Dans le cadre du plan numérique pour l’École et de la réforme des programmes, des banques de ressources numériques éducatives (BRNE) sont gratuitement mises à disposition des enseignants et des élèves en cette rentrée 2016. Un premier parcours des plateformes dédiées au français pour les cycles 3 et 4 laisse l’enseignant sur sa faim. Dans l’expectative : si certaines propositions sont intéressantes, si certains documents peuvent s’avérer utiles, peut-être faut-il attendre encore un peu pour que les « banques » en question s’enrichissent pédagogiquement ? Voire circonspect : la culture du manuel continuerait-elle à l’emporter sur la culture du digital ?
Deux plateformes pour le français
La Digithèque Belin propose pour l’instant près de 400 ressources, qui se veulent « granulaires », et « 100% didactisées prêtes-à-l’emploi ». Elles sont accessibles en ligne et hors ligne, en téléchargement, sur tout type de support. L’interface est agréable, fluide et d’appropriation simple. Pour le moment, le contenu s’avère assez traditionnel et de qualité inégale : peu de multimédia, essentiellement des exercices, avec des questions assez fermées et, parfois, des invitations à l’écriture (courte). L’esprit reste fondamentalement assez proche de celui d’un manuel scolaire papier, numériquement enrichi. La capacité du numérique à générer la créativité et la collaboration des élèves autour de tâches complexes ne semble guère exploitée. Pour l’instant ? La plateforme offre d’intéressantes possibilités de gestion de la classe par le professeur : il peut y mettre en ligne ses propres séances et documents et inviter ses élèves à y travailler, il saisit un pseudonyme pour chaque élève et des mots de passe individuels leur sont alors créés.
Hachette éducation annonce sur son Kiosque numérique de l’éducation (KNE) 27 séquences pédagogiques et plus de 6 000 exercices interactifs. Pour l’instant, 12 séquences sont proposées sur RessourcEdu, abordant 5 thèmes différents, parfois sur chacun des niveaux. La banque d’exercices interactifs est annoncée pour décembre. On peut aisément transformer la taille et la police des textes pour les rendre plus lisibles par des élèves malvoyants ou dyslexiques. Etrangement, la procédure d’inscription individuelle propose dans le profil à remplir le titre discriminatoire de « Mademoiselle » qu’une circulaire officielle demande pourtant de ne plus utiliser depuis 2012 : étrange archaïsme …
Une séquence vue par une enseignante de collège
« Je n’ai regardé en détail qu’une seule séquence sur la plateforme RessourcEdu KNE, la première (5ème – Imaginer des univers nouveaux). L’approche est un peu ambigüe : les « ressources » sont des « medias » (textes, images, documents audios) « bruts », que les enseignants peuvent utiliser à leur guise. Les textes sont originaux, l’iconographie est très belle, les documents audios sont uniquement des lectures de textes enregistrées. Mais les ressources sont présentées en « séquences », donc déjà didactisées.
A ce niveau l’approche prend en compte les nouveaux programmes, mais reste assez classique. En effet, la part de la lecture reste prédominante même si chaque séance de lecture propose un petit travail d’écriture. L’entrée dans les textes se fait souvent par un questionnaire. Les séances de langue sont proposées comme des séances décrochées. La part de l’oral reste congrue, et si l’activité de production proposée est intéressante (enregistrement d’un audioguide), elle reste proche de l’écrit oralisé : pas de réelle situation de communication, pas de travail de l’oral en interaction. Les activités de compréhension se limitent aux lectures oralisées.
Les « notices pédagogiques » accompagnant chaque séance développent les problématiques abordées par les textes, mais pas la diversité des approches didactiques et pédagogiques qui pourraient être mises en place à partir des différents supports. Je regrette surtout que, puisque les ressources sont présentées en séquences, celles-ci ne définissent pas en introduction leurs objectifs, exprimés en termes de compétences, puisque c’est la base de la réflexion didactique.
Ne crachons pas dans la soupe : c’est joli, c’est propre, on peut tout télécharger, ça peut donner des idées, les thèmes et documents sont intéressants, certaines activités sont sympathiques. Et cela peut permettre de faire tout doucement le pas vers de nouvelles activités. Mais on n’y est pas encore. »
Le numérique : un outil ou une culture ?
Pour l’instant donc, les ressources proposées peuvent être utiles, mais si les supports changent, il semble que le numérique soit toujours envisagé ici comme outil plus que comme culture. Rappelons-le : le numérique change notre façon de lire, d’écrire, d’apprendre, de nous relier aux autres … Rappelons-le aussi : un texte ne peut être un simple prétexte (à des questions ou des activités), comme il l’était trop souvent dans les manuels scolaires et les pratiques anciennes. Rappelons-le enfin : les « ressources » les plus formatrices sont celles que les élèves construisent en autonomie et en collaboration.
On donnera ici un seul exemple, édifiant, de ces approches nouvelles du savoir que libère le numérique : les « chefs d’œuvre » conçus et réalisés par les élèves de Marie Soulié au collège Daniel Argote d’Orthez. Ainsi, récemment, des « rubriques radiophoniques » autour de l’orthographe, à écouter et savourer en ligne : « Dans ma classe inversée, explique l’enseignante, la production du chef d’œuvre est un temps fort. C’est l’heure du bilan, les élèves me montrent ce qu’ils ont retenu. Cette année, nous proposerons une rubrique radiophonique avec des invités de marque : Mme Bescherelle, Monsieur Le Robert ou encore Mlle Bled… Toutes les productions seront mises en lumière en classe, même celles qui contiennent des erreurs afin de faire réagir les élèves. » Prenons-en de la graine !
Bref, français, encore un effort si vous voulez être à la hauteur des enjeux …
Jean-Michel Le Baut
Pour accéder aux Banques de Ressources Numériques Français
« Les spécialistes de l’ortho », par les collégiens de Marie Soulié
Le « cahier des chefs d’œuvre » des collégiens de Marie Soulié