Peut-on toucher les maths ? Quels rapports celles-ci entretiennent-elles avec le réel ? A ces questions, Olivier Longuet, professeur de maths au lycée Alain Chartier de Bayeux, apporte ses réponses. Elles tiennent souvent en un bout de ficelle et un morceau de carton. Mais avec elles, il a la joie de voir le regard des élèves s’allumer.
Difficile de trouver Olivier Longuet sans un bric à brac de cartons, de morceaux de bois et de bouts de ficelle. Ses armoires en salle de maths sont pleines d’objets singuliers tout droit tirés de l’atelier d’un bricoleur. Pourtant, discipline reine, les mathématiques ne trainent pas derrière elles une réputation aussi légère. Au sommet, quand C Villani nous dit qu’il faut des manipulations pour faire passer les notions, la dernière Note du CSP répond en affirmant » le primat à la construction du raisonnement mathématique ». Mais faut-il opposer les deux ? Sans doute pas, nous dirait Olivier Longuet.
De ses armoires il tire une improbable suite de machines bizarres qui sont des outils d’enseignement mais aussi des inventions et au final des concepts mathématiques en action. Les concepts mathématiques peuvent-ils se toucher ? Quel est leur rapport au réel ? Plus simplement comment Olivier Longuet en est-il venu à imaginer et construire des machines à enseigner les maths qui tirent l’élève vers le concept ?
Vous enseignez les concepts mathématiques par le toucher et la manipulation. Comment cela vous est-il venu ?
Il y a 10 ans j’enseignais en collège et je voyais bien que je ne touchais pas les élèves. J’avais pensé pour faire sentir des théorèmes, comme le cercle circonscrit dans un triangle, à utiliser le logiciel Géoplan. Mais ça supposait de pouvoir accéder à la salle informatique en souhaitant que tout fonctionne… Alors j’ai tenté de fabriquer un objet qui montre le concept.
J’ai débuté mon cours par des exercices et, surprise, j’ai donné mon objet à un élève. Tous les élèves avaient les yeux vrillés dessus. Au bout d’un moment mon objet est passé de mains en mains et j’ai vu le regard des élèves s’allumer. On a utilisé mon objet et après on a formalisé.
Dans ce moment j’ai senti que je répondais à une attente non formelle de mieux sentir les maths. J’ai essayé ensuite de généraliser cette démarche et de voir s’il y a des objets qui peuvent représenter des théorèmes ou mieux faire comprendre un problème. Et je partage tout cela sur mon blog.
Peut-on utiliser cette démarche tout au long de la scolarité jusqu’au lycée ?
Il faut le faire dès la maternelle. Au lycée c’est compliqué et j’ai mis plus de temps qu’au collège pour trouver des solutions. En probabilités j’utilise des roues pour faire des loteries. Pour les vecteurs par exemple et la géométrie dans l’espace j’utilise des sections de cube sur un plan : je donne un cube en plastique aux élèves avec de l’eau et ils voient que pour une section il faut une droite. J’utilise même le sol de la classe, qui est carrelé, pour faire tracer des droites parallèles.
Quand les élèves coincent je fais manipuler. Cela facilite la compréhension. J’ai découvert par exemple que poser quelque chose à plat , par exemple sur le sol, encourage le travail collaboratif. Ca génère une ambiance de travail particulière qui tourne au débat.
Des enseignants demandent que l’on mette l’accent sur l’abstraction, la pensée mathématique pure. C’est contradictoire avec ce que vous faites ?
Pythagore et Euclide c’est très abstrait. Pourtant cela vient de problèmes concrets. Et dans tous les cas le travail de formalisation, après la manipulation, est toujours nécessaire. Je propose bien une pensée mathématique aux élèves. Mais je leur offre un biais pour la contextualiser.
Vos expériences se diffusent ?
J’anime un stage académique sur « toucher les maths » grâce au soutien de l’inspection. Depuis la semaine dernière je participe à la création d’un groupe de travail IREM sur la manipulation en maths, une idée qui est défendue dans la rapport Villani Torossian. Je développe cette idée mais je ne suis pas le seul.
Comment faites vous pour trouver ces objets d’enseignement ?
Je laisse venir l’idée. Mais avec l’expérience je sais quel support utiliser pour tel théorème. Et je décline les supports en idées. En ce moment je découvre un nouvel outil qui m’offre de nouvelles possibilités : une découpeuse laser.
Propos recueillis par François Jarraud
Pour en savoir plus : Les mathématiques et le réel
Cet ouvrage remarquable réfléchit lui aussi à la place de l’expérience dans les pratiques mathématiques. Il s’appuie pour cela sur l’histoire des sciences. Il retrace de nombreuses expériences historiques qui ont permis la découverte de concepts ou sur des pratiques scolaires anciennes. Il s’appuie par exemple sur la cosmologie grecque pour approcher l’astronomie mathématique ou sur des expériences à partir des machines de B Pascal. Ou encore l’ouvrage revient sur la pratique du graphomètre en classe ou sur celle des poids suspendus. Agrémenté de nombreuses reproductions historiques l’ouvrage est simplement passionnant. Et il pousse de nombreuses portes pour enseigner les maths autrement.
E Barbin, D Bénard, G Moussard, Les mathématiques et le réel, Presses Universitaires de Rennes, 2018, ISBN 978-2-7535-6531-9