Et si les ateliers d’écriture permettaient à l’école d’offrir une approche valorisante et « personnalisée » de la littérature ? Trois professeures de Lettres, une formatrice en FLE et une écrivaine ont accepté de faire part de leurs expériences au Café pédagogique. Si les approches et les objectifs sont chaque fois différents, ce qu’il y a en commun dans ces ateliers, c’est qu’il s’y joue bien plus que l’apprentissage (raisonné) d’une langue : des rencontres avec les autres et avec soi, une confrontation avec les mots et ce qu’ils peuvent susciter d’émotions et de batailles pour les modeler. L’école a beaucoup à gagner à travailler avec des écrivains, des bibliothécaires, des critiques … pour s’ouvrir à la littérature, notamment contemporaine, qu’elle soit de papier ou numérique. En témoigne Ariane Bach, professeure de Lettres modernes au lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles (95). Elle a proposé à des élèves de seconde d’établir l’édition critique numérique d’un récit contemporain, Les Onze, de Pierre Michon. Elle animera un atelier au PNF Lettres de novembre à la BnF pour relater cette expérience. Et si les élèves au lieu de consommer des « petits classiques » se mettaient à fabriquer des « petits contemporains » ?…
Comment vous est venue cette idée, et pour quel objectif ?
L’idée était de solliciter l’appareillage critique du texte, pour faire émerger des clés de lecture au fur et à mesure du travail. En effet les élèves connaissent bien les éditions commentées, puisqu’ils les fréquentent assidument au cours de leur scolarité. Je leur ai demandé ici d’en produire une à leur tour. Les TICE ont été largement utilisés dans ce projet, afin de faciliter une approche collaborative du travail sur le texte en classe (Interfaces d’écriture collaborative, site de publication en ligne, carte heuristique). Ce projet a pris place dans le cadre de l’enseignement d’exploration, et a fait l’objet de trois interventions d’un critique littéraire (grâce à la subvention dévolue pour une classe à Projet Artistique et Culturel) pour éclairer les enjeux d’un texte d’accès ardu.
L’idée m’est venue en lisant le récit de Pierre Michon : Les Onze met en effet en scène une période historique tourmentée, que le professeur d’histoire pouvait éclairer dans le cadre bidisciplinaire de l’enseignement d’exploration « Littérature et Société » ; l’Histoire des Arts, dont l’enseignement a été formalisé en 2011 par les Instructions Officielles, constituait aussi un axe important de la recherche, puisque l’intrigue du récit tourne autour de l’exégèse d’un tableau mettant en scène une représentation solennelle du pouvoir à travers « les onze » du Comité de Salut public ; enfin, une problématique littéraire et très contemporaine émergeait de cette réflexion, puisque le tableau dont il est question est en fait imaginaire, et que c’est une représentation fantasmée de l’Histoire, que l’auteur joue à mettre en scène. Le travail d’annotation du texte touchait donc plusieurs domaines : histoire, français, histoire des arts. Le fait que ce travail soit effectué de façon numérique a été un formidable catalyseur pour les élèves : même ceux qui s’estimaient en difficulté ont joué le jeu.
Qu’est-ce que la littérature contemporaine peut « dire » à nos élèves selon vous ? Auriez-vous des exemples de livres que vous feriez lire ?
La littérature contemporaine n’est pas plus facile d’accès que la littérature patrimoniale, contrairement à ce que nos élèves peuvent penser (en témoignent les textes très ambitieux de Pierre Michon par exemple)… En revanche, elle est en prise avec des problématiques actuelles, susceptibles de provoquer une réaction chez des lecteurs encore peu experts.
J’aime bien proposer à mes élèves de Sarcelles des œuvres actuelles, produites par des auteurs étrangers de langue française, ou ayant des racines à l’étranger (Andreï Makine, Ahmadou Kourouma, Shan Sa, Tahar Ben Jelloun, Azouz Begag…). C’est la plupart du temps leurs propres origines qui déterminent le choix du livre, plus que l’intrigue en elle-même ; mais à la lecture ils trouvent parfois bien d’autres choses que ce qu’ils étaient venu chercher au départ… Une fois que la brèche est ouverte, on peut les amener plus facilement vers des œuvres du patrimoine, qui leur paraissent si éloignées de leurs préoccupations a priori.
Loin de moi cependant l’idée de ne considérer la littérature contemporaine que comme un outil pour accéder à la littérature classique ! Elle est le fruit d’un héritage littéraire, et à ce titre, a parfaitement sa place dans le cours de français.
Quels conseils/remarques adresseriez-vous à des collègues qui voudraient à leur tour mener une entreprise semblable ?
En tant qu’enseignants de lettres, on a parfois l’impression (erronée !) d’être peu armés pour étudier la littérature contemporaine en classe. Il me semble qu’il ne faut pas hésiter à faire appel à des partenaires extérieurs (écrivains, critiques littéraires…) qui apportent un regard neuf sur un objet neuf. L’expérience est infiniment profitable aux élèves, mais elle l’est aussi pour l’enseignant…
Avez-vous déjà travaillé en collaboration avec un écrivain ? Dans quelles conditions ?
Mon lycée a accueilli un écrivain en résidence, en 2009/2010, Frédéric Richaud. Depuis, je n’hésite pas à faire appel à des auteurs ou des critiques pour venir faire partager leur enthousiasme aux élèves, leur montrer que la littérature est quelque chose de bien vivant et qui nous concerne tous.
Dossier réalisé par Delphine Regnard et Jean-Michel Le Baut
Le site et le programme des ateliers du PNF Lettres à la BnF et au CNAM
Le blog collaboratif Eprises de réel
Une expérience d’édition critique d’une pièce de Marivaux
A suivre jeudi prochain : Malaxer la langue, même en FLE