Une dinde , Anne-Sophie ? Elle n’en a pas l’air ! D’ailleurs le mouvement des dindons dont elle est le porte -parole a su prendre en quelques jours une ampleur médiatique inattendue. Près de 4 000 enseignants du premier degré ont déjà signé la pétition de ceux qui ne veulent pas être « les dindons de la farce » de la refondation.
Anne-Sophie est professeure des écoles dans l’ouest de la France en zone rurale. A l’approche de la quarantaine, elle a une certaine expérience comme enseignante et ne milite nulle part, si ce n’est chez les « dindons ». « On n’est pas contre les syndicats », explique-t-elle. Mais de fait, son mouvement montre que ces enseignants sont en méfiance.
Car ce n’est pas la déception mais l’inquiétude qui domine dans la vision que les dindons se font des intentions de V. Peillon. « Nous avons lancé le mouvement car nous sommes favorables à la refondation de l’Ecole mais nous ne voulons pas qu’elle se fasse sans nous ou contre nous », nous dit-elle. Le mouvement a rapidement essaimé sur Internet, utilisant les forums de discussion pour se faire connaître des enseignants et bombardant les médias de mails. Aujourd’hui il est capable de toucher des milliers d’enseignants.
Ce qui mobilise ces enseignantes c’est d’abord la réforme des rythmes scolaires dont ils demandent l’arrêt. « Cela n’aura aucun effet sur les résultats des élèves », affirme Anne-Sophie. En zone rurale elle voit par contre ce que ça implique en temps et en argent de travailler le mercredi matin. La principale revendication du mouvement c’est » l’abandon immédiat de la remise en question des rythmes scolaires… tant que d’autres points fondamentaux n’ont pas été revus ».
Les dindons se reconnaissent aussi dans l’accent mis sur les fondamentaux. » Depuis quelques années, on nous enlève du temps devant élèves tout en nous rajoutant des notions à traiter. Nous sommes passés de 27h à 26H (avec un samedi libéré sur 3) puis à la semaine d e 4 jours avec 24H + 2H d’aide personnalisée. A côté de cela, on nous a demandé de faire plus d’EPS, de l’histoire de l’Art, de la morale laïque, le B2I, d’enseigner l’anglais, la sécurité routière , le développement durable, l’hygiène dentaire, le « porter secours » …Et j’en oublie certainement. Bien sûr, tout est important. Mais concrètement comment faire plus avec moins de temps ? »
Et ils adressent également d’autres questions qui peuvent difficilement laisser de marbre les enseignants de terrain, même si elles ne sont pas pédagogiquement correctes. » Comment faire plus quand les redoublements sont décriés par notre hiérarchie et les « experts » et les décisions de maintien laissées à l’appréciation des parents et que , en conséquence , nous arrivent au CE2 des enfants qui ne savent pas lire et qui n’ont pas compris les bases de la numération décimale ? Comment faire plus quand on nous demande d’inclure des enfants handicapés avec des AVS non formés (ou parfois pas d’AVS du tout !) sans que nous-mêmes n’ayons jamais été formés à leur accueil ? Comment faire plus quand dans nos classes certains élèves présentent de tels troubles du comportement qu’ils empêchent les autres d’apprendre et que toute notre énergie est consacrée à essayer de les canaliser ? » Ces questions qui révèlent un grand désarroi , étaient aussi apparues dans la consultation Debarbieux.
Les questions d’Anne-Sophie et de ses collègues se sont emparées du Net et en font le tour. Alors que syndicats, collectivités locales et ministère négocient le contenu de la loi d’orientation, elles sont devenues un véritable aiguillon pour les syndicats. « Les enseignants seront-ils les seuls à porter cette refondation ? » interrogent-elles.
François Jarraud