Catégorie un peu à part parmi les enseignants, les professeurs d’EPS bénéficient d’une formation spécifique qui associe étroitement les savoirs disciplinaires et la formation professionnelle. Claire Pontais, secrétaire nationale du Snep Fsu, le syndicat des professeurs d’EPS, précise comment son syndicat, qui dans le passé a largement contribué à nourrir l’organisation de la formation des professeurs d’EPS, se positionne sur les enjeux du débat sur la formation de tous les enseignants.
Quels constats sur les réussites et les difficultés de la formation des enseignants ?
Si l’on met de côté la « mastérisation » qui n’a été qu’une attaque sauvage, violente et méprisante du métier, le bilan est complexe et contradictoire. Difficile aussi parce qu’il y a une histoire différente suivant les corps d’enseignants : les PE, les PLP, les profs EPS et les profs des lycées agricoles avaient des formations spécifiques bien avant la création des IUFM. En EPS, après avoir été formés sur le modèle des médecins (après classe prépa), nous avons depuis 40 ans une formation professionnelle au sein de l’Université. Nous ne sortons évidemment pas avec les mêmes connaissances et compétences qu’un professeur qui a suivi une formation académique.
Au plan le plus général, il faut rappeler deux choses qui jusqu’à présent sont sources de difficulté :
– Former un enseignant est un processus long qui ne peut se limiter à une année de stage, ni même à un master. Toutes les formations s’allongent sous l’effet de l’augmentation des connaissances et de la nécessité d’être de plus en plus compétent face aux problèmes à résoudre. Si l’on compare la formation des enseignants avec les formations d’autres métiers de conception (qui sont des formations d’élites), le temps consacré à la formation des enseignants est ridiculement bas. Il faut donc allonger et enrichir la formation initiale (de la Licence à l’entrée dans le métier) et redynamiser impérativement la formation continue.
– La plupart du temps, les étudiants ou stagiaires sont insatisfaits de la formation, notamment dans le lien théorie-pratique. Alors que la mission des enseignants est de faire acquérir à tous et toutes la culture nécessaire à une vie active, citoyenne, nous avons une difficulté à lier intimement les connaissances de cette culture à transmettre, et la façon de les transmettre. Traditionnellement, en France, on oppose l’un à l’autre, et ce qui se fait en faveur de l’un est vécu au détriment de l’autre. De fait, c’est souvent vrai concrètement, et les IUFM n’ont pas toujours réussi ni souhaité changer de modèle. Il faut sortir de ce schéma. Il est étonnant de constater que dans d’autres milieux, la question est réglée : que l’on prenne le cas des ingénieurs ou des médecins, les deux, théorie et pratique, discipline et intervention, sont intimement liées.
Successif, intégré ? Quels acquis vous semblent réels dans la formation des enseignants d’eps, en termes de contenus, de cursus ou de type de formateurs ?
Pour nous il faut donc changer de modèle et construire une formation dite « intégrée ». Cette intégration n’est pas un simple relookage de certains cours, et nous affirmons d’emblée qu’il est hors de question pour nous de batailler idéologiquement pour le pédagogique ou pour le disciplinaire. Nous devons être exigeants sur les deux. Or on voit dans discussions en cours, que nombre d’organisations ou de personnalités restent sur ce registre, bien que leur discours affirme vouloir y échapper. Beaucoup proposent encore un modèle successif, (disciplinaire d’abord, de niveau licence (c’est-à-dire insuffisant selon nous), et formation professionnelle ensuite ou un modèle simultané qui introduit en parallèle des cursus des modules dits de « pré-pro ». Le « parallèle » ne permettant pas de faire le lien entre les deux.
Quelques disciplines universitaires, dont la nôtre (STAPS) ont des expériences différentes et sont, étonnamment, reconnues comme pertinentes. La formation des enseignants d’EPS est souvent décrite comme exigeante au niveau des connaissances (une majorité de Bac S y réussit) et de la formation pratique à l’intervention. Très concrètement, notre discipline universitaire (STAPS et non EPS comme on pourrait le penser) est organisée en filière dont l’une « éducation-motricité » est spécifiquement prévue pour devenir enseignant tout en permettant la poursuite d’étude (thèse). Les autres filières étant celles pour le management du sport, les activités adaptées pour le handicap et l’entraînement sportif de haut niveau. Cela nous semble très important que tout étudiant puisse identifier clairement un parcours dont l’objectif est l’enseignement, quelle que soit la discipline. C’est plus difficile pour les PLP et les PE, il faut inventer des cursus nouveaux, signalons tout de même que ces dernières années environ 10% des reçus au CRPE étaient issus des STAPS. Ensuite il a, comme on dit, une entrée progressive et de plus en plus importante des enseignements professionnalisant, de la L1 à la fin du master. Les stages existent dès la L2 et sont encadrés, l’idéal étant un partenariat enseignants d’EPS/formateurs. Enfin toutes les épreuves du concours sont et disciplinaires et professionnalisantes. C’est la raison pour laquelle nous y sommes extrêmement sensibles et attachés.
C’est aussi la raison pour laquelle nous n’avons pas focalisé toute notre bataille, comme certains l’ont fait, sur la place du concours, mais bien sur les contenus des épreuves, qui pilotent l’ensemble du cursus. De plus, jusqu’à présent, les formateurs, y compris universitaires, étaient issus de cette filière, c’est-à-dire qu’ils étaient, au début de leur carrière, enseignants d’EPS puis progressivement sont devenus formateurs, puis enseignants-chercheurs. Cela change beaucoup de chose, « l’intégration » est plus facile. C’est aussi la preuve qu’une filière enseignement (celle des professeurs d’EPS au départ et qui n’était que ça) peut ouvrir sur la recherche, et même, c’est le cas chez nous, sur de la recherche qui n’a rien à voir avec l’EPS ! Nous sommes cependant dans une période de dégradation liée à la politique générale de l’Université et notre système est fortement déstabilisé, avec une place de moins en moins grande pour les formateurs issus du métier et une place de moins en moins grande pour les pratiques physiques qui constituent pourtant notre assise « disciplinaire » ! Certains STAPS résistent et innovent, comme celui de Lyon, dont l’expérience est retracée dans le film de JP Julliand « Enseigner peut s’apprendre ». (voir ci-dessous)
Quelle vous semblent la mesure urgente à prendre, dans le contexte budgétaire difficile dans lequel nous sommes ?
Il y a des mesures d’urgence à prendre, mais comme nous l’avons déjà écrit dans le Café Pédagogique, l’urgence peut être l’ennemie de la réflexion et de la démocratie. L’urgence politique a produit la mastérisation. Ne faisons pas les mêmes erreurs. Toute mesure d’ampleur doit être négociée et analyser, pour ne pas produire d’effet système qui a terme pourrait dévoyer le but même de la mesure. De nombreux acteurs se préoccupent de formation et il faut que chacun soit impliqué. La mastérisation a notamment anéanti un grand nombre de partenariats qu’il faut reconstruire, avec les formateurs, aussi bien du côté de l’Université que du côté des Inspections. Il est clair également qu’on ne fera de grande réforme avec de petits moyens. Si on nous dit que « c’est Bercy » qui va arbitrer, alors inutile de s’investir, il ne sortira qu’un aménagement aux marges de la mastérisation. C’est ce que l’on peut redouter d’ailleurs au regard de certaines mesures et à l’écoute de certaines interventions lors des 3 premières réunions du ministère : tout le monde est d’accord sur les critiques (plus ou moins, mais plutôt plus) radicales des années Chatel, mais lorsqu’il s’agit de faire des propositions nouvelles, on voit deux choses s’opérer : un détournement de certaines idées et le relookage d’autres. Par exemple, le SNEP a été le premier, pendant un moment seul, à le dire : il faut des pré-recrutements. Voilà que l’idée a été largement reprise mais problème, on appelle pré-recrutement, des « emplois d’avenir » pour les étudiants boursiers, recrutés uniquement sur dossier par un chef d’établissement. C’est un détournement d’idée. De la même façon nous avions proposé trois voies d’accès aux concours : une voie pour ceux qui se destinent tôt au métier et seraient pré-recrutés sur concours (pas sur dossier, sinon c’est l’ouverture à toutes les dérives possibles), une voie pour ceux qui ont suivi un cursus classique et qui veulent se reconvertir dans l’enseignement, et une voie pour ceux qui ont déjà exercé un métier, proche ou éloigné et qui veulent également devenir enseignant. Reprenant l’idée de trois voies, certains proposent aujourd’hui une voie pour les PE, une voie pour le second degré, une voie pour les PLP. C’est carrément un dévoiement de l’idée initiale. Pour ce qui est du relookage, c’est le cas typique des masters en alternance, que certains défendent sur le principe, sans que l’on en ait étudié les réalités concrètes.
Pour en revenir aux mesures concrètes et immédiates, nous en avons proposé plusieurs dès la mise en place du nouveau gouvernement. Elles doivent surtout être des signaux forts d’un changement à venir. Par exemple l’annonce de vrais pré-recrutements pour l’année prochaine, quitte, pourquoi pas, à les limiter dans un premier temps aux disciplines déficitaires dans le secondaire et aux académies déficitaires dans le premier degré. Par exemple, en annonçant un moratoire sur le dépeçage des IUFM qui continuent de perdre des postes. Dans le cadre de l’autonomie des universités, il est urgent de flécher des moyens pour la formation des enseignants. Par exemple, en redonnant une formation digne ce nom aux stagiaires, en s’appuyant notamment sur toutes les recherches qui existent sur la formation des débutants. Par exemple la mise en place de formation de formateurs qui demeure un manque historique dans le second degré. Il y a urgence à former des tuteurs dont l’action est déterminante dans la liaison lieu de formation-terrain. Par exemple en soutenant un plan de recherches sur/dans/pour l’éducation, impulsé par le Ministère. Par exemple, en permettant à tous les formateurs titulaires de thèses sur l’éducation et qualifiés d’être affectés sur des postes d’enseignant-chercheurs. Par exemple en mettant tout le monde au travail pour définir de nouvelles épreuves pour les CAPES et Agrégation, qui soient disciplinaires et professionnalisantes. En fonction du résultat, nous verrons bien à quel endroit placer le concours dans le cursus pour un résultat optimal. Bref, nous ne croyons pas au produit miracle et immédiat (par exemple croire que placer le concours en M1 règlerait les problèmes), mais à certains signes annonçant une nouvelle donne.
Et pour la formation continue, quelles urgences ?
Notre expérience en EPS là encore est originale. Malheureusement notre formation continue a été saccagée par des années de réduction budgétaire. Concrètement, il y encore 10 ans, plus de 85% des enseignants d’EPS suivaient une formation professionnelle continuée régulière. Cette formation était plus ou moins autogérée, en tout cas elle partait des besoins des enseignants, principalement sur des questions de contenus/apprentissages. Cela signifie, pour nous, que la formation initiale ne doit pas être la fin de la formation, elle en est le tremplin. Le développement professionnel ne peut se concevoir sans cette dynamique qui permet, tout au long de la vie, de confronter ses idées et ses façons de faire, de se confronter aussi aux nouveaux produits de la recherche. D’ailleurs cette formation continue a souvent été aussi le creuset de vocations de chercheurs en éducation. Mais notre expérience nous amène aussi à dire que ce qui a fait sa force, c’est la dynamique instaurée par les enseignants eux-mêmes. En d’autres termes, des mesures bureaucratiques, du type formation de x jours obligatoire pendant les vacances, sont vouées d’avance à l’échec. La qualité de la formation initiale est l’assurance de l’appétence des formés poursuivre la formation sous une autre forme. A l’inverse une formation initiale bradée ou décalée ne donne qu’une envie : que ça s’arrête !
En conclusion, nous devons doter le pays d’une véritable culture de la formation des enseignants, à la hauteur du statut et de la mission qui devraient être les leurs. On est mal partis, mais rien n’est irréversible, à condition que l’on crée, politiquement, les conditions pour que cela advienne. Nos enfants, nos petits enfants en ont besoin.
Entretien : Marcel Brun
Voir également :
Delignères : Peut-on se passer d’une véritable formation professionnelle ?
(Article publié le 5 septembre 2012)