« Bien que la littérature sur le redoublement soit plutôt pléthorique, nous considérons au terme de cette analyse que, contrairement à l’idée reçue, la recherche a encore beaucoup de progrès à faire. En attendant, il nous semble important d’arrêter de prétendre que la Science détient la vérité sur le sujet et qu’elle plaide de manière unanime pour le passage obligatoire plutôt que pour le redoublement… Le choix consistant à privilégier l’un ou l’autre doit donc fonder pour l’instant sa légitimité sur des bases autres que scientifiques, en l’occurrence des bases politiques ». Quelques mois après la décision ministérielle d’autoriser le redoublement, Hugues Draelants livre une mise au point précieuse sur une question controversée dans une Note publiée par la FCPE. Pour lui les dernières recherches mettent à égalité redoublement et passage automatique en ce qui concerne leur (in)efficacité. La question devient politique entre le choix de l’école sélective ou d’une école qui abandonne la logique méritocratique.
Le redoublement utile ?
Si le redoublement dure c’est peut-être qu’il est utile. Des sondages récents montrent qu’aussi bien enseignants que parents et élèves croient en son efficacité. C’était déjà la thèse d’Hugues Draelants en 2006. Il y a dix ans, le chercheur du Girsef montrait que le redoublement participe de la gestion de la classe et du système éducatif en son ensemble. Il lui trouvait 4 fonctions expliquant cette popularité chez les enseignants : » une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants ». Cette dernière devenant d’autant plus importante que le new public management grignote l’autonomie enseignante.
Le nouvel éclairage des études récentes
Dans cette nouvelle étude, H Draelants reprend les recherches publiées sur le redoublement. Selon lui, si les recherches anciennes ont tranché en montrant l’inefficacité du redoublement, des travaux très récents, avec d’autres méthodes, penchent dans l’autre sens. Mais s’il reconnaissent l’efficacité du redoublement c’est avec des réserves importantes : les effets sont à très court terme et le risque de décrochage réel.
H Draelants cite Gary-Bobo et Robin : » Après cette revue des travaux récents sur le redoublement, il semble que tous, sans exception, trouvent des effets positifs lorsque les résultats considérés sont des résultats scolaires, à l’exception de la probabilité de déscolarisation (dropout rate) qui semble malgré tout devoir augmenter suite à un redoublement. Dans l’ensemble, les résultats positifs sont des résultats de court terme ». Les auteurs se gardent donc de réhabiliter le redoublement ».
Pour lui, » Si le redoublement n’est pas la panacée pédagogique il est encore plus clair que la promotion n’est pas une solution aux difficultés des élèves, on ne voit d’ailleurs tout simplement pas en quoi la promotion automatique serait pédagogique. Rappelons en effet qu’il ne suffit pas d’interdire le redoublement pour faire disparaître l’échec ».
Et il rappelle que » de nombreux systèmes éducatifs fonctionnent sans recourir au redoublement et parviennent à obtenir des performances identiques voire supérieures à celles des pays qui pratiquent le redoublement ».
Comment font les pays qui ignorent le redoublement ?
H Draelants rejoint finalement les conclusions du Cnesco, qui a tenu une conférence de consensus sur ce sujet en janvier 2015. » Dans la majorité des études », disait le Cnesco, « le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires à long terme. Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d’autres dispositifs de remédiation comme des écoles d’été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. Il semble également impacter négativement le revenu futur du jeune adulte en agissant comme un signal de faible performance du salarié pour les entreprises.
Mais comment font les pays, très majoritaires, qui n’utilisent plus le redoublement ? H Draelants ne le dit pas. Mais l’étude du Cnesco le fait. La quasi-totalité des pays européens offre aux élèves la possibilité de passer des épreuves supplémentaires (écrites et/ou orales selon le pays) en fin d’année scolaire pour rattraper les cours pour lesquels les notes ont été jugées trop faibles par l’équipe enseignante. Ce type d’organisation limite l’incidence d’un « accident de parcours » et corrige le caractère aléatoire de certaines évaluations. » D’autres pays , comme l’Allemagne ou l’Espagne, pratiquent la promotion conditionnelle. L’élève passe en classe supérieure mais doit suivre un programme de rattrapage dans la matière où ses résultats sont insuffisants. Le Cnesco pointait aussi la diminution de la taille des classes ou le « looping » ( le fait de confier une classe aux mêmes enseignants pendants plusieurs années) comme des solutions.
Le redoublement une question politique plus que pédagogique
Pour H Draleants, la question du redoublement est surtout une question politique. « Le choix consistant à privilégier l’un ou l’autre (le redoublement ou le passage automatique) doit donc fonder pour l’instant sa légitimité sur des bases autres que scientifiques, en l’occurrence des bases politiques et assumer ainsi le fait que cette question relève aussi et peut-être avant tout d’un débat idéologique autour du type d’école que nous souhaitons pour nos enfants. Une école demeurant sélective, mêmes dans les petites classes, ou une école assumant clairement la mise entre parenthèse de la logique méritocratique dont le redoublement reste un symbole fort ? » Sur ce terrain, JM BLanquer semble avoir fait son choix en rétablissant le redoublement.
François Jarraud