Depuis septembre, de nombreux chercheurs réunis dans le GRFDE proposent un autre modèle de formation pour les enseignants. Que reprochent-ils aux Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) projetées par Vincent Peillon ? Pourquoi défendent-ils l’idée d’une formation plus longue et mieux intégrée ?
Le GRFDE est critique sur la place du concours de recrutement, en fin de M1 (première année de master). Pourquoi ?
C’est un retour au système précédent d’avant la masterisation qui n’était jugé satisfaisant par personne. On s’attendait à une transformation profonde de la formation des enseignants, à la hauteur d’une « refondation » de l’École. Et on nous propose un retour en arrière. Il y a de quoi être déçu !
Le concours en M1 pose des problèmes que l’on peut déjà anticiper en se rappelant la situation qui prévalait avant 2009. D’abord il ne sera pas possible d’organiser des stages en responsabilité pour les 80 000 à 100 000 étudiants qui s’inscrivent en M1 en visant l’accès au métier d’enseignant. C’est impossible sauf dans quelques académies, ce qui créerait d’ailleurs une distorsion entre candidats. Or, on ne peut pas organiser sérieusement une formation professionnelle sans stage. Les candidats se focaliseront donc sur ce qu’ils croient qu’on attend d’eux au concours et bachoteront. On retrouvera ainsi dans les copies et lors des oraux beaucoup de stéréotypes d’une doxa répétés par des candidats qui croiront se donner ainsi les meilleures chances de réussite. Le concours en M1 conduit aussi à dissocier théorie et pratique dans l’approche de la formation. Tout cela avait contribué à un certain discrédit qu’avaient subi les IUFM.
En fin de compte, là comme avant 2009, la formation professionnelle proprement dite serait réduite à une année. Où est le progrès ? Une autre difficulté prévisible c’est le statut des étudiants de M2 lauréats des concours : ils seront à la fois étudiants et fonctionnaires-stagiaires. Ils relèveront d’une double autorité (État et Université) avec des conflits prévisibles entre elles.
Une année de formation, est-ce suffisant ?
En M2, il est à craindre que les étudiants, visant à réussir en priorité le stage en responsabilité, négligent la formation universitaire du master c’est-à-dire la recherche dans leur discipline et en éducation. Nous aurions ainsi un ersatz de master. Au total, cela donnerait une première année de master sans formation professionnelle, axée sur le concours, suivie d’une année de formation professionnelle sans les exigences d’un master… C’est dire que ce projet n’est pas du tout satisfaisant. Nous préconisons un concours d’entrée dans une école universitaire professionnelle au niveau de la licence suivi de trois années de formation : M1, M2, puis l’année de stage sous statut de fonctionnaire-stagiaire.
Ce serait quoi une bonne formation professionnelle ?
Il ne faut pas que le concours parasite la formation. Il doit donc être placé avant elle. C’est ce qui se fait quand on forme des ingénieurs, des médecins, des infirmiers-ières ou des contrôleurs aériens par exemple. Pour nous il doit donc être placé en fin de licence. Il faut ensuite deux années de formation professionnelle rémunérée en alternance, des stages d’observation, de pratique accompagnée et en responsabilité exploités en formation. Ces deux années seraient conçues comme un master cohérent délivré à travers des certifications semestrielles. Elles permettraient d’obtenir simultanément un certificat d’aptitude théorique au métier d’enseignant. Viendrait ensuite une année sous statut de fonctionnaire-stagiaire où les futurs enseignants seraient en stage en responsabilité toute l’année avec une décharge horaire importante. Ils obtiendraient alors un certificat d’aptitude pratique qui rendrait possible la titularisation immédiate.
Si le projet de concours en M1 était maintenu, on verrait paradoxalement un gouvernement de gauche qui raccourcirait la formation des enseignants ! En effet, la formation initiale ne durerait que deux années après la licence, alors qu’aujourd’hui, en droit sinon en fait, l’année de stage succédant au master, la formation initiale dure ainsi, en toute rigueur, trois années.
Mais n’est ce pas sacrifier la formation disciplinaire ?
Au contraire ! Pour garantir que les futurs enseignants non seulement possèdent les savoirs conceptuels et de méthode qu’ils devront transmettre mais les maitrisent et les dominent effectivement, il faut deux années pleines de formation après la licence, et deux années qui ne soient pas détournées de leur objet par la préparation du concours. Cela fait partie des enjeux de la formation des enseignants. En outre, nous n’opposons pas formation professionnelle et formation disciplinaire. Comprendre pourquoi tel concept ou telle œuvre sont difficiles à approprier par les élèves, les appréhender sous l’angle de leurs enjeux didactiques, c’est aussi un chemin efficace pour les approprier pour soi-même.
Nous prônons aussi une possibilité d’entrer en master professionnel de l’enseignement pour les titulaires de masters « recherche », directement au niveau du M2 avec un concours spécial.
Ne serait-il pas plus simple d’abandonner la masterisation qui complique, avec la formation à la recherche, la formation des enseignants ?
Surtout pas ! Cela couperait la formation de son lien organique avec l’université, que la Nation a voulu instaurer depuis 20 ans, dès la réforme de 1991, avec les IUFM dont le U dit ce lien. Du coup, cela priverait les futurs enseignants du lien avec la recherche en éducation, dans les disciplines et dans les sciences humaines. Or, comme le dit un texte du GRFDE à paraître bientôt, il s’agit de former des praticiens capables de concevoir leur enseignement de manière autonome, capables d’adopter une posture réflexive. Le lien avec l’université est la seule façon de garantir l’adossement de la formation à la recherche.
Justement les futures ESPE, autonomes, ne vont-elles pas distendre ce lien ?
C’est un risque sérieux si des universités importantes sont écartées de la politique académique de formation des enseignants. Le GFRDE préférerait des Écoles Professionnelles Interuniversitaires Académiques de Formation des Enseignants (ÉPIA-FdE) où serait garantie la cogestion interuniversitaire de la formation. Il s’agit de substituer la coopération à la pernicieuse concurrence actuelle. Mais il importe aussi de garantir aux ÉPIA-FdE des moyens humains et budgétaires à la hauteur de leurs missions de formation initiale et continue et de recherche. Du reste, probablement faudrait-il inventer un nouveau statut juridique pour ces écoles universitaires.
Faut-il une formation commune pour tous les enseignants ?
Oui, mais formation commune ne veut pas dire nécessairement formation en commun. Si l’on veut favoriser le travail en commun, il faut se rappeler l’expérience des modules communs au début des IUFM, qui avait été très décevante. Il faudrait imaginer des modules communs avec des enjeux forts pour la professionnalité des divers enseignants. Un exemple : un travail en commun entre futurs profs de maths et futurs PE sur la géométrie à la charnière CM2 – 6e.
Mais il faut aussi prévoir des dispositifs particuliers pour les personnes qui veulent se reconvertir après plusieurs années dans un autre métier. C’est pourquoi dans notre projet, outre le concours en L3 et le concours spécial pour entrer en M2 pour les détenteurs de masters recherche, nous avons a prévu une autre entrée dans la formation des enseignants, en s’inspirant de ce que le SNEP préconise, à savoir des concours donnant l’accès au M2 à partir de la VAE. C’est bien sûr une voie qui serait privilégiée par des professionnels qui voudraient s’orienter vers l’enseignement en lycée professionnel et devenir PLP.
Depuis la publication du premier argumentaire du GRFDE, dans le Café pédagogique du 19 septembre, avez-vous été reçus par l’équipe de Vincent Peillon ?
Non. Mais on n’a pas spécialement cherché à l’être. On ne veut pas se substituer aux syndicats, aux associations professionnelles et aux sociétés savantes, mais faire avancer la réflexion collective sur la formation. Les syndicats sont intérieurement en débat sur cette question et on cherche à favoriser ce débat. Mais si le ministère ou les élus veulent entendre nos points de vue, nous sommes bien sûr prêts à répondre à une invitation. C’est ainsi que le 27 novembre prochain trois membres de notre collectif seront reçus par une commission du Sénat qui travaille sur la question très importante des prérecrutements.
Quels obstacles voyez-vous à l’application de votre projet ?
Il y a des méfiances, notamment parmi des universitaires qui ont peur de voir s’affaiblir la qualité de la formation disciplinaire alors que, pour nous, comme je vous l’ai dit, c’est une dimension structurante de notre projet. Mais l’obstacle le plus important c’est sans doute ce à quoi pensent d’abord les responsables politiques, à savoir le coût budgétaire. Former jusqu’en M2 des jeunes sous statut d’élèves-professeurs rémunérés par des allocations d’étude, puis l’année suivante sous statut de fonctionnaire-stagiaire est coûteux surtout s’ils sont prérecrutés en amont, comme nous le souhaitons pour démocratiser le recrutement des enseignants. Mais on est en train d’estimer cela et, à première vue, le coût global devrait être comparable à celui de la formation qu’envisage Vincent Peillon. En effet, former au niveau M1 des milliers d’étudiants qui ne seront finalement pas recrutés implique de nombreux formateurs et en M2 les jeunes deviendraient des fonctionnaires-stagiaires avec un traitement et des cotisations sociales conséquentes (qui sont bien moindres pour une allocation sous statut d’élève-professeur).
Mais de toute façon, François Hollande a promis de donner la priorité à l’éducation. Dans cet esprit, la formation des enseignants est déterminante pour la réussite des élèves. On a vu par exemple quand Luc Ferry a testé l’enseignement dédoublé en cours préparatoire (avec les « CP renforcés ») qu’il ne suffit pas de mettre des moyens pour améliorer les choses. Si on veut une réelle démocratisation de l’École, il faut améliorer très sérieusement la formation des enseignants, initiale et continue. C’est la clé de tout.
Dans l’histoire de la formation des enseignants en France il y a eu deux modèles. Celui de l’école normale et la formation universitaire. Lequel est le bon ?
Il faut prendre le meilleur des deux. Si les écoles normales ont longtemps donné satisfaction c’est précisément parce qu’elles ne se limitaient pas à une formation pratique. Elles donnaient aussi une formation culturelle ambitieuse, que l’on peut apprécier par exemple à travers les monographies rédigées par les instituteurs. Ainsi, l’un des réformateurs de la formation des maitres sous la IIIe République, Ferdinand Buisson, ne voulait pas seulement que les instituteurs fussent de bons pédagogues, mais de vrais amoureux « pratiquants » des sciences et des arts. Pour lui, les deux choses allaient de pair. À partir de 1970, les instituteurs ont progressivement disposé d’une formation pratique plus longue encadrée par des profs du secondaire (les professeurs d’école normale) et des enseignants de terrain recrutés pour leurs compétences pédagogiques.
Ce système est aujourd’hui dépassé du fait du développement des formations professionnelles post-bac au sein de l’université. Mais, de plus, la réflexion pédagogique ne peut plus désormais se concevoir en dehors des exigences scientifiques de l’université et en rester aux observations et aux « tours de main » des praticiens. Qu’il s’agisse des didactiques ou de la pédagogie, ignorer la recherche qui se conduit à l’université ce serait compromettre la formation des praticiens réflexifs qu’il s’agit de former. On ne souffre pas de trop d’université mais de pas assez de recherche en éducation, en didactique et en pédagogie ! Ceci dit, il faut garder l’idée du travail d’équipes pluricatégorielles (avec des acteurs de terrain) ce que la masterisation a totalement cassé. Il est important que les stages des étudiants soient encadrés par des équipes pluricatégorielles avec, bien sûr, des tuteurs enseignants de terrain mais aussi des formateurs universitaires qui vont observer et aider les élèves-professeurs et les stagiaires dans les établissements scolaires. Réciproquement, il faut que les praticiens formateurs interviennent régulièrement dans les masters.
Le vivier de formateurs est-il suffisant ?
Dans le primaire, en gros, oui car il y a de nombreux maitres formateurs PEMF qui n’ont pas ou plus de poste fléché « formation » du fait de la réduction de la formation initiale et continue. Il serait facile de les remobiliser en recréant les décharges nécessaires. Dans le secondaire, c’est différent car les conseillers pédagogiques n’ont pas de réel statut. Mais ce serait une mesure simple et utile d’y établir un statut en s’inspirant de celui des PEMF.
N’est ce pas utopique que d’inviter des étudiants à faire un bac plus 6 pour gagner un salaire d’enseignant ?
Évidemment, c’est un problème. Mais se former à Bac + 6 pour pouvoir enseigner, c’est déjà le cas aujourd’hui à la suite de la réforme dite de la mastérisation. Mais, quant à la reprise de notre projet, c’est peut-être ce qui retient le plus les responsables gouvernementaux car un tel niveau de qualification implique logiquement, à terme, une revalorisation salariale. Dans l’immédiat, on peut dire cependant que le métier reste attractif pour des jeunes qui veulent transmettre l’amour de leur discipline ou qui veulent contribuer à l’effort d’éducation de notre pays. Il le serait davantage s’ils bénéficiaient d’une formation rémunérée dès la licence et de prérecrutements.
Propos recueillis par François Jarraud
Parmi les signataires du manifeste du GRFDE on note par exemple les noms de JL Auduc, E Bautier, Jean Bernardin, S Boimare, R Brissiaud, F Dubet, A Fetet, J Fijalkow, R Goigoux, D Manesse, P Meirieu, P Rayou, B Robbes, JY Rochex.