Alors que le ministère annonce le retour de la scolarisation à 2 ans, les enseignants ont-il quelque chose à dire sur la toute petite enfance ? Les enjeux éducatifs sont-ils toujours prioritaires dans sa prise en charge ? Quels sont les différents partenaires concernés ? Comment travaillent-ils ensemble sur le terrain ? Autant de questions qui, à défaut d’être élucidées en 2 jours, ont eu le mérite d’être posées par le colloque sur la petite enfance de l’IREA, un institut de recherche du SGEN-CFDT les 8 et 9 novembre. La diversité des intervenants a permis d’apporter des points de vue complémentaires, parfois contradictoires. A la tribune, des spécialistes de la prise en charge du jeune enfant : enseignants, chercheurs, élus, directeurs de villes en charge de l’enfance, syndicalistes, inspecteurs de l’Education nationale, éducateurs…
Un colloque sur la petite enfance organisé par un syndicat d’enseignants, cela peut surprendre au premier abord mais au moment où on travaille sur la refondation de l’école primaire et de la maternelle en particulier, il n’est pas illégitime que des enseignants s’intéressent à ce qui se passe avant l’école maternelle et ainsi avoir une vision plus globale de la question. Pour Jean-Luc Villeneuve, président de l’IREA, « ce colloque est là pour contribuer à la réflexion générale sur la petite enfance. De nombreuses institutions se côtoient dans ce domaine vaste et fluctuant. Il parait nécessaire aussi pour l’Education nationale de (re)penser l’accueil des 2-3 ans… » Et dans l’assistance, il y a plus de personnels de la petite enfance ou de services municipaux que d’enseignants (vacances obligent ?).
Quels objectifs attribuer à la prise en charge de la petite enfance ?
Michel Dollé, économiste du CERC (Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale) introduit le propos en parlant des objectifs que les sociétés se fixent pour la prise en charge de la petite enfance. « Un des premiers et qui représente une dimension importante, c’est tout simplement de permettre aux femmes de travailler. Les enjeux éducatifs arrivent en deuxième position. » C’est dit. Il définit ensuite une série de notions pour tenter un panorama de la prise en charge de la petite enfance : éducation, développement de l’enfant, politiques publiques, égalité des chances. Selon la DREES (Direction de la recherche du ministère de la santé) dans les familles riches on utilise 3 fois plus la crèche et l’école que dans les familles pauvres. La France investit peu dans la petite enfance : le rapport est de 1 enseignant pour 19,7 élèves à l’école primaire (sans distinction possible entre la maternelle et l’élémentaire) alors qu’il est inférieur à 10 élèves au lycée ! M. Dollé soulève un certain nombre de questions, plus ou moins éludées mais qu’il faudra sérieusement se poser. Par exemple : A partir de quel âge un mode de garde extérieur à la famille ? Le congé parental, pour qui, combien de temps…? « On incite au retrait d’activité, mais est-ce un véritable choix ? » se demande t’il. Le manque d’offre ou des offres mal adaptées aux contraintes des familles sont criants. Et sur l’école : « Développer l’accueil à 2 ans sans changer le taux d’encadrement et transformer les pratiques n’est pas une bonne solution. » Un petit pavé dans la mare qui va faire réagir Viviane Bouysse.
Quels repères dans l’histoire de plusieurs pays ?
La deuxième conférence animée par Anne Marie Chartier, historienne de l’éducation, va fixer des repères historiques et comparer les prises en charge dans différents pays du monde. Dans de nombreux pays émergents, la prise en charge pré-scolaire ou scolaire est faite par des organisations non gouvernementales. On est sur des politiques sociales et non pas éducatives. « Dans certaines cultures, confier son enfant à une personne extérieure à la famille est blâmable. Rejet ou dénégation sont des perspectives certes archaïques, mais comment faire entrer dans la tête des familles défavorisées ce qui est l’idée de la culture dominante en Europe. On demande à ces pays de faire en quelques années ce que nous avons fait en un siècle. » En Allemagne, Froebel est à l’origine des jardins d’enfants, initialement modèle d’accueil des jeunes enfants des milieux populaires, basé sur le jeu, les relations sociales, l’enrichissement culturel. « Il est récurrent de constater que les modèles conçus pour les classes populaires deviennent de magnifiques modèles pour les familles culturellement aisées ! », précise la conférencière. Les jardins d’enfants sont d’inspirations très diverses : catholiques, protestants, influencés par les travaux de Pestalozzi, Montessori ou Steiner. Il ne s’y pratique pas d’apprentissage de la lecture ou de l’écriture. On s’adapte aux capacité d’attention du jeune enfant qui ne fréquente que par demi-journée.
En Italie, il y a des expérimentations d’accueil de la petite enfance dans les villes « rouges » avec des lieux phares (ailleurs, c’est toujours l’église qui est prépondérante). On apprend aux enfants à discuter entre eux, en italien. L’objectif est la socialisation mais pas l’apprentissage de la langue. En Belgique, avec ses 3 secteurs, ses 3 langues, il y a 3 organisations : des établissements publics, libres subventionnés et libres non conventionnés. Co-habitent des modèles froebellien et français, avec des métiers différents non tranchés. « La question des formations et des métiers est transversale, elle se pose dans tous les pays. »
Quelles connaissances actuelles sur le développement du petit enfant ?
Les travaux reprennent avec Agnès Florin, psychologue du développement, à qui on a demandé de présenter l’état des recherches sur le sujet. Elle est passionnée par son sujet et l’illustre de nombreux exemples. « Nos connaissances sur le bébé ont beaucoup évolué depuis quelques années. Notre regard sur lui a changé, on sait depuis « Le bébé est une personne » qu’il a des compétences cognitives, émotionnelles beaucoup plus grandes qu’on ne l’avait imaginé ». Dès les premières semaines de la vie, il est curieux et va s’intéresser plus à ce qui est nouveau qu’à ce qu’il connait déjà. La permanence de l’objet est bien antérieure à ce que Piaget avait conçu à l’époque. Il se différencie d’autrui : il fait la différence entre une stimulation sur la joue de lui même ou d’un autre, si un objet bouge seul ou sous l’effet d’une action de son corps. « Les compétences des enfants sont celles que les adultes sont capables de leur reconnaître. Il faut être attentif à leur appétit et ce, d’autant plus à l’école que la famille ne peut le faire à la maison. »
Agnès Florin distingue les aspects cognitifs et conatifs du développement de l’enfant. Le développement cognitif en paliers, plus ou moins réguliers, tel que supposé autrefois, « aujourd’hui moins qu’hier et plus que demain » est un peu dépassé. On sait maintenant que le développement est plutôt « biscornu », comme le dit Olivier Houdé. Les aspects conatifs du développement sont ceux qui font référence à l’estime de soi, le sentiment de compétence, la motivation. Ils sont au moins aussi importants que les précédents ! Un autre point essentiel et peu travaillé à l’école est la théorie de l’esprit, la découverte de la pensée et des états mentaux : comprendre les désirs et les croyances d’autrui, le fait que les personnes agissent en fonction de ce qu’elles croient et non pas de la réalité ou de ce que les enfants croient, eux. Que peut-on faire à l’école maternelle ? « Il faut des interactions fortes entre les différents milieux de vie de l’enfant. Et surtout, plutôt que de voir une norme de développement, voir l’enfant tel qu’il est, avec ses compétences et ses difficultés. Ne pas le « découper en tranches », lui porter une attention individuelle, lui proposer des situations en adéquation avec ses potentialités. »
Défense et illustration de l’école maternelle…
Viviane Bouysse, inspectrice générale de l’Education nationale, enchaine avec, elle aussi, beaucoup de conviction. « Même si le rapport que j’ai co-piloté ne la ménage pas, je défends l’école maternelle. » Pour mieux la transformer ? Pourquoi la défendre : parce que c’est un service public, gratuit, dont on contrôle et évalue la qualité et qu’on y fait faire des apprentissages. Elle fait partie du système éducatif dont elle a les contraintes. C’est un mode d’accueil collectif. « Presque 100% des enfants sont accueillis quelque part. On peut la critiquer mais si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer ! Il faudrait plutôt nous réjouir de ce qu’elle existe. » Elle a beaucoup évolué ces dernières années. La conviction qu’on peut contrecarrer les inégalités par une prise en charge précoce en Education prioritaire date des années 1981-82. Un rapport sur la prévention de l’illettrisme, sous le ministère Chevènement, en 1984, le développement des bibliothèques centres documentaires (BCD), de la littérature jeunesse font qu’on met en avant la culture de l’écrit à l’école. En 1989, on solidarise la maternelle au primaire avec la politique des cycles. Cela rejaillit sur ce qu’on va faire à l’école maternelle.
Dans la foulée, on définit des compétences de fin de cycle, c’est-à-dire ce à quoi on veut aboutir en fin de parcours, mais le chemin pour y parvenir n’est pas défini, à une période en plus où la formation initiale et continue des enseignants déclinent. « Pour valoriser l’école maternelle, on insiste sur le fait qu’elle est une école. Mais quand on parle d’apprentissage, on pense aux apprentissages formels, qu’on introduit beaucoup trop tôt, le programme PARLER par exemple. De plus on ne connait pas les relations de causalité des apprentissages de la conscience phonologique et du code alphabétique sur l’apprentissage ultérieur de la lecture et de l’écriture et sur leur réussite… »
On est allés trop loin, dit-elle. La salle approuve. « Il ne faudrait plus raisonner de l’aval vers l’amont, ce qu’il faudrait qu’ils sachent avant d’arriver au CP, mais inverser la logique, partir de ce qu’est l’enfant et le mettre en situation de progresser, prendre des initiatives, agir, créer, dans des conditions d’activités stimulantes. Les enfants petits n’apprennent pas en exécutant des consignes ou en écrivant sur des fiches… ». C’est dit aussi, même si les éditeurs éditent des fichiers, que les parents veulent des preuves qu’on a travaillé et que les fiches écrites en sont…
Mais comment s’y prendre avec 28 élèves ? C’est une question d’organisation, il faut que l’enseignant trouve du temps pour gérer des petits groupes de langage. Le chantier est complexe. Le rapport préconise que l’école maternelle doit se tourner vers d’autres professionnels, pourquoi pas des éducateurs de jeunes enfants dans les classes de petits, comme dans les classes passerelle. Viviane Bouysse en terminant souhaite donner toute sa force au verbe « refonder » et rendre hommage à tous les enseignants qui au quotidien font fonctionner l’école maternelle.
Le dialogue avec la salle et les autres intervenants fait préciser les propos des intervenants. Il est nécessaire de parler avec les enfants, parler le monde, la vie, ne pas apprendre des listes de mots, ajoute Agnès Florin. Viviane Bouysse renchérit : « L’enseignant doit engager des conversations, qui n’ont rien à voir avec les questions-réponses didactiques classiques. La formation de tous les enseignants devrait contenir des apprentissages de cet ordre ». Tout le monde semble d’accord pour ne pas « spécialiser » des enseignants d’école maternelle mais fournir à tous des contenus de formation sur l’enseignement du langage. Ce serait bénéfique aussi pour l’école élémentaire ! Il est question d’évaluation avec un participant se référant à la didactique professionnelle : « Elle est faite pour rendre compte, mais aussi pour se rendre compte ». « Et rendre des comptes », dit Viviane Bouysse. Attention « Quand on tire le fil de l’évaluation, on détricote le fil de la pédagogie. » La question des formations est encore abordée par Viviane Bouysse : « Il y a des choses pas compliquées à faire… associer des enseignants et des EJE dans des formations ». Mais les institutions ont tellement l’habitude de fonctionner en parallèle !
A la question posée de la salle sur la scolarisation des 2 ans ou plutôt des moins de 3 ans, Viviane Bouysse accepte de se positionner. Depuis les coupes sombres du précédent gouvernement, 10 à 11% des enfants fréquentent la petite section, au lieu de 30% il y a quelques années. « Les scolariser dans n’importe quelles conditions n’est pas envisageable, affirme-t’elle. Il faut être audacieux ! Mais la scolarisation n’est pas non plus la circonscription ! Qu’est ce qui empêche de mélanger les âges dans les classes, les petits apprennent des grands et inversement, on l’oublie parfois… Il faut aménager le temps, les matériels, organiser des classes multi-âges, toute petite, petite et moyenne sections. Les 3 enseignants travaillent ensemble et ils y gagnent en temps de préparation. Cela suppose une organisation très pensée, on équilibre les moments de prise en charge différemment pour accorder du temps aux petits le matin par exemple. Ce sont des choix d’écoles à faire. » Une inspectrice qui ne juge pas, qui propose des pistes, c’est encore une chose rare à souligner.
Quelles politiques publiques et quelles interactions entre les acteurs sur les territoires ?
La réalité est contrastée, donner la parole au local semble nécessaire pour mieux comprendre comment ça se passe sur le terrain. La table ronde rassemble Jocelyne Cabanal, déléguée CFDT à la CNAF, Yannick Nadesan, conseiller municipal de la ville de Rennes chargé de la petite enfance et Nicole Geneix, qui a quitté l’Education nationale pour devenir directrice de l’éducation de la ville d’Istres.
Selon Jocelyne Cabanal, le premier constat est que partout sur le territoire, l’offre n’est pas suffisante et qu’elle est à la fois très concentrée (dans les grandes villes)et très dispersée (le milieu rural est défavorisé, pour faire vite), même si la couverture a cru depuis 2007, selon le rapport de la Caisse d’allocations familiales. La CNAF, qui a un budget social de 77 milliards d’euros, a vocation à soutenir les projets locaux, elle ne peut travailler seule et a besoin d’un engagement des collectivités à ses côtés.
Justement, la ville de Rennes est une collectivité qui s’engage, avec des situations vraiment innovantes. Yannick Nadesan met en avant des interactions nombreuses avec de nombreux partenaires différents. Une ressource locale associative forte et un réel partage de valeurs entre associations et mairie font avancer les projets. A l’arrivée d’acteurs privés dans le secteur, cela change la donne car les objectifs des uns et des autres sont parfois contradictoires et rendent le dialogue difficile. Lors d’un projet de crèche multi-entreprises dans un quartier nouveau de la ville, un entrepreneur de la grande distribution y voit l’occasion de faire travailler ses caissières plus tard le soir, par exemple. Alors un travail de fond s’engage pour ré-orienter vers plus d’éducatif. D’autres projets, la ville en a : une crèche publique partagée avec l’hôpital qui amène à s’interroger sur l’accueil d’enfants handicapés et les réponses à apporter aux horaires décalés des parents, le fonctionnement de 9 classes passerelles, qui peuvent constituer des modèles desquels s’inspirer pour travailler entre catégories professionnelles.
Nicole Geneix, quant à elle, s’intéresse à tous les petits moments du quotidien d’une école maternelle (les repas, la sieste, l’accueil du matin, la vêture des enfants…) toutes ces petites choses qui peuvent être source de malentendus avec les familles, si elles ne sont pas travaillées entre professionnels, discutées avec les familles. « S’occuper du bien-être des enfants, s’emparer de sujets tels que le bruit dans le restaurant, la pudeur aux toilettes… ces petits sujets de la vie quotidienne seraient des objets de travail de tous les acteurs, les profs d’écoles, les EJE mais aussi les ATSEM, dans des formations conjointes, pour déconstruire les représentations qu’on a des familles. Une norme culturelle moyenne est en vigueur, mais il ne faut pas porter de jugement sur les familles… » Nicole Geneix pense que pour faire avancer les choses, il faut s’intéresser aux sujets du quotidien, penser à l’architecture, au mobilier, au bien-être des adultes également parce que les souffrances infligées aux enfants le sont indirectement aux personnels. Elle estime que pour un service public de la petite enfance, il faut vraiment une impulsion de l’état, et ensuite penser l’articulation du pilotage entre le national et le local, entre les différents services de la même ville aussi…
La seconde journée voit le débat passer sur le terrain syndical et politique à propos des métiers de la petite enfance.
Le point de vue du pédopsychiatre
La co-éducation, le partenariat peuvent être sources de conflit, mais la contradiction est utile pour se construire, dit Frédéric Jesu, pédopsychiatre et militant des droits de l’enfant, devant une assistance plutôt clairsemée ce 2ème jour et constituée de personnels petite enfance majoritairement. Il affirme d’emblée que la co-éducation ne va pas de soi. La notion de conflit potentiel existe réellement. En effet, dans le paysage, les personnages de l’accueil sont multiples, les lieux aussi. Au sens large, il faut aussi prendre en compte les employeurs, la famille proche, les collectivités… « On attend donc une cohérence entre ces différents milieux, entre tous ces adultes. Le petit enfant est particulièrement sensible aux contradictions, aux incohérences qui peuvent exister entre ses parents, entre ses parents et les professionnels, entre les différents professionnels… On commence à mieux comprendre que « ce qui se fait pour les personnes mais sans elles risque de se développer contre elles» et qu’il faut travailler avec les parents. Leur place est encore marginale dans les structures, il plaide pour leur participation à la réflexion et à l’évaluation des projets des structures. En terminant son propos, il revient sur les tensions de l’éducation : tenir et lâcher, accompagner et émanciper. « L’enfant se développe entre le « je » et le « nous ».
Derrière les différents métiers de la petite enfance, quels enjeux, quelles similitudes, quelles complémentarités ?
L’animatrice de la table ronde, Claude Azéma, membre de l’IREA, tient à préciser le caractère « précaire » du métier d’assistante maternelle. Une conseillère technique, une éducatrice de jeunes enfants, une enseignante de maternelle vont se succéder pour parler de leur coeurs de métiers respectifs.
Viviane Durand, conseillère technique à la Direction des familles et de la petite enfance de la ville de Paris, a connu tous les métiers et tous les échelons dans une carrière riche consacrée à la petite enfance. Le cadre de travail de tous les personnels est défini dans un décret de 2000, modifié en 2010, qui fait polémique en ce moment. Il précise que les établissements élaborent un projet éducatif (accueil, soins, développement, éveil, bien-être) et social. Les enfants handicapés et malades sont accueillis. Les prestations proposées, l’encadrement par les professionnels, la place des familles et les modalités de relations avec les services extérieurs… tout cela y est fixé. Pour se recentrer, au-delà des différents statuts des personnels, sur le coeur du métier, la conseillère a initié un travail de plusieurs années avec des spécialistes. Cela a abouti à un référentiel de pratiques qui est devenu, grâce à la volonté de certains à la municipalité et au syndicat, un document de référence diffusé dans toutes les structures de la ville de Paris.
Christelle Hoeke est éducatrice de jeunes enfants et illustre par de nombreux exemples le travail exemplaire fait en direction des familles dans la structure où elle travaille et dans le centre social dont elle est responsable : accueil de parents handicapés, malvoyants, sourds, malades ; mise en place de travail en réseau avec les secteurs du centre social, la ludothèque ; ouverture sur des tranches horaires larges? Elle part du principe que les parents connaissent bien leur enfant et apportent des connaissances sur eux qui vont aplanir les difficultés d’adaptation. De par leurs propres métiers, ils apportent aussi au collectif.
Isabelle Racoffier, présidente de l’AGEEM (Association générale des enseignants et enseignantes d’école maternelle) parle des tensions qui peuvent exister dans le travail entre enseignantes et ATSEM (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles), en prenant appui sur sa propre expérience. Les ATSEM sont sous la responsabilité fonctionnelle du directeur d’école durant leur temps de travail mais dépendent du maire de la commune. C’est parfois difficile de régler des conflits à l’interne. Si les choses ne sont pas suffisamment pensées en amont, les intérêts particuliers des unes et des autres, parfois contradictoires, peuvent créer des tensions. Parfois ce sont des relations interpersonnelles compliquées qui peuvent se faire jour. Cependant il faut constater que certains parents, éloignés de l’école, préfèrent s’adresser à l’ATSEM (plus proche d’eux ?) qu’à l’enseignante et les enfants ne font pas la différence entre la maitresse et la « dame qui porte une blouse ». Souvent tout est fait pour donner aux ATSEM l’aspect « maternel » et corporel et aux enseignants le « paternel » et le développement de la « tête ». « Il manque du temps pour échanger, expliquer les objectifs pédagogiques de tel ou tel projet ou d’un changement d’organisation au sein de l’école. » dit Isabelle Racoffier.
Quelles priorités pour l’action politique, syndicale, associative ?
Antoine Prost anime la dernière table ronde qui donne la parole à Thierry Cadart, encore secrétaire général du SGEN-CFDT, à Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE et à un élu et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit d’Yves Fournel, adjoint au maire de Lyon, président du réseau français des villes éducatrices, qui oeuvre depuis longtemps dans le domaine de l’éducation.
Thierry Cadart balaie l’état de la réflexion du SGEN sur de nombreux sujets abordés pendant ces 2 jours. « Le syndicat est attentif à la scolarisation précoce en Education Priroritaire, aux liens, aux transitions. Les classes passerelles sont une réponse efficace. La prise en compte des rythmes des enfants est à considérer avec les contraintes de la société. La question de l’articulation est primordiale et l’outil PEL paraît très pertinent dans le cadre d’un service public de la petite enfance. » Par rapport à la place de la grande section, il trouve qu’un cycle spécifique maternelle mettrait celle-ci à l’abri de l’école élémentaire mais la liaison entre les deux avec une place singulière à la GS est intéressante aussi… La question de la formation spécifique des enseignants d’école maternelle : il est bénéfique d’avoir un cadre spécifique d’exercice du métier mais pas question pour lui d’un « corps » à part, le SGEN militant depuis longtemps pour un corps unique de professeurs de la maternelle à l’université.
Jean-Jacques Hazan passe en revue les positions de son organisation sur : le droit des parents d’inscrire leur enfant à l’école avant 3 ans, la question du temps de l’enfant, la conception de l’école (« Revenir à une Ecole de la créativité et de l’inventivité, notions plutôt malmenées ces dernières années. »), la place des parents (« Ne pas expliquer ce que l’école attend d’eux mais leur demander ce qu’ils en attendent »), le service public de la petite enfance (« Ne laisser personne sans solution. »).
Le discours d’Yves Fournel est d’emblée très politique.
« L’accueil de la petite enfance est un enjeu de société majeur pour la nation tout entière, un enjeu éducatif global, un enjeu aussi pour les parents qui investissent beaucoup sur leurs enfants. C’est le premier motif de regroupement des petites communes. » « Il est indispensable d’avoir une vision globale des 0-6ans et de penser un passage progressif vers l’école en fonction de la maturité de l’enfant et la volonté des parents. » Il ose des positions fermes et tranchées. « Il faut déjà tirer le bilan de la politique petite enfance. On glisse de plus en plus vers le secteur privé lucratif. On ne peut pas continuer de financer service public et crèches privées, équipements publics et prestations individuelles (aussitôt reversées au secteur privé). Comme est bâtie la politique familiale en France, elle ne correspond plus au principe de justice sociale. Deux logiques s’affrontent, le marché ou le service. Il faut remettre à plat les financements. Il y a 300 000 places à créer. J’ose avancer qu’un service public diversifié ne coûterait pas plus cher ! On a fait un pas avec l’appel de Bobigny (Un des objectifs est : définir un projet éducatif global ambitieux pour l’enfance et la jeunesse sur tous les temps et les espaces éducatifs et sociaux). Il faut aller plus loin maintenant dans nos discours et nos pratiques. Il faut du courage politique. »
Il explique ce que serait un service public de la petite enfance avec partage de responsabilités et un « chef de file », communalité ou intercommunalité. Il le nomme « un service public local ». « Le Parlement doit définir une charte nationale sur 4 critères de formation des personnels, qualité de l’accueil, projet d’établissement et ouverture à tous les enfants. L’Etat garantie la qualité. Ensuite une articulation serrée est nécessaire entre tous les échelons et partenaires locaux ». Et peu importe si l’action est cadrée dans un PEL ou un « projet social et éducatif de territoire ». Il préfère parler d’articulation entre projet Petite enfance et PEL pour les 3-16 ans car « on ne saurait traduire en réponses formalisées et outils opérationnels un PEL 0-16 ans ». La discussion devient technique… et pourtant tellement utile pour rendre concrets les grands discours ! Il continue, intarissable, avec encore des questions ou des affirmations. Les crèches sont-elles adaptées à l’accueil des 3 ans ? Ne peut-on envisager la création de jardin d’enfants (taux d’encadrement de 12enfants) ? « Le débat n’est pas mûr mais il faudra le mener, c’est un vrai débat ». Pour lui, il ne faut pas remonter le taux de scolarisation des moins de 3 ans uniquement en Education prioritaire, mais partout, avec un effort particulier en EP. Il faut développer des recherches-actions, travailler tous ensemble en s’appuyant sur la recherche.
Il termine : « C’est une ré-orientation radicale, même si tout ne sera pas accessible partout d’un coup. Il faut considérer cela comme un processus en marche. Si on ne va pas jusque-là, on ne va rien changer ! »
Le mot de la fin revient à Jean-Claude Emin qui pose un regard sur le colloque.
Il précise que pour lui, c’est bien au niveau national que se jouent les leviers de la politique Petite enfance mais c’est sur un territoire qu’on assure la pérennité, la qualité. « C’est là que l’on traite bien ou pas l’enfant, que se gèrent les tensions, le fonctionnement en réseau… ». En ce qui concerne la formation des différents professionnels, il espère qu’elle sera là pour « former, trans-former ? » Ce ne sera pas une synthèse, impossible à réaliser, le colloque pose beaucoup plus de questions qu’il n’évoque de réponses, en tout cas de réponses toutes faites. On voit que les sujets sont sensibles, les choix pas encore arbitrés, les intérêts parfois divergents, les avis nuancés…
Isabelle Lardon