès. En outre, je peux enrichir mon enseignement de mes connaissances cinématographiques grâce à ma certification cinéma audio-visuelle, obtenue en 2009.
Parallèlement à mon poste en collège, j’ai exercé pendant deux ans à l’IUFM de Nevers où j’étais chargé de la formation des PE1 et du suivi des PE2, de 2010 à 2012. Je suis également tutrice des stagiaires de Lettres classiques du collège de Decize depuis 2010.
C.P. – Quel était l’objectif principal de la création de votre blog ?
S.A. – Le site a été créé tout d’abord à destination des élèves et de leurs parents dans le cadre du projet audiovisuel autour du voyage en Italie. Il était destiné à montrer l’avancée des différentes phases du projets, d’une classe à l’autre d’une part, ainsi qu’aux collègues qui participait à ce projet interdisciplinaire, intégrant les Arts Plastiques, l’Anglais, le Français et bien sûr les Langues Anciennes. Il était aussi pensé comme une source d’informations pour les parents, affichant tant des détails pratiques sur le voyage que des nouveautés liées aux Langues et Cultures de l’antiquité.
C.P. – Comment se fait la mise en ligne des articles ? Les élèves y prennent-ils part ? et comment organisez vous cela sur le temps scolaire ?
S.A. – Je suis effectivement le modérateur du site, et je poste la plupart des participations sur mon temps libre. Cependant le site a été conçu de manière à avoir plusieurs auteurs, plusieurs voix et je pense que sa richesse vient de cet écho entre ces différentes pensées. Mes collègues ont donc laissé des participations au gré du temps. J’ai réussi avec mes latinistes et hellénistes de troisième à travailler sur une de leurs participations (la mise en ligne de l’écriture des scenarii) pendant nos heures de cours. Cela nous a permis de valider certaines de leurs compétences du B2i, mais il faut avouer que c’est une activité relativement chronophage. Chaque élève est en possession de l’identifiant et du mot de passe de son groupe classe, mais nous regrettons le fait qu’un seul élève ait pris le temps de laisser une participation.
C.P. – Comment vos élèves ont-ils accueilli ce nouveau support ?
S.A. – Les élèves ont été très enthousiastes dès le lancement du site et j’ai pu remarquer à plusieurs reprises que leur fréquentation était assez régulière. Ils demandent souvent combien de « vues » ont été faites, et je pense que ce media leur montre que l’enjeu des Langues Anciennes ne se limite pas à notre collège. En effet, avec plus de 22 000 vues, six mois après son lacement, nous dépassons largement le cadre scolaire et familial, qui était l’objectif initial.
C.P. – A quel niveau de maîtrise informatique vous situeriez-vous à vos débuts sur le blog ?
S.A. – Je pense que j’avais des connaissances informatiques de base mais solides. J’avais suivi plusieurs formations pour divers outils informatiques, mais je pense que rien ne remplace la pratique régulière, qui reste la meilleure formation. Mon collègue de technologie, mais surtout mon conjoint sont mes interlocuteurs privilégiés, lorsque j’ai besoin d’un coup de pouce informatique.
C.P. – Un conseil pour les collègues de langues anciennes qui souhaiteraient ouvrir un blog ?
S.A. – Je pense qu’il ne faut surtout pas hésiter à se lancer. A partir du moment où le projet pédagogique est suffisamment bien construit, la forme suit. Boileau disait : « Ce qui ce conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément », la mise en page informatique, aussi ai-je envie d’ajouter.
C.P. – Quand avez-vous ouvert votre blog ?
S.A. – La création du site date du 5 juillet 2009, sur l’idée des élèves, qui avaient fait germé à la fois le concept du blog et l’idée du projet pédagogique. Cependant, comme je le disais tout à l’heure, le projet n’étant pas suffisamment ficelé et certaines connaissances informatiques me faisant encore défaut (comme la place des libellés, par exemple), il n’a réellement pris forme et vie qu’à la rentrée 2012.
C.P. – Les professeurs de lettres dont le travail est plus « personnel » ont parfois plus de difficulté à diffuser leurs travaux que les autres. Comment vivez-vous cette mutualisation de vos travaux ?
S.A. – Les travaux que je mets en ligne sur le site sont loin d’être personnels et sont, au contraire, des travaux de groupe, tant avec les collègues qu’avec les élèves, et c’est cela que le blog tente de valoriser. Je trouve aussi, que nous sommes bien isolés, dans nos petits collèges ruraux et nous sommes souvent les seuls et uniques professeurs de Langues et Cultures de l’Antiquité. La mutualisation des travaux et le partage des ressources ne peuvent être qu’un enrichissement mutuel qui pourra permettre de faire perdurer nos options dans le temps et dans les esprits.
C.P. – D’ après vous quels sont les avantages et les inconvénients liés à l’utilisation des TICE en cours de Langues Anciennes ?
S.A. – J’estime que l’informatique peut être une réelle chance pour revaloriser et redynamiser nos matières. Il ne faut pas pour autant tomber dans l’aveuglement de certains qui pensent que la forme informatique prévaut sur le fond pédagogique. C’est bien des idées qu’il faut partir et les outils informatiques doivent être là pour mieux mettre en valeur notre pensée. Pour autant, le chantier est encore grand en Langues et Cultures de l’Antiquité et les pratiques se limitent souvent à la plus simple utilisation de l’outil informatique, par manque de ressources et de modèles. Nous y travaillons précisément dans mon Académie de Dijon et je fais partie d’un espace collaboratif LCA-TICE, destiné à produire des ressources pédagogiques pour l’enseignement des Langues et Cultures de l’Antiquité, en lien avec les TICE. Pour terminer sur l’exemple que vous me donniez, je pense que l’accès aux textes latins et grecs en ligne va au-delà du simple bachotage et je vois cette évolution dans ma propre pratique depuis mon Master II jusqu’à ma Thèse. Certains textes auxquels j’accède aujourd’hui en quelques clics me coûtaient à l’époque 4h de train aller-retour pour accéder à une Bibliothèque universitaire de section qui fermait ses portes le Vendredi à 15h. Là encore, je ne pense pas qu’il faille diaboliser les ressources mais la mauvaises utilisation qui peut en être faite.
C.P. – Avez-vous une idée du type d’internautes qui consultent votre site ? Ce site vous a-t-il permis de créer des liens que vous n’auriez pas pu établir sans internet ?
S.A. – Je n’ai pas de réelle visibilité sur les internautes qui fréquentent notre blog (âge, profession,…), ce qui est fort dommage je trouve. Les statistiques me permettent quand même de consulter les sites d’origine. La plupart des internautes viennent de Google. Cepedant, depuis le référencement du blog sur le site Latine Loquere, de plus en plus d’internautes y accèdent par ce biais et j’ai constaté également une recrudescence des internautes qui arrivent via le site du FELG, depuis notre présentation jeudi 21 mars dernier. C’est précisément grâce à ce blog que j’ai pu rencontrer tant les organisateurs du FELG que le webmestre de Latine Loquere, Robert Delord.
C.P. – Pouvez-vous nous donner un aperçu des différentes productions « informatiques » que vous demandez à vos élèves (exposés, enregistrements audio ou vidéos, autres…) ?
S.A. – Outre les productions informatiques habituelles du type diaporama ou recherches internet, le projet était destiné à leur faire manier l’utilisation du blog, afin de mettre en ligne leurs productions vidéos. Ces dernières demandent bien sûr des compétences de montage, que nos élèves ont pour leur grande majorité acquis grâce à la présence depuis trois ans d’un réalisateur, artiste en résidence au sein de l’établissement.
C.P. – En classe, disposez-vous ou utilisez-vous un matériel informatique spécifique ?
S.A. – Notre collège possède un seul et unique TBI, que j’utilise trop rarement. Une collègue de Saint-Pierre le Moutier nous a présenté dernièrement l’utilisation qu’elle en fait pour la construction des phrases latines, en surlignant les cas et en déplaçant les mots dans l’ordre de la phrase française. Elle nous a montré encore l’intérêt pour l’analyse des scupltures de l’antiquité. Tout cela m’a donné des idées pour m’en servir plus régulièrement. Nous avons également mis en place cette année la visioconférence avec le musée Rollin d’Autun. Nous avons donc élaboré toute une séquence interdisciplinaire Histoire des Arts-Langues de l’Antiquité avec les élèves de cinquièmes latinistes d’une part, et hellénistes de troisième de l’autre. La mise en place se fait progressivement et notre première séance avec les élèves a lieu ce mardi 26 mars. Vous pouvez voir l’avancée de ce projet avec le libellé « Autun » sur notre blog. Je pense que la visioconférence peut nous permettre d’accéder de manière plus concrète et plus vivante à plusieurs œuvre ayant trait à l’antiquité. De manière plus générale, les TICE peuvent apporter une réelle plus-value à nos matières.
C.P. – Un certain nombre de pages de votre blog se présentent sous forme d’articles ludiques. Selon vous, quelle est la place du jeu dans notre discipline ?
S.A. – Je pense qu’il ne faut pas perdre de vue le fait que nous sommes une option. Si nous sélectionnons nos élèves uniquement par l’austérité, nous courrons à notre perte, en particulier dans mon collège classé APV, avec une très forte concentration de CSP défavorisées, souvent peu enclines à choisir le latin, parfois en raison de mauvais souvenirs parentaux. Ce n’est pas pour autant que les langues anciennes doivent se résumer à un simple jeu, mais si on peut allier « Placere » et « Docere », ainsi que nous invitait déjà à le faire Horace, pourquoi ne pas le faire, en leur ajoutant « Ludere » ?
C.P. – Pensez-vous qu’il faille continuer à admirer la civilisation gréco-romaine, mais en la replaçant dans un contexte plus large, tout aussi intéressant ?
S.A. – C’est peut-être une déformation professionnelle, mais je trouve que la civilisation greco-latine est tous les jours présente, dans nos caddies de supermarché, sur nos écrans, sur les enseignes, dans notre langage. Je pense que les élèves ne peuvent que mieux se construire s’ils connaissent leurs racines. V. Hugo disait que nous étions des nains juchés sur des épaules de géants, encore faut-il connaître les chemins par lesquels sont passés ces géants.
C.P. – Quelles précautions prenez-vous pour la diffusion sur votre blog des travaux de vos élèves ?
S.A. – Il faut bien sûr prendre des précautions légales, tant en ce qui concerne le droit à l’image de chaque élève, que les droits d’auteurs des images ou des musiques que l’on utilise dans ces travaux.
C.P. – Utilisez-vous les réseaux sociaux pour vous tenir informée des nouveautés concernant notre matière ?
S.A. Effectivement, je suis abonnée à plusieurs listes de diffusions et notamment celle de Latine Loquere. Je reçois également toutes les nouvelles de notre groupe de travail sur les LCA et les TICE via un wiki.
C.P.- Votre façon de travailler avec les élèves est pour le moins originale. Avez-vous entendu parler du Prix Jacqueline de Romilly qui récompense les initiatives innovantes en matière de langues anciennes?
S.A. – Pour tout vous dire, l’idée du blog était née l’année dernière, en consultant avec les élèves la liste des lauréats du concours Jacqueline de Romilly. Nous avions remarqué que c’était un blog qui avait remporté le premier prix dans la catégorie collège. Nous avions nous-mêmes participé à ce concours grâce à un stop motion picture, réalisé à l’aide de playmobils romains, sur les guerres ludiques. C’est d’ailleurs la première participation laissée sur le blog, sous le titre « Ludicra Bella ». Nous étions assez déçus d’apprendre cette année qu’il n’aurait lieu que tous les deux ans.
C.P. – D’après vous quelle est l’utilité des sorties et voyages d’étude dans notre matière ?
S.A. – Le rôle des sorties est immense pour la popularité de l’option dans le collège. Nous organisons un voyage tous les trois pour que chaque élève qui a fait le choix de l’option puisse avoir la chance de découvrir les monuments dont il entend si souvent parler dans leur matérialité imposante et fascinante. Les générations se le racontent et c’est une des raisons pour choisir l’option. En tant que professeur, voir les yeux émus d’un élève de cinquième, qui n’avait jamais quitté son département, au pied du Colisée après 17h de car, donne sens à notre métier.
C.P. – Comment percevez-vous l’avenir des langues anciennes dans les prochaines années.
S.A. – Bien sûr, je suis effrayée lorsque je lis les effectifs, et notamment en lycée. Mais je pense profondément que si nous réfléchissons de façon constructive à la manière d’enseigner notre matière, elle restera attirante pour un bon nombre d’élèves.
C.P. – Si vous aviez à composer un Top 5 de vos sites web ou blog langues anciennes préférés, quel serait-il ?
S.A. – Sans aucun doute, en tête, je place bien sûr Latine Loquere, qui a largement inspiré mes propres pratiques pédagogiques. Ce site est une mine d’or, qui ne s’épuise jamais et se renouvelle sans cesse. C’est ainsi que je conçois les Langues et Cultures de l’Antiquité aujourd’hui. Le deuxième site que je fréquente le plus assidûment, pour mes recherches, estt Hodoi Elektronikai et son jumeau latin Itinera electronica, avec bien sûr le recul nécessaire sur les traductions proposées. Dans ma pratique pédagogique, comme nous n’avons pas de manuel papier en grec, je remercie infiniment les collègues d’avoir créé Hellenis’tic, mais je préfère dorénavant celui de Marjorie Lévêque, disponible sur le site de Latine Loquere. Enfin, de manière plus anecdotique, je trouve intéressants les sites de radio en latin, tels que Yle.
C.P. – Quels sont vos auteurs latins et/ou grecs favoris ?
S.A. – Vous l’aurez compris, depuis ma maîtrise, je vis quotidiennement avec les vers de Nonnos de Panopolis. J’aime les Dionysiaques pour leur foisonnement, leur poésie et leurs échos aux textes qui étaient déjà anciens. Mon auteur favori, parce que c’est celui qui a bercé mon enfance et celle de mes filles, qui ont emprunté leurs prénoms à ses œuvres, Nausicaä et Cassandre, est bien sûr Homère. Les tragédies d’Euripide me touchent profondément. Du côté des auteurs latins, j’ai un penchant particulier pour Ovide et ses Métamorphoses, Virgile et son Enéide.
C.P. – Avant de nous quitter et pour mieux vous connaître pourriez-vous conseiller à nos lecteurs un livre, un cd et un film que vous avez découvert, en rapport avec les langues anciennes ou non, et que vous appréciez particulièrement ?
S.A. – Par rapport à Homère, j’avais beaucoup aimé la voix donnée à chacun des personnages par Alessandro Baricco, dans son Homère, Iliade. Sans rapport avec l’antiquité un des livres qui m’a le plus touché ses dernières années est son Soie, qui vient d’être illustré par Rebecca Dautremer. S’il fallait conseiller un CD en lien avec l’antiquité, je ne saurai que trop conseiller le sublime opéra de Purcell, Didon et Enée, et bien sûr tout particulièrement le passage de la mort de Didon. Je le conseille notamment dans la version orchestrée par Emmanuelle Haïm, avec le concert d’Astrée, que j’ai eu la chance d’écouter l’année dernière à l’auditorium de Dijon. En ce qui concerne les films, je ne suis pas une grande adepte de péplums, ni des films pseudo historiques autour de l’antiquité. Je préfère, par exemple, l’interprétation très libre et très drôle de l’Odyssée des frères Cohen, avec O’Brother.
C.P. – Merci Sophie pour vos réponses. Nous rappelons l’adresse de votre blog « la machine latine » :
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