« Le choix qui semble avoir été fait, qui est de conduire de considérer le temps scolaire comme indépendant des autres facteurs d’efficacité pédagogique, ne semble pas être une bonne solution. La réussite de la réforme nécessite donc de prendre du temps ». Chercheur associé à l’IREDU, URSP (Vaud), Bruno Suchaut observe l’évolution du débat sur les rythmes scolaires. Pour lui, le débat fait fausse route et abandonne ses objectifs. La solution ? « Le principal levier qui permettrait de réduire les coûts est principalement l’objet même de la réforme, à savoir une réduction significative du temps scolaire journalier avec une répartition annuelle différente et une articulation entre temps scolaire et périscolaire différente ».
Sur le dossier des rythmes scolaires, la concertation menée dans le cadre du processus de refondation de l’école fait à présent émerger les préoccupations centrales des acteurs, leurs demandes et leurs revendications. Les nouvelles propositions du Ministère semblent en tenir compte et s’écartent sensiblement de ses intentions initiales. Au fil du temps, les positions de chacun se précisent et mettent en évidence des points de divergence mais aussi toute la complexité liée à la problématique de la réforme. Le temps de l’élève, qui est pourtant l’objet même de la réflexion, laisse progressivement sa place dans les débats au temps de service des enseignants et au temps de prise en charge des élèves par les collectivités locales. Le moment est donc aux négociations qui portent à présent sur des arbitrages, des concessions et qui évoquent même des compensations éventuelles.
Un des plus grands dangers de cette focalisation sur les exigences de chacun est d’aboutir à une proposition de loi qui ne ressemble en rien aux attentes initiales sur la question des rythmes scolaires et à son intégration dans une réforme plus globale de l’école. Le risque est alors d’oublier les véritables enjeux de la nouvelle organisation du temps scolaire qui sont, rappelons le, davantage pédagogiques que sociaux. On en arrive en effet à se détourner de l’objectif essentiel que la politique éducative doit viser dans des délais raisonnables : améliorer la qualité des apprentissages des élèves en luttant efficacement contre la difficulté scolaire et en réduisant les inégalités sociales de réussite à l’école. Dans cette perspective, la mise en place des nouveaux rythmes scolaires doit être vue comme un moyen et non pas une comme une finalité autonome, déconnectée des autres questions pédagogiques qui résulterait d’un savant mélange, composé des propositions et des concessions des uns et des autres.
Ainsi, savoir si un enseignant doit faire 23, 24 ou 25 heures par semaine devant les élèves est avant tout une question pédagogique ; savoir si l’aide personnalisée doit être maintenue ou remplacée par un autre dispositif d’aide relève également du domaine pédagogique. Or, il semble que ces questions soient actuellement surtout abordées sur la base des incidences que les changements auraient sur les conditions de travail des enseignants. De manière complémentaire, savoir si la pause méridienne doit durer 1h 30 ou 3 heures, savoir à quelle heure les élèves doivent quitter l’école après la classe sont des questions qui touchent principalement le bien-être des élèves alors que le débat porte davantage sur les possibilités de financement par les collectivités du temps de prise en charge supplémentaire des écoliers.
Ces vraies questions, qui visent les élèves et qui concernent les conditions d’efficacité de l’école primaire semblent progressivement s’écarter des débats pour laisser la place à des négociations classiques orientées vers des évolutions à minima de l’organisation actuelle afin de défendre les conditions de travail actuelles des enseignants et de limiter les investissements financiers des communes. Si ces aspects sont évidemment essentiels et bien évidemment à prendre en considération ; on peut toutefois se demander si le processus de préparation de la réforme ne va pas à contre courant d’une démarche logique qui consisterait tout d’abord à évaluer les conditions initiales pour que les objectifs puissent être atteints.
Au niveau politique, cette démarche pragmatique présente bien sûr un certain nombre d’inconvénients, dont deux principaux. Le premier concerne la durée du processus. Le temps politique étant, par nature dans nos institutions, un temps court, il n’est guère envisageable pour les décideurs au niveau national d’étendre la période de concertation et d’analyse approfondie de la question sur un temps long. Or, la complexité du problème, l’analyse du contexte, la prise en compte de tous les facteurs potentiels, nécessitent d’effectuer des simulations précises qui prennent en compte l’ensemble des paramètres avant d’arrêter une décision générale. En outre, la question des contenus d’enseignement et de leur progression au cours des cycles, celle de l’analyse de l’efficacité des dispositifs d’aide aux élèves en difficulté, sont des éléments qui doivent faire partie de la réflexion.
Le second inconvénient est la difficulté que les acteurs ont à se démarquer du fameux principe d’égalité (c’est vrai pour les décideurs mais aussi pour les organisations syndicales). Ce principe, louable dans l’esprit, est toutefois illusoire car il n’existe que dans les textes mais assez peu dans la réalité. Actuellement les élèves ne sont pas tous placés dans les mêmes conditions sur le plan de la scolarité : les disparités sociales, économiques et géographiques font que les situations peuvent être très différentes d’un lieu à un autre. Les jeunes élèves habitant des zones rurales devant prendre les transports en commun tôt le matin vivent des situations bien différentes de ceux scolarités dans les zones urbaines. Il faut donc, plutôt que les ignorer, s’appuyer sur ces spécificités pour autoriser des déclinaisons locales (sur la base d’un cadrage national) afin d’adapter la loi aux caractéristiques des territoires et de ses habitants.
La réussite de la réforme nécessite donc de prendre du temps pour envisager toutes les incidences d’une organisation optimale pour les élèves sur les conditions de travail des enseignants, les conditions de financement des collectivités locales et sur la qualité de vie des familles. Le choix qui semble avoir été fait, qui est de conduire de considérer le temps scolaire comme indépendant des autres facteurs d’efficacité pédagogique, ne semble pas être une bonne solution. Bien sûr, une réforme de l’école qui s’appuie sur les rythmes scolaires pour changer en profondeur l’organisation de l’école et les conditions de travail des enseignants (tous les aspects du métier sont à prendre en compte) semble relever d’une équation impossible à résoudre. Mais là encore, les enjeux sont considérables et le temps de la réflexion et de l’analyse des conditions de la réussite de la réforme doit être pris. On court sinon le risque d’avoir encore une fois raté l’occasion d’un véritable changement et on ne pourra que se lamenter des piètres résultats des élèves français à l’enquête PISA de 2018. C’est en effet pour ces jeunes élèves qui vont entrer à l’école primaire à la rentrée prochaine que la réforme devrait porter ses fruits.
Bien sûr, la question des moyens mobilisés se pose, si ceux-ci doivent être à la hauteur des ambitions ; il est toutefois possible d’imaginer des solutions qui limitent les contributions financières, cela nécessite sans doute aussi une réforme plus approfondie du système scolaire (statut des enseignants, organisation administrative et pédagogique des écoles, rôle des collectivités locales…). Mais le principal levier qui permettrait de réduire les coûts est principalement l’objet même de la réforme, à savoir une réduction significative du temps d’enseignement traditionnel journalier avec une répartition annuelle différente et une articulation entre temps scolaire et périscolaire différente. Tout cela est effectivement plus difficile et plus ambitieux que d’avoir à négocier, comme cela en prend le chemin, au quart d’heure près, les temps de service des enseignants, mais c’est sans doute aussi plus efficace…
Bruno Suchaut
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