La mixité sociale à l’Ecole sera-t-elle l’autre idée phare, avec la réforme du lycée, du programme éducatif du candidat Hollande ? Dans Le Monde, Najat Vallaud-Belkacem répond à Thomas Piketty en refusant les mesures « autoritaires ». Mais peut-elle vraiment s’en tenir là ? Que pourrait faire vraiment le ministère ?
« Arrêtons les leçons ! »
« Il faut rompre avec le mythe français de la mesure globale uniforme du grand soir politico-technocratique ». Dans Le Monde, N Vallaud-Belkacem répond à l’analyse de Thomas Piketty sur l’absence de mixité sociale à Paris.
T Piketty demandait si « le gouvernement souhaite vraiment promouvoir la mixité sociale ou va-t-on en rester aux effets d’annonce ? ». Il montrait l’importance de la ségrégation sociale dans les collèges parisiens et le rôle qu’y joue le privé. Il proposait d’inclure les collèges privés dans la procédure Affelnet pour assurer davantage de mixité dans les établissements. « Le fait qu’il soit possible d’améliorer cette situation n’est pas un voeux pieux : c’est exactement ce qui a été réalisé dans les lycées parisiens avec Affelnet », souligne-t-il. « Il est temps que le ministère accepte un véritable débat sur ces questions démocratiques », concluait-il.
La ministre répond assez fermement à T Piketty. « Arrêtons les leçons ! Penser que l’on pourrait imposer autoritairement la mixité sociale en supprimant une partie de la liberté de choix des parents, c’est entretenir une forme d’illusion qui aboutit à l’immobilisme », explique-t-elle. Tout en reconnaissant que le privé participe à la ségrégation scolaire, elle affirme « rechercher des partenaires, pas des boucs émissaires ». « Je crois bien plus à la construction de solutions de solutions à partir du terrain », ajoute-elle.
C’est une allusion à l’expérimentation lancée sur 25 territoires où le ministère avec les élus locaux tente de secteurs pluricollèges. La famille a le choix d’un secteur géographique et l’administration peut affecter l’élève dans un des deux (généralement) collèges concernés de façon à équilibrer leur composition sociale. Au passage l’académie accepte des dérogations négociées avec les collectivités locales.
Mixité où en est-on ?
La question de la mixité sociale a émergé depuis 3 ou 4 ans dans le débat public sur l’école. Il faut rendre hommage aux études pilotes, celle de Felouzis sur les collèges du Bordelais, puis celles commandées par la région Ile-de-France, par H Zoughebi. Un autre acteur a joué un role clé dans l’émergence de la question c’ets le Cnesco qui a organisé en juin 2015 une conférence de consensus internationale qui fait date. Ces études ont ensuite donné lieu à de nombreux travaux repris par le ministère dont on trouvera trace dans le dossier du Café pédagogique. Le Café pédagogique a pris part à ce débat en organisant en mars 2015 la Journée de la fraternité à l’Ecole.
Faut-il donner encore des chiffres ? « En France, les collégiens et lycéens d’origine aisée comptent en moyenne dans leur classe deux fois plus de camarades également d’origine aisée que les élèves des classes moyennes et populaires », écrivent deux chercheurs, Son Thierry Li et Arnaud Riegert. « De même, les meilleurs élèves comptent en moyenne deux fois plus de camarades d’un niveau équivalent au leur que les autres élèves. Ces chiffres, qui résument la situation de ségrégation sociale et scolaire de l’enseignement secondaire français, sont inquiétants à deux titres : les différences d’environnements en fonction de l’origine sociale ou du niveau scolaire sont susceptibles d’aggraver les inégalités scolaires ; de plus, cet « entre-soi » est un obstacle à l’apprentissage de la citoyenneté et du vivre-ensemble ».
Une triple ségrégation
Si on s’intéresse aux élèves issus des milieux les plus populaires (ouvriers, chômeurs et inactifs), qui représentent 37% des élèves de troisième, 10% des élèves en comptent 63% ou plus dans leur établissement ; 5% en comptent 71% ou plus. De tels écarts sont également observés en termes de ségrégation scolaire : 10% d’élèves comptent 6% ou moins de « bons élèves » dans leur établissement, et à l’inverse 5% d’élèves en comptent plus de 43 %, et 1% en comptent plus de 58 % », écrivent-ils.
A cette ségrégation scolaire s’ajoute une ségrégation fabriquée par les établissements qui constituent des classes de niveau. » La constitution des classes contribue essentiellement à la ségrégation scolaire », écrivent-ils. « En classe de troisième par exemple, la ségrégation sociale entre établissements est de 17 %, et la ségrégation entre les classes des établissements est de 5 points, soit un total de 22 %. Ainsi, un élève CSP+ va compter une part d’élèves CSP+ dans son établissement supérieure de 17 points à celle connue par un élève non-CSP+, et une part d’élèves CSP+ dans sa classe supérieure de 22 points à celle connue par un élève non CSP+, soit 5 élèves sur une classe de 25. »
Des dégâts pour toute la société
Si la question s’impose ainsi c’est que le système éducatif français souffre d’une triple ségrégation : sociale, scolaire et ethnique. Et ses conséquences pèsent de plus en plus sur le système éducatif. Le fait de réunir dans les mêmes établissements les élèves les plus défavorisés et les plus faibles entraine par plusieurs mécanismes à la baisse globale de niveau de l’Ecole. Car c’est bien par le bas que l’Ecole française s’enfonce avec de plus en plus d’élèves de plus en plus faibles alors que tout continue à bien fonctionner au sommet.
Les dégats ne sont pas que scolaires. » La ségrégation sociale nuit considérablement, quels que soient les élèves, quelle que soit leur classe sociale, quel que soit leur niveau scolaire, aux attitudes citoyennes positives, aux niveaux de tolérances, à la capacité de communication avec l´autre, ou encore à la reconnaissance de l´altérité », souligne N Mons, la présidente du Cnesco. C’est ainsi que l’Ecole fabrique des élites de plus en plus triées socialement et scolairement par un processus de « parrainage institutionnel » qu’Agnès Van Zanten a bien mis en lumière. Ces fameuses élites que l’opinion publique juge aveugles à ses préoccupations…
Ce qui a été fait
Dans sa réponse à T Piketty ,N Vallaud Belkacem estime être optimiste car elle compte doubler les secteurs multi collèges en 2017. On arriverait ainsi à 50 à 100 collèges concernés ce qui est quand même loin du compte dans un pays qui dispose de 7000 collèges.
Elle évoque aussi deux mesures plus ambitieuses qu’elle a mis en place. D’une part la réforme de l’éducation prioritaire pour laquelle 350 millions ont été dépensés. Cet argent a surtout servi à donner du temps de formation aux enseignants et à améliorer leur prime. Deux mesures nécessaires mais qui n’ont que des effets très indirects sur les élèves. Le nombre d’élèves par classe reste élevé dans les établissements prioritaires. L’écart avec les établissements ordinaires est infime au primaire (1 élève par classe), un peu plus élevé semble -t-il au secondaire. Mais on est loin des conditions d’accueil nécessaires à ces élèves. D’autant que les enseignants des REP et REP+ sont le plus souvent des débutants voire des contractuels, y compris au primaire.
L’autre mesure avancée par la ministre c’est la dotation académique. A cette rentrée 1200 postes d’enseignant ont été accordés sur critères sociaux aux académies, ce qui est énorme. Mais la gestion de ces postes jusqu’aux établissements relève des recteurs et la décentralisation n’arrange pas l’efficacité des mesures ministérielles… Et ces postes semblent davantage utilisés pour remplacer les enseignants en formation ou installer des maitres surnuméraires que pour diminuer le nombre d’élèves par classe. Qu’en reste-il comme moyens supplémentaires dans les établissements Rep ou Rep+ ? Impossible de le savoir. Jusque là nous n’avons pas rencontré d’établissement prioritaire qui nous dise avoir plus de moyens humains à cette rentrée.
Construire l’égalité
Alors que la ministre doit préparer le programme éducatif du candidat Hollande pour 2017, il serait bien dommage qu’elle laisse tomber aussi sèchement ce dossier. Même si la question est politiquement très délicate, ce serait écorner durablement son image et ses engagements que l’on sent sincères.
La ministre a raison de chercher le consensus sur le terrain. Les études portées par le Cnesco montrent que c’est une condition pour avancer sur ce terrain. Mais ce sont aussi les apports de l’Etat qui permettent de le construire. Et il y a des mesures que l’Etat tout seul peut prendre et qui changent la donne.
Ainsi l’Etat n’a jamais sur se résoudre à la suppression des filières ségrégatives. Le terme collège unique cache en fait une multiplicité de structures où se retrouvent des enfants de milieu social défavorisé. Si les équipes se donnent beaucoup de mal pour répondre à cette situation, la seule existence de cette ségrégation handicape la réussite de ces jeunes.
Mais la bonne réponse à la ségrégation c’est l’amélioration de l’offre scolaire dans les établissements prioritaires. Il faut au minimum que les établissements prioritaires proposent une offre scolaire égale à celle des autres établissements. Or selon une logique déjà bien décrite, on offre moins à ceux qui ont moins. Et il faut que ces moyens soient attribués au niveau des établissements. C’est un autre calcul de leur dotation qu’il faut faire qui garantisse cette égalité.
La Cour des comptes avait proposé un calcul financier du coût de chaque établissement. Aux Pays Bas, la dotation varie selon la composition sociale de l’école. Dans tous les cas il faut que l’établissement et les parents trouvent un intérêt à la mixité sociale et qu’elle modifie la carte des formations et des options s’impose pour la rééquilibrer. Le Cnesco a montré comment aux Etats-Unis, par exemple, cette politique a pu jouer pour attirer des élèves de milieu favorisé.
Il faut peut-être aussi , comme le recommande G Felouzis, oser se fixer des objectifs pour le système éducatif. Sans aller jusqu’à un pilotage par les résultats dont on connait bien les limites, l’absence de connaissance objective sur l’évolution du niveau des élèves et de perspectives pousse tout le système éducatif au fatalisme.
Car c’est seulement en retrouvant de la crédibilité que l’on peut rompre avec le fatalisme qui nourrit la ségrégation actuelle. Et que l’on pourrait affronter les colères et les peurs que susciteront immanquablement cette politique. La publication de Pisa en décembre peut ouvrir un créneau pour cette annonce.
C’est déjà parce qu’ils savent que leur enfant a plus de chance ici que là que les parents se battent sur le marché scolaire. Tant que cette réalité n’aura pas été traitée de façon crédible rien ne bougera. Inutile dans cette situation de dénoncer l’entre soi même si celui-ci nourrit maintenant la ségrégation ethnique dans une partie des grandes agglomérations.
François Jarraud
La conférence du Cnesco : DOSSIER
Pour une Ecole de la Fraternité : DOSSIER
L’école et la fabrication inégalitaire des élites
Affelnet, outil efficace ou pas ? (en fin du dossier)