Incontournables. De ministre en ministre, l’enseignement professionnel est salué par de grandes déclarations sur sa revalorisation. La réforme annoncée le 28 mai par JM Blanquer n’échappe pas à la règle. Pourtant elle se traduit par une réduction sensible des heures d’enseignement général et une certaine déprofessionnalisation avec des interrogations pour le maintien de postes d’enseignement. JM Blanquer ressuscite un enseignement supérieur d’un an non qualifiant pour les bacheliers professionnels qui rappelle beaucoup le « brevet professionnel supérieur » imaginé par G Fioraso en 2014. Si un effort de modernisation des formations est annoncé par le ministre, il faut bien dire que l’avenir des jeunes des lycées professionnels semble peser bien peu alors même que c’est là que se joue, comme le dit le ministre lui-même l’avenir du pays.
Vision idyllique et marronniers
« Le lycée professionnel est un levier de réussite, un grand atout pour l’avenir du pays…Le dynamisme économique du pays dépend de sa capacité à former d’excellents professionnels ». Le 28 mai, JM Blanquer n’a pas échappé aux marronniers de la rue de Grenelle. Il apporte sa propre touche en dessinant des « campus des métiers » avec piscine, internat et pelouses arborées, où s’ébattront cote à cote apprentis, lycéens , étudiants, chercheurs et salariés d’entreprises prestigieuses. Une vision idyllique qui devrait concerner 3 campus par grande région dans un avenir un peu imprécis. Le ministère entend y apporter 50 millions via les projets investissements d’avenir et donc l’effort financier devra être fait par les régions. Celles ci ont largement soutenu 78 « lycées des métiers ».
Nouvelle organisation
Le ministère annonce de nouvelles grilles horaires et une nouvelle organisation des études. Comme le Café pédagogique l’avait publié, le ministre a repris les conclusions du rapport Calvez – Marcon concernant l’organisation des études. La classe de seconde proposera un enseignement de découverte professionnelle autour d’une famille de métiers. Au lieu de 80 secondes différentes il n’en restera plus que 15. Pour le ministre cela permet de rendre « plus lisible » l’orientation. En fin de seconde le lycéen choisira une spécialité qu’il suivra deux années. Mais en terminale, il devra aussi opter pour un module de préparation au supérieur ou un autre sur l’insertion professionnelle.
A noter que le ministère ne dit pas grand chose sur les nombreuses affectations forcées en professionnel quand par exemple un jeune qui veut faire microtechniques est envoyé en GA ou en technicien du bâtiment. Il promet qu’une mise en réseau des lycées et l’ouverture d’internats atténuera le phénomène.
Nouvelles grilles horaires
D’autre part les grilles horaires du bac pro et du CAP sont revues. En bac pro le ministère réintègre des temps de formation en co intervention enseignement professionnel et général : par exemple enseignements professionnels et français pour 30 heures annuelles en 2de et 13 en terminale. Mais ça peut être aussi enseignements professionnels et maths. Un horaire de réalisation de « chef d’oeuvre » en enseignement professionnel est aussi crée : 108 heures en 1ère et terminale.
L’horaire hebdomadaire est abaissé. Et c’est surtout au détriment de l’enseignement général. Ainsi au lieu de 380 heures de français – histoire-géo et EMC il n’y aura plus que 267 heures (297 avec les enseignements en co intervention). En maths on passe de 181 à 140 heures (ou 171). En langues de 349 à 265. Les périodes de formation en milieu professionnel seront aussi revues mais à la baisse : au lieu de 22 semaines se sera de 18 à 22 semaines.
Un double allègement
On a donc un double allègement dont le ministre s’est bien gardé de faire état. Et d’abord une déprofessionnalisation du bac pro. La préparation du bac pro au lieu de durer 3 ans ne portera plus que sur deux années. Certes l’entourage du ministre promet que la découverte professionnelle de seconde portera sur des compétences communes aux spécialités de la famille de métiers. Certes le ministre explique que l’idée vient du terrain. Mais au final l’enseignement professionnel de spécialité sera réduit d’une année et on peut se demander ce que vaudra sur le plan professionnel le futur bac pro. On peut aussi s’interroger sur les effets sur les élèves : c’est sur une identité professionnelle que ces jeunes se reconstruisent en seconde pro au contact d’enseignants dont ils estiment la compétence professionnelle. Si on retire tout cela….
Tout aussi grave apparait la réduction de l’enseignement général. La conférence du Cnesco sur l’enseignement professionnel avait conclu à la nécessité de renforcer les curricula en enseignement général. En réduisant les horaires on fait l’inverse. De ce fait on rend plus difficile la poursuite d’études supérieures. Par exemple celle ci exige deux langues vivants. Or cet horaire sera sérieusement amputé. A coté de tout cela, la réalisation d’un chef d’oeuvre et la perspective d’un oral au bac, deux bonnes idées, apparaissent comme des progrès très secondaires.
Il envisage aussi de réduire fortement le nombre de classes de GA sur 5 ans (réduction de moitié). C’est intéressant à observer car cette filière de GA qui ne fonctionne pas est justement le prototype du regroupement de métiers en seconde…
Le ministère annonce une refonte des programmes et la mise en place de ces nouveaux horaires à la rentrée 2019. Il veut moderniser les formations et revoir les diplômes.
L’apprentissage en LP
Difficile d’évaluer l’impact de ces mesures sur les postes. En fait c’est à peu près 10% de l’horaire élèves qui disparait. Le Snuep Fsu annonce 6000 suppressions de postes. Mais tout dépendra aussi de la façon dont le ministère appliquera la réforme. Par exemple augmentera-t-il les dédoublements ou réduira t-il le nombre d’élèves par classe ? Il semble quand même difficile de croire que la réforme sera à moyens constants comme le ministère l’a dit aux syndicats.
Le ministère reprend aussi du rapport Calvez – Marcon l’idée de développer l’apprentissage en L.P. Le ministre annonce une UFA dans chaque LP en 2019. Son entourage est plus prudent et parle d’accords entre lycée et CFA. Il promet aussi que les publics scolaires et apprentis seront dans des classes différentes. On verra bien. Mais dans tous les cas ces rythmes d’études complètement différents va amener les établissements à poser la question de l’annualisation des services. Or là aussi le ministère sait qu’il y a un gisement d’emplois non négligeable.
L’avenir du BEP , diplôme intermédiaire, n’est pas très clair. Il est certain que la formule actuelle, jugée trop lourde est condamnée. Elle devrait être remplacée par un bloc de compétences dans le nouveau bac pro. Mais ce n’est aps encore très clair.
Le retour du brevet professionnel supérieur
La dernière annonce ministérielle concerne le post bac. Le ministère annonce l’ouverture de 2000 places supplémentaires en BTS. Un point très positif mais rappelons que le nombre de jeunes bacheliers pros qui veulent poursuivre dans le supérieur est un peu inférieur à 100 000 et que 37 000 bacheliers pros seulement sont admis en BTS.
Aussi le ministère a repris l’idée de certains syndicats et imaginé des « classes passerelles » d’une année ni certifiantes, ni qualifiantes, ni donnant un ticket d’admission en BTS. On ne connait pas encore le volume que cela prendra. Mais ca rappelle les « brevets professionnels supérieurs » que G Fioraso avait imaginé en 2014. C’est à dire une formation supérieure réservée aux bacs pro , ne débouchant sur rien et reconnue par personne. Autrement dit un garage au contenu vague où entasser des bacs pros dont on se refuse à reconnaitre la valeur du bac. Et un bel instrument pour encourager ces jeunes à enterrer leur rêve d’études supérieures. Un autre instrument va aussi en ce sens avec le choix définitif du module de terminale.
Fin de rèves
Ainsi pourrait se déliter ce qui a été la plus belle réussite du système éducatif français. De 2010 à 2017 on a vu le nombre de bacheliers professionnels exploser passant de 110 000 à 190 000. Cette explosion a porté la démocratisation du bac et amorcé un grand élan vers le supérieur des jeunes d’origine populaire à travers le lycée professionnel. C’est cet élan que le gouvernement est en train de stopper net avec Parcoursup et la réforme de la voie professionnelle.
Bien loin de revaloriser l’enseignement professionnel, la réforme pourrait abaisser le niveau des bacheliers professionnels et réduire et leurs chances d’études supérieures et leurs chances d’insertion. 30 ans après la création du bac professionnel, celui ci n’est toujours pas considéré comme un vrai bac et ses élèves sont toujours vus comme des intrus.
François Jarraud
Troger : le bac pro une chance
A Jellab : enseigner en lycé eprofessionnel
Conférence Cnesco sur l’enseignement professionnel : le dossier