Comment soulever les stéréotypes de genre et les inégalités hommes-femmes en classe ? Carole Cerone, professeure de SVT au collège René Cassin de Guénange (57) travaille sur la mixité des métiers avec ses collégiens. En utilisant entre autres, un code gestuel particulier et l’abaque de Régnier, l’enseignante crée le débat au sein de ses classes et même au-delà. « L’essentiel est que les élèves ne se ferment pas les portes d’une orientation en raison de leur sexe. ». Décryptage de ce projet mené en classe de 4ème.
Quel projet sur l’égalité homme-femme menez-vous en classe de 4ème ? Quels en sont les objectifs ?
Au cours de ces dernières années, notre collège s’était investi dans l’opération « Boys’ Day, Girls’ Day » initiée par Entreprendre en Lorraine Nord et des chefs d’établissement de notre secteur. Ainsi quelques uns de nos élèves avaient au travers de journées de stage découvert des métiers atypiques et nous nous retrouvions chaque année avec les autres établissements participants afin de restituer nos expériences et prendre part au débat qui suivait.
Cette opération n’ayant pas eu lieu cette année, nous avons souhaité poursuivre le travail au sein de notre collège en développant ce projet sur « l’égalité homme-femme ». Tout au long de l’année, des actions ont été menées autour de ce thème et nous nous sommes donné rendez-vous le jeudi 26 mai afin de présenter nos expériences à un public composé de parents, d’enseignants, d’élèves et de personnalités extérieures. Nous avons choisi de cibler nos élèves de quatrième car le principal objectif de ce projet et de réduire les différences garçons / filles observées dans les choix d’orientation post-troisième de nos élèves. En effet, de nombreuses filières sont encore très sexuées. Il me paraît indispensable d’initier à ce moment de la scolarité une réflexion chez les élèves mais aussi dans les familles. L’objectif n’est pas de persuader les jeunes gens, jeunes filles d’intégrer des filières afin de rétablir une égalité comptable mais de passer en revue les représentations des élèves et leur apporter des éléments afin que chacun se positionne sur cette thématique de la mixité des métiers. L’essentiel est qu’un(e) élève ne se ferme pas les portes d’une orientation en raison de son sexe.
Comment créez-vous le débat entre les élèves ? Comment s’organise la séance ?
Le débat au sein des classes engagées dans le projet est la première étape du projet. Celui-ci a pour but de soulever les stéréotypes et également de montrer que des inégalités entre hommes et femmes sont toujours bien présentes dans notre pays et dans le monde.
Pour créer le débat, j’utilise l’abaque de Régnier : dans un premier temps chaque élève doit se positionner vis-à-vis d’une série de phrases, volontairement polémiques, que je leur projette (« Les femmes sacrifient leur carrière à l’arrivée d’un enfant » ou « Puisqu’il existe une journée de la femme, il faudrait créer une journée de l’homme pour qu’il y ait égalité » par exemple). Pour cela, on utilise un code gestuel pour que chacun me signifie en silence s’il est d’accord, s’il n’est pas d’accord, ou s’il n’a pas d’avis. Dans un second temps, on reprend chaque phrase et tour à tour, les élèves justifient leur prise de position, ce qui déclenche le débat. Ainsi sont abordés l’historique des droits des femmes, la mixité des métiers, le partage des tâches ménagères, l’éducation des enfants…
Vous avez participé au concours « Buzzons contre le sexisme ». De quoi s’agit-il ?
Quelques élèves se sont ensuite déclarés volontaires pour créer une vidéo dans le cadre du concours « Buzzons contre le sexisme » organisé par télédebout.org. Chaque jeune, entre 10 et 25 ans peut y participer seul(e), en équipe, ou par classe. Il s’agit de réaliser une vidéo d’une durée comprise entre 2 et 7 minutes pour que le monde bouge vers plus d’égalité entre les filles et les garçons. La forme de la vidéo est très libre.
Nous avions choisi pour notre part de construire un scénario autour de la problématique « les compétences ont-elles un sexe ? » et 6 élèves, garçons et filles, se sont retrouvés chaque semaine, sous forme d’un club, afin de monter cette vidéo. Nous avons fait partie des quelques dizaines de vidéos présélectionnées pour la précédente édition. Et même si nous n’avons pas été primés, aller jusqu’au bout du projet était déjà une belle victoire.
D’autres approches sur l’égalité homme-femme sont privilégiées dans votre démarche, notamment à travers le théâtre et une exposition. Quelques mots sur ces initiatives…
Il me paraissait intéressant d’évoquer la thématique de l’égalité garçons-filles autant que possible au travers des contenus disciplinaires. Ainsi le professeur de lettres qui travaillait le théâtre avec ces classes a répondu favorablement à ma proposition et des groupes d’élèves ont écrit des saynètes qu’ils ont ensuite jouées au cours de journée de restitution. L’an passé, c’est le professeur de mathématiques qui avait proposé à sa classe d’utiliser l’outil graphique d’un tableur afin de traiter les réponses d’un quizz intitulé « Ces compétences sont-elles féminines, masculines ou androgynes ? »
Quant à l’exposition intitulée « Tous les métiers sont mixtes », elle nous a été prêtée par le conseil régional. Elle nous a permis de conclure la restitution de notre projet et est restée quelques jours en place dans notre établissement afin d’éveiller la curiosité du plus grand nombre. Chaque panneau s’appuie sur un portrait d’homme exerçant dans un métier dit féminin ou de femme exerçant dans un métier dit masculin.
En quoi la rencontre avec différents témoins a permis de poursuivre le débat ?
Bien que l’essentiel de la journée du 26 mai ait été basé sur la restitution des différents travaux et des expériences des élèves, nous avions ce jour là invité quelques personnes acceptant de témoigner de leur activité professionnelle. Ainsi nous avons pu entendre une femme dirigeant une entreprise œuvrant dans les travaux publics, une femme conductrice d’engin, un homme en reconversion professionnelle dans le secteur des soins et services à la personne ainsi qu’une femme engagée en politique. Après leurs témoignages, les élèves présents leur ont posé différentes questions portant surtout sur ce que pensent leurs collègues, leurs employés ou encore leur famille à propos de leur activité. Ceci démontre qu’à leur âge, ils accordent une grande importance à l’image qu’ils pourraient renvoyer au travers du choix d’un métier.
Quels retours avez-vous des élèves ? Des parents ?
Tout d’abord, tous les élèves ayant participé aux différentes actions du projet ont été très fiers de les présenter à un public. Certains des élèves participants n’avaient jusqu’alors que rarement été mis en valeur car en difficulté scolaire. Aussi, ils ont montré une grande motivation et ont développé des compétences nécessaires à l’aboutissement d’un projet telles que la persévérance, la créativité, l’esprit de groupe et ont su dépasser leurs angoisses le jour de la présentation.
J’espère que la majorité des élèves garderont en tête ces débats au moment de construire son projet d’orientation en mettant de côté les stéréotypes. J’ai appris depuis que certains d’entre eux avaient prolongé le débat jusque dans leur foyer. Des parents nous ont depuis signalé qu’ils exerçaient eux-mêmes un métier plutôt atypique et qu’ils pourraient eux aussi témoigner à l’occasion.
Quelles sont vos ambitions pour cette nouvelle année scolaire ?
Tout d’abord j’aimerais reprendre cette thématique qui est encore suffisamment vaste pour être évoquée sous d’autres angles. J’ai dans mes cartons un EPI intitulé « Un gars, une fille » dont la problématique serait « Mieux se connaître pour mieux se respecter : vers une égalité garçons-filles ». Ma discipline, les Sciences de la Vie et de la Terre, y aurait toute sa place. Certains collègues de lettres y prendraient part afin évoquer la dimension émotionnelle et psychologique des relations garçons-filles.
De plus la mixité des compétences et donc des métiers restera certainement une des actions à développer dans le cadre du « parcours avenir », ma principale ambition étant que chaque élève s’interroge et se construise un projet qui ne soit pas guidé par les idées reçues.
Entretien par Julien Cabioch