Samedi, j’ai vu à nouveau les effets de la musique sur les élèves : elle aide, elle soigne, elle fait grandir, elle donne de la force, de l’avenir… Spectacle émouvant au théâtre du Luxembourg à Meaux (77). Mon ami Antoine Mignon, professeur de musique du lycée Jean Vilar, donnait son spectacle de fin d’année avec ses classes. Attention, pas une option sélective, une option où chacun peut venir même s’il n’a jamais chanté, jamais joué d’une instrument. Une option de l’humain et du contact, de la relation dans la pratique collective, dans la découverte culturelle.
Trois niveaux de la seconde à la Terminale, 70 adolescentes et adolescents, pas encore tout à fait adultes, sont montés sur scène pour interpréter une comédie musicale de Broadway, l’une des plus célèbres et pourtant inconnue en France, Dolls and Guys, une histoire d’amour entre des voyous et des jeunes filles bien ! De la musique sans complaisance, loin des ritournelles à la mode issues du répertoire désastreux des dessins animés de W. Disney. Une fugue pour commencer, trois voix, et des chants à assumer en soliste, des duos d’amour, se toucher, délicatement, une main tendre sur la joue, dans la retenue de leur âge qui a tant de mal déjà à assumer son propre corps. Soixante-dix élèves sur scène tout le temps, des mouvements au cordeau, du plaisir à tous les niveaux.
Ce que je n’avais pas prévu, c’était ma propre émotion : celle de voir certaines de mes anciennes élèves de collège sur scène, devant moi. Deux ans, trois ans auparavant, elles étaient encore en troisième, demandant éperdument de grandir, de quitter un établissement devenu trop petit pour elles. Certaines avaient souffert dans des classes épouvantables. Elles m’avaient fait confiance, elles avaient choisi l’option musique en seconde.
Le discours qu’ont voulu faire les élèves de terminale, à la fin de l’ultime représentation fut magistralement improvisé, avec une assurance folle devant des centaines de personnes debout et applaudissant. Il était simple : « Depuis trois ans, la musique, notre professeur, nous accompagnent dans nos études. Ça nous a fait un bien fou, et ça va s’arrêter car c’était notre dernier concert. Merci, merci pour tout ce que ça nous a apporté, pour le plaisir, la joie et les beaux projets. Vous avez de la chance, vous qui êtes en seconde ou en première, car ça va continuer encore un peu pour vous. » Dans les coulisses, ensuite, les larmes ont coulé, les yeux étaient rouges : « Merci monsieur Léon, c’est aussi grâce à vous qui nous avez donné l’idée ». Ça fait du bien.
Mais pourquoi donc étais-je si ému ? La nuit suivante me livra la réponse ; il y a plus de quarante ans, j’étais à leur place, envahissant une salle de spectacles, ses coulisses, ses loges, ses rites, j’étais fier, heureux, grand. Le monde m’appartenait et ça a changé ma vie. Et puis ce samedi, spectateur, je me suis rendu compte, stupéfait, combien j’étais fier de mon métier de professeur de musique. Merci Antoine, merci chers élèves.
Le grand Winnicott disait que ce n’est pas toujours la psychologie ou la psychanalyse qui soignent les élèves. C’est le groupe, celui qui fonctionne sur des bases saines, solides, qui permet à chacun de parler sans crainte, qui respecte le sujet même dans la pratique collective. C’est le groupe collaborant, aidant, qui ne juge pas, qui fait grandir. Il donne à ceux dont la matrice sociale est déficiente, abimée, un modèle auquel ils peuvent se raccrocher. Et la musique, l’art, la culture, celle qui permet le partage et la relation humaine, offrent cela. Loin des productivistes de l’éducation nationale, loin des machines à mettre le cerveau en équations qui ne fonctionnent pas, loin de ces neuro-sciences, qui me font désespérer de l’avenir de l’éducation nationale.
Jean-Charles Léon
Professeur de musique
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