Le concert « Musique et création dans l’univers concentrationnaire nazi » place la question de la transmission au cœur de son programme. Préparé et interprété sur scène par les élèves de l’école Guillaume Apollinaire, du collège Joliot-Curie et du lycée Utrillo de Stains (Seine Saint-Denis), il conclut l’engagement d’une partie d’entre eux dans le CNRD (Concours National de la Résistance et de la Déportation) 2017 dont le thème était « la négation de l’homme dans l’univers concentrationnaire nazi ». C’est ainsi que le concert est présenté dans le programme qui nous est remis à l’entrée de la salle de la Mairie du 4ème arrondissement dans laquelle le concert a eu lieu le mercredi 11 avril, à l’occasion des commémorations de la libération du camp de Buchenwald. La salle est majestueuse, les élèves, habillés de noir, sont enthousiastes et sérieux. L’orchestre est composé de ce chœur intercycles, d’un chef de cœur : Amaury Pierre (par ailleurs professeur de musique au collège Joliot-Curie), d’une soprano solo : Esther Labourdette et de musiciens, sous la direction de Yohann Recoules. Comment ces jeunes élèves stanois se sont-ils retrouvés impliqués dans cet événement hautement symbolique ? Les enseignants nous répondent.
Fabien Pontagnier et Pierre Amaury sont enseignants au collège Joliot-Curie de Stains, le premier est enseignant d’histoire, le second de musique. Nabil Ben Yedder est directeur de l’école élémentaire Guillaume Apollinaire rattachée à ce collège dans le cadre d’un REP+ (Réseau d’éducation prioritaire +), Karima Bouhatmi est l’enseignante de la classe de CE1-CM2, volontaire pour participer au projet. M. Ben Yedder et le chef d’établissement du collège, ont toujours mis en place des projets facilitant la continuité interdegrés, c’est donc tout naturellement que l’école élémentaire s’est retrouvée « embarquée » dans l’aventure.
Comment a émergé le projet ?
« Avec mon collègue, Fabien Pontagnier, professeur d’histoire dans le même établissement, nous avons participé au Concours National de la Résistance et des Déportes (CNRD) session 2017, pour lequel nous avons obtenu le prix national du Jury « passeurs d’histoire ». Nous avions élaboré avec les élèves de troisième une malle pédagogique contenant cinq panneaux associés à un certain nombre d’activités pratiques, plastiques, artistiques, ayant pour support des documents d’archives. Le but étant de la faire voyager à travers diverses écoles pour initier les enfants au phénomène de la déportation. Cette malle était conçue pour être intercycles et double niveau, sixième et troisième. Dans la continuité de notre engagement dans le cadre du CNRD 2017, nous souhaitions prolonger le volet musical du projet débuté en mars 2017, qui consistait en une série de concerts. Nous avons, en prolongation du CNRD, donné trois concerts qui reprenaient ce programme l’année dernière (deux aux Archives Nationales et un à la mairie du IVe arrondissement de Paris). La partie instrumentale de ces concerts a été assurée par un orchestre éclectique composé d’un quatuor à cordes, et divers instruments à vent, tandis que la partie chœur a été assurée par les élèves de niveau troisième qui ont produit le travail collectif présenté au CNRD », nous explique Amaury.
Comment vous êtes-vous, concrètement, organisé ?
« Pour la session 2018, nous avons rassemblé des enfants de l’école primaire Apollinaire de Stains (classe CE1/CM2), une quinzaine d’élèves parmi nos troisièmes et des lycéens – les anciens élèves de troisième engagés dans le projet en 2017. Cette quarantaine d’élèves a repris le programme chanté lors de la session 2017, accompagnés sur scène par le même orchestre. En travaillant en étroite collaboration avec ma collègue, Karima Bouhatmi, professeure des écoles, ainsi que Nabil Ben Yedder, directeur de l’école Apollinaire, j’ai appris aux élèves les paroles de ces chansons depuis le début du mois d’octobre. Karima est venue dans ma classe, au collège, chaque jeudi pendant une heure, parfois plus.
Bien évidemment, nous ne pouvions pas enseigner ces chants de façon détachée de l’Histoire. Nous avons donc commencé par initier les enfants au phénomène de la déportation, à l’aide de la malle pédagogique que nous avions créée pour la session 2017 et qui nous a valu le prix national ». Fabien développe le propos d’Amaury : « J’ajouterai que les élèves de troisième engagés dans le CNRD 2017 étaient dix-huit et volontaires. Tous n’étaient pas forcément des élèves en réussite scolaire. Certains avaient des difficultés de compréhension, d’expression ou dans l’écriture. Un élève a été exclu de l’établissement durant l’année, mais a continué de s’investir dans l’aventure, il s’agit de Cheik qui a tenu le rôle de maître de cérémonie cette année ! ».
Les enseignants nous expliquent que l’un de leur objectif principal était la collaboration intercycles sur le réseau mais aussi l’initiation d’un réel travail intergénérationnel par le biais des concerts qui permettent d’entretenir la mémoire et de la transmettre aux générations futures.
Ainsi, les élèves ont préparé les chants puis le chef d’orchestre, Yohann Recoules, est intervenu tous les jeudis, pendant trois heures, afin de « hisser les élèves à un niveau artistiquement supérieur ». Fabien nous explique que lors de l’année scolaire 2016/2017, les élèves ont participé à de nombreuses sorties pédagogiques et ateliers dans différentes structures afin de retracer le parcours des déportés de Stains à Buchenwald.
Le premier concert, à destination des écoliers et collégiens du REP+ Joliot-Curie, a eu lieu le lundi 9 avril aux archives nationales de Pierrefitte sur Seine, dont le service éducatif accueille et propose depuis plusieurs années des concerts en accompagnement du CNRD afin d’aborder les thèmes du concours au travers de la musique. Le deuxième concert a eu lieu à la mairie du quatrième arrondissement de Paris où le public semblait plus initié. Le vendredi suivant le concert, les élèves du collège et de la classe de Karima se sont rendus au Mémorial de Compiègne afin de clôturer le cycle.
Ce type de travail a-t’il permis de développer les compétences psychosociales des élèves ?
« Nous inscrivons notre démarche de « passeurs d’histoire », où l’enseignement nous a été transmis par les anciens déportés, que nous avons nous-mêmes transmis aux élèves qui se le sont appropriés afin de le transmettre à la nouvelle génération. Chaque élève engagé dans le projet n’oubliera jamais ce qu’il a fait en tant qu’artiste et en tant que dépositaire d’une mémoire commune. » nous explique Amaury.
Fabien renchérit : « Tous ont progressé, se sont épanouis, découverts. Aborder ces questions sur l’année, de façon transdisciplinaire, leur a permis de mieux saisir les enjeux de ces questions ». Il continue en expliquant que naturellement les élèves sont installés dans un travail collaboratif où les plus âgés prennent en charge les plus jeunes. Une dynamique qui a permis de rapidement former un groupe uni, capable de chanter ensemble. Les élèves ont aussi acquis certaines compétences qu’ils pourront réinvestir dans leur quotidien et leur vie future, comme par exemple mieux se connaître soi-même, connaître les autres, être capable de les écouter, s’exprimer en public et devant un public.
Mémoire commune
J’ai, moi-même, assisté au concert qui a eu lieu à la mairie de Paris. Le public a ovationné les élèves, qui ont fait preuve d’un grand « professionnalisme », leur envie de communiquer leur émotion était palpable et lorsqu’ils ont entonné, en chœur, le « Chant des Marais », j’avoue que mes larmes ont coulé…
En ces temps de polémique autour des banlieues, de l’antisémitisme grandissant, montrer que les élèves de quartiers populaires, n’attendent que de se voir proposer des projets ayant du sens pour qu’ils s’inscrivent dans une volonté de construction d’une mémoire commune, le devoir de mémoire n’en devenant que la continuité logique…
Lilia Ben Hamouda