Alors que JM Blanquer participe le 23 janvier à un « hackathon de l’enseignement professionnel » organisé par Céline Calvez et Régis Marcon, chargés d’une mission de « réflexion pour la transformation de la voie professionnelle », que sait-on de cette branche? Alors que la voie professionnelle produit un bachelier sur trois, il faut croire, si l’on en croit les discours réguliers sur sa « revalorisation », qu’elle est singulièrement dédaignée. Cet inattendu hackathon est l’occasion de faire le point sur ses caractéristiques et aussi de demander à des enseignants comment ils voient son avenir.
Un hackathon pour une réforme improvisée
« Les enjeux de la voie professionnelle scolaire dépassent largement le cadre des lycées professionnels. Ils recoupent des questions sur l’orientation, la mobilité sociale et géographique, la construction du citoyen, les compétences des métiers de demain, les mutations technologiques et sociétales, le rapport des Français au travail et à l’entreprise, et celle de la Nation à sa jeunesse. Cette journée de réflexion et de débat réunira des représentants de toutes les parties prenantes contribuant à la transformation de la voie professionnelle : enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs, parents d’élèves, élèves, représentants du monde de l’entreprise, représentants syndicaux. Tout au long de la journée, des ateliers seront organisés autour de la question de la voie professionnelle ».
Organisé par la députée LREM Céline Calvez et le chef médiatique Régis Marcon, cet hackathon pourra t il remplacer une réflexion sérieuse sur l’enseignement professionnel ? Car la mission a démarré très tard et ses conclusions sont attendues dans quelques semaines seulement.
Que sait-on de l’enseignement professionnel ?
Heureusement le Cnesco a organisé en 2016 une importante conférence de comparaison internationale qui permet d’éclairer le débat et une voie d’enseignement où relégation et discrimination sont très présents.
L’enseignement professionnel de l’éducation nationale c’est 700 000 élèves, 1 700 lycées et un bachelier sur trois. En quelques années, le bac professionnel a connu une expansion incroyable. Depuis 2010, le nombre de bacheliers professionnels a presque doublé, passant de 110 000 à 190 000. C’est cet essor qui a porté la démocratisation du bac et l’augmentation du taux de bacheliers alors que le nombre de bacheliers généraux a très peu varié.
L’enseignement professionnel ce sont aussi les apprentis. Ils représentent un jeune sur quatre dans l’enseignement professionnel. Ils sont surtout présents au niveau CAP (57%). Alors que leur nombre a peu évolué depuis 1995 dans le secondaire, il explose dans le supérieur.
Particularité française, le taux d’insertion des sortants de l’enseignement professionnel est en France au même niveau que celui des sortants de l’enseignement général. Chez nos voisins il est très supérieur. Cette singularité s’explique par une forte concentration de difficultés dans l’enseignement professionnel.
Un recrutement spécifique
L’enseignement professionnel est d’abord caractérisé par une forte orientation par l’échec. « A l’entrée en 6ème, dit le Cnesco, seuls 14% des parents envisagent que leur enfant poursuive son parcours dans l’enseignement professionnel. Or au final, ce sont 36% des élèves qui s’engagent dans la formation professionnelle ». Comme l’enseignement professionnel propose près de 300 diplômes différents, les parents s’y engagent en ne connaissant pas la filière et ses débouchés.
Même si le développement du bac professionnel a pu attirer des jeunes qui ont choisi de faire leur chemin via ce bac, c’est la voie qui regroupe le plus d’élèves en difficulté. 80% des élèves de CAP sont en retard scolaire et un élève sur deux en 2de professionnelle quand c’est 20% dans les 2des générales et technologiques. Le niveau scolaire est nettement inférieur en 2de professionnelle par rapport aux autres secondes selon une estimation de la Depp. L’absentéisme, les problèmes de comportement sont aussi plus importants.
L’enseignement professionnel c’est la voie des pauvres. Il concentre des populations socialement défavorisées : on compte dans l’enseignement professionnel 60% d’enfants d’ouvriers et seulement 12% d’enfants de cadres. C’est aussi la voie où l’on trouve les plus fortes discriminations de genre. Les filières industrielles comptent plus de 85% de garçons. A l’inverse d’autres filières comptent 97% de filles (esthétique, coiffure). A cela on pourrait ajouter la discrimination ethnique. Certaines filières se sont fortement ethnicisées au moins en Ile de France (par exemple opposition coiffure – esthétique).
L’enseignement professionnel connait aussi de fortes disparités entre ses filières. Si le chômage augmente rapidement dans les filières industrielles, il est nettement moins fort que dans le tertiaire. Le Cnesco avait attiré l’attention sur les 4 séries tertiaires à gros effectifs qui ont à la fois de forts taux de chômage et des élèves particulièrement défavorisés et avec du retard scolaire. Trois ans après le bac pro, 31% des élèves de secrétariat bureautique (bac GA) sont au chômage, 30% des services à la personne, 27% en compta gestion et 25% en commerce.
Enfin l’enseignement professionnel est largement montré du doigt et rendu responsable de la suppression d’APB. Le mythe des bacheliers professionnels qui « volent » la place des autres bacheliers dans les filières encombrées a largement été agité pour lancer al réforme d el’orientation. Pour mémoire, en Paces il y a eu 286 nouveaux bacheliers de l’enseignement professionnel en 2016-17 sur 36 662 étudiants de première année…
La réalité c’est que l’ Etat ne s’est aps beaucoup intéressé au devenir de ces jeunes bacheliers dont le nombre explosait. Plus de 70 000 demandaient une place en BTS en 2016-17 mais seulement 37 000 en ont obtenu une, alors même qu’il restait des places disponibles…
Une voie délaissée par l’Education nationale
Enfin l’enseignement professionnel c’est le secteur délaissé de l’éducation nationale. C’est là où les suppressions de postes ont été les plus importantes, proportionnellement avant 2012, le passage du bac de 4 à 3 ans « légitimant » la situation.
C’est encore là que la pénurie de professeurs est la plus forte. En 2017, 1920 postes ont été proposés au concours externe PLP et seulement 1647 ont été pourvus. 14% des postes proposés au concours externe de PLP n’ont pas été pourvus. C’est donc l’enseignement où l’on trouve le plus de contractuels : 10% des enseignants soit deux fois plus que la moyenne (4%).
A l’évidence l’enseignement professionnel n’a pas été suivi comme il aurait du par l’Education nationale, davantage tournée vers les filières prestigieuses que vers une voie plus populaire. Aujourd’hui la question se pose autrement. Le président de la République et le gouvernement mettent systématiquement en avant l’apprentissage laissant planer un doute sur l’avenir du lycée professionnel.
Sigrid Gérardin : « Un enseignement efficace »
Que disent les enseignants de la voie professionnelle ? Le Café pédagogique s’est tourné vers Sigrid Gérardin, co-secrétaire générale du Snuep Fsu.
Pour elle l’enseignement professionnel de l’éducation nationale est efficace. « Si on vise la sécurisation des parcours, le lycée professionnel est plus efficace que l’apprentissage », souligne-t-elle. « En terme de lutte contre le décrochage on a de très bons résultats par rapport aux apprentis. En terme d’accès au diplôme également : écart de 10 points en CAP et de 20 en bac pro ».
La question du financement semble avoir évolué favorablement. Alors que le président de la République avait envisagé de consacrer la taxe d’apprentissage au seuls CFA, la part hors quota versée aux LP ne devrait pas bouger, annonce S Gérardin. « Si on la perdait ce serait une catastrophe pour les LP ».
Alors le lycée professionnel est-il moins délaissé ? « On est inquiet des remontées académiques pour 2018 », signale t-elle. « Quand on regarde les cartes scolaires de 2018 les L.P. sont systématiquement visés ». Elle cite l’académie de Grenoble où aucun poste n’est créé alors qu’il y aura 480 élèves supplémentaires. A Créteil 122 postes sont ouverts dans le secondaire mais 60 supprimés en LP. A Dijon 20 postes disparaissent. A Lille les suppressions de postes concernent aussi les Segpa qui alimentent les LP. « Le ministre dit vouloir faire de la voie professionnelle sa seconde priorité mas ça ne se traduit pas par des faits car il supprime des moyens ».
Le Snuep est inquiet des annonces sur le mixage des parcours, enseignement professionnel / apprentissage. « Les entreprises ne s’engagent pas sauf dans le supérieur. Les patrons disent qu’il ne veulent aps s’engager pour 3 ans avec les jeunes. Dans ce cadre on tend à demander au lycée professionnel de faire la première année de formation puis de faire un tri, de sélectionner les meilleurs élèves pour l’apprentissage (rémunéré) et de garder les autres en LP (pas rémunéré) ».
Le Snuep annonce la création de groupes de travail au ministère. L’un d’eux traitera d el’avenir de la filière GA, une filière tertiaire où les enseignants (10% des PLP) sont très malmenés par l’institution et où il y a peu d’avenir pour les jeunes. Un autre groupe traitera des certifications particulièrement lourdes en LP du fait du controle en cours de formation. « On demandera de nouveaux allègements ».
Cette question, notamment celle du niveau dans les matières générales, est au coeur de l’avenir de l’enseignement professionnel en France. Le Cnesco l’avait souligné. Sera-t-elle évoqué lors de l’hackathon du 23 janvier ?
François Jarraud
Blanquer lance une mission de transformation