Dans une « Note d’analyses et de propositions » le Conseil supérieur des programmes (CSP) présente à la fois une analyse critique des programmes actuels et leur recadrage dans le futur nouveau lycée. Quelle est la portée de ce texte ? Il s’agit de « notes d’analyses et de propositions ». Pourtant c’est plus souvent au futur qu’au conditionnel que le texte est écrit. Ainsi il donne des indications précises sur les enseignants qui pourront exercer dans tel ou tel enseignement de spécialité ou option et en fixe même la répartition horaire. Il annonce des révisions de programmes conséquentes ainsi que des changements dans les épreuves du bac. L’objectif annoncé est « l’élévation réelle du niveau des acquis de l’ensemble des élèves » et « approfondir les savoirs ». Pourtant le CSP n’hésite pas à prôner l’allègement des programmes dans plusieurs disciplines dans un curieux mélange entre traditionalisme et une certaine ouverture. On notera également la profonde réorganisation imposée à l’enseignement technologique pour la seule raison de le plier au modèle de l’enseignement général.
Contre l’encyclopédisme des programmes de 2010
Le CSP s’est d’abord livré à un « état des disciplines et des épreuves » qui souvent reprend les discours des associations de spécialistes mais qui aussi parfois tourne l’oreille vers des groupuscules proches du ministre. Globalement le CSP critique l’encyclopédisme des programmes et demande qu’ils laissent le temps à la pratique et à l’autonomie des élèves. Mais il suffit de regarder la liste des auditions pour voir que le CSP a accordé beaucoup d’importance à de petites associations disciplinaires connues pour leur conservatisme et aussi à des groupes professionnels (Fédération des psychologues, société informatique de France) dont la légitimité pédagogique reste à démontrer.
Ce déséquilibre se voit nettement en français où , si le CSP critique la » tendance au formalisme et au technicisme primant sur la maîtrise de la langue » et l’absence des littératures étrangères et francophones, c’est au final pour préconiser de réduire le nombre d’exercices à l’EAF c’est à dire pour faire disparaitre l’épreuve d’écriture d’invention. » Cette dernière, étrangère à la formation initiale des professeurs de lycée, suscite chez nombre d’entre eux des réticences dans l’évaluation, notamment sur le caractère subjectif de l’appréciation de la créativité. Censée favoriser l’implication par l’appel à l’imagination, elle est à tort considérée par les élèves comme un exercice facile alors que les contraintes formelles implicites en sont nombreuses et complexes », écrit le CSP. « Le commentaire et la dissertation ne sont pas critiqués, paraissant aux professeurs consubstantiels à la discipline. L’on pourrait néanmoins envisager des sujets de dissertation libérés de l’emprise formelle et proposer des questions ouvertes, plus largement humaines que strictement littéraires ».
En SES, le CSP était aussi très attendu mais finalement il reste dans les marges des avis antérieurs. Le CSP reprend la formule de l’avis du CSP CNEE : » L’équilibre entre les composantes de cet enseignement doit être revu afin, à la fois, de mieux prendre en compte les apports de la sociologie, des sciences politiques et les regards croisés, et de garder toute sa place à l’étude de l’économie » et dénonce le caractère encyclopédique des programmes. C’est surtout sur les épreuves que le CSP s’étend : » La dissertation… mériterait de s’appuyer sur l’exploitation réfléchie et organisée de données chiffrées. L’épreuve composée, sans fil conducteur évident, suscite quelques réserves ».
En maths, » la construction du raisonnement en mathématiques s’est vue minorée et le sens même de la démarche mathématique s’est dilué du fait, notamment, de l’effacement relatif de la démonstration, tant dans la terminologie fondamentale que dans les pratiques régulières de classe », écrit le CSP. Il demande à ce que l’on donne » le primat à la construction du raisonnement mathématique, à l’appropriation de la démarche de démonstration, aux pratiques de calcul » quitte à réduire l’étendue des programmes.
En physique chimie, les programmes de seconde sont critiqués : » l’approche thématique des programmes de seconde donne le primat au thème et à la recherche documentaire, aux dépens des apprentissages scientifiques… Un recours plus restreint aux outils mathématiques a limité l’acquisition d’un véritable raisonnement scientifique ». Il s’agit donc de « remathématiser la discipline en redonnant toute leur place à la modélisation et à la formulation mathématique des lois physiques. »
La critique est moins sévère pour les SVT où le programme est jugé satisfaisant. Le CSP demande que l’épreuve se rapproche plus de la maitrise des savoirs et soit donc moins documentaire.
En histoire-géo, le CSP critique « l’encyclopédisme des programmes » qui » réduit les possibilités de proposer aux élèves des pratiques de classe variées ». Il critique aussi « la dimension cyclique qui caractérise la discipline, depuis l’école primaire jusqu’au lycée » qui » entraîne l’étude, à plusieurs reprises, des mêmes époques et des mêmes faits historiques : ce phénomène de répétition peut lasser les élèves qui n’en perçoivent pas la logique d’approfondissement et les changements de perspective ». Mais c’est pour mieux asseoir une approche chronologique : » l’introduction d’éléments de la recherche, la priorité donnée aux thématiques au détriment de la chronologie peut entrer en contradiction avec la nécessité de transmettre une formation historique fondamentale ». Le CSP souhaite garder les épreuves actuelles même si elles sont critiquées. Ainsi l’épreuve de cartographie, aujourd’hui la simple répétition d’une carte apprise par coeur, pourrait être accompagnée de statistiques et donc peut être revenir à ses origines.
Pour l’EMC, le CSP souligne l’absence d’évaluation au bac. » Le maintien de l’enseignement moral et civique dans le nouveau lycée exigera que l’on porte une attention particulière à la question de son évaluation à l’examen du baccalauréat. »
En langues vivantes, le CSP demande à assouplir les 4 thèmes du programme » en articulant les notions à des objets d’étude plus clairement déterminés et davantage ancrés dans les spécificités linguistiques et culturelles de chaque langue. » Les épreuves sont jugées satisfaisantes, mais le CSP demande la révision de l’épreuve orale d’ailleurs très critiquée, » afin de mieux vérifier cette compétence fondamentale de compréhension ». Le CSP valide l’évaluation par une certification à condition qu’elle soit en plus du bac.
En philosophie, le CSP souhaite la réduction du nombre de notions en série générale et donne le nouvel exercice de composition assistée de la série STHR comme modèle pour la série technologique.
Le CSP soulève la singularité de l’EPS : » alors qu’elle figurera parmi les enseignements communs à tous les élèves, la modalité de son évaluation demeurera celle du contrôle en cours de formation, ne s’inscrivant pas, donc, dans le cadre des épreuves communes. Pour être légitimée, cette place singulière devra être explicitée ».
Des précisions sur les nouveaux enseignements
Le CSP s’est attaché ensuite à faire le point sur les nouveautés en seconde et dans le cycle terminal. Ainsi en seconde il précise que l’enseignement de sciences numériques et technologie sera assuré par des profs de maths ayant choisi l’option informatique et des professeurs de technologie. Il consistera surtout en apprentissage du code avec aussi une partie sur « l’histoire et l’épistémologie du numérique ».
Dans le cycle terminal, l’enseignement scientifique associera les disciplines scientifiques. » À travers la connaissance et la compréhension des grandes théories scientifiques, non seulement celles qui ont marqué l’histoire des sciences et des représentations humaines mais aussi celles qui témoignent de la vitalité de la recherche contemporaine, cet enseignement permettra à tous les élèves des classes de première et terminale de se familiariser avec les raisonnements et les démarches caractéristiques de la science ». Il s’agit de développer la logique rationnelle.
L’enseignement histoire géographie géopolitique et sciences politiques pourra être confié à des professeurs d’histoire geo et de SES. « On encouragera les études croisées » dit le CSP qui propose plusieurs répartitions horaires (3 HG 1 SES ou 2 et 2 en première). L’épreuve terminale sera une dissertation et des études de documents.
L’enseignement « humanités littérature et philosophie » sera assuré par des professeurs de lettres et de philosophie à travers des approches croisées d’objets communs. Là aussi le CSP propose un horaire (3 lettres et 1 philo ou 2 et 2) et verrait bien une dissertation au bac.
Littératures , langues et culture de l’antiquité ne pourra pas se cumuler avec l’option. Cet enseignement reposera sur des lectures de textes antiques et l’épreuve sur une traduction . L’enseignement numérique et sciences informatiques reprendra le programme de l’actuel enseignement ISN.
En terminale, le CSP précise que l’enseignement de « maths expertes » sera proposé aux élèves qui auront fait le choix d’enseignements de spécialité scientifiques dans le cycle terminal et notamment de l’enseignement de spécialité de mathématiques, choisi en classe de première et conservé en classe terminale. Il visera un réel approfondissement dans la maîtrise des notions mathématiques, pour répondre aux besoins de formation des élèves qui se destinent notamment aux classes préparatoires aux écoles d’ingénieurs et aux études scientifiques à l’université ». Alors que « maths complémentaires » s’adressera en priorité aux élèves qui auront choisi en classe de première les mathématiques parmi les trois enseignements de spécialité et qui auront décidé de l’abandonner en classe terminale pour se concentrer sur les enseignements de spécialité de physique-chimie et de sciences de la vie et de la Terre’.
La série technologique bouleversée
En série technologique, » la réforme du baccalauréat ne bouleversera pas l’organisation de la voie technologique », affirme le CSP. Mais en fait toutes les filières sont touchées par des modifications importantes. En STMG 1ère, l’enseignement « Droit et économie » (en 2019) mettra l’accent sur le droit. Son horaire sera gonflé en terminale. En terminale le nouvel enseignement « management sciences de gestion et numérique » s’accompagnera d’un nouveau programme.
En ST2S les enseignements sont revus. » L’enseignement de spécialité « Biologie et physiopathologie humaines » bénéficiera de deux heures supplémentaires en classe de première. En classe terminale, la structuration des enseignements autour de deux spécialités a exigé la création d’un nouvel intitulé : « Chimie, biologie et physiopathologie humaines »… Ainsi, il semble indispensable de réviser et d’actualiser tous les programmes de « Sciences et techniques sanitaires et sociales » et de « Biologie et physiopathologie humaines ». Il faudra également rectifier le programme de physique-chimie pour la santé ». En STL , le CSP annonce une refonte importante des programmes.
Contradictions sur le bac
Finalement la partie la moins convaincante de la Note concerne les épreuves du bac. Le CSP met en avant « une des grandes avancées », la création de l’épreuve orale terminale. « Il conviendra que les différents enseignements, et notamment les enseignements de spécialité, envisagent des temps spécifiques à la construction et à l’exercice de cette compétence » dit le CSP. Mais on sait depuis le dernier CSE que la préparation du grand oral pourra être regroupée sur le seul dernier trimestre de terminale… Le CSP veut que l’épreuve porte sur les connaissances pour éviter de donner trop d’importance à la rhétorique.
Le CSP juge que le controle continu limitera le bachotage et invite les concepteurs de sujets à tenir compte du niveau des élèves , par exemple au premier semestre de première. » Il importe que les professeurs ne soient pas contraints de construire leur enseignement à partir du choix de ces sujets (de controle continu) et de préparer de manière exclusive et mécanique les élèves à différentes échéances successives ». Autrement dit le CSP a bien conscience des dangers que porte ce controle : une évaluation répétée qui pèsera lourd sur le quotidien de la classe et son ambiance.
Disciplines et programmes dernières roues du carrosse…
Ces Notes du CSP apportent des éclairages sur ce que seront les épreuves mais aussi les enseignements et leur organisation. Elles arrivent malheureusement après les décrets et les arrêtés passés au CSE qui organisent le bac et le lycée. C’est dire si les choses sont mises à l’envers dans cette réforme du lycée et si les exigences politiques et comptables dominent.
On pouvait s’attendre, après l’éviction de M Lussault puis de S Plane et la nomination de nouveaux membres, de la part du CSP à un net glissement des programmes vers une vision très traditionaliste dans l’esprit des programmes de 2010. A l’exception de quelques cas, comme le français, le CSP a su se détacher des programmes de 2010, pourtant conçus sous Blanquer. Le CSP a entendu les dénonciations de l’encyclopédisme de nombreux programmes et globalement , sur ces sujets, les critiques des associations. IL reste à voir si le CSP annonce bien ce que seront les programmes ou si le ministre s’affranchira de cet organisme comme il a su le faire récemment de son conseil scientifique à propos de la lecture et l’écriture.
François Jarraud