Dans un nouveau document proposé aux syndicats le 25 mai, le ministre de l’action et des comptes publics envisage la suppression des instances paritaires des fonctionnaires, notamment ceux de l’Etat. Ce sont ces instances qui sont légalement consultées sur l’avancement et les mutations par exemple. Leur suppression permettrait, selon le ministre, d’alléger la gestion des personnels, de permettre une gestion locale et de récompenser le mérite individuelle. Trois jours après une grève et une manifestation qui n’avaient pas fait le plein , le gouvernement envisage de supprimer les fondements mêmes du statut des fonctionnaires. Ceux ci sont maintenant au pied du mur. La FSU appelle dès maintenant « les agents à réagir à cette attaque frontale contre leurs droits ».
Un document gouvernemental explosif
Dans un document destiné au groupe de travail sur les organismes consultatifs compétents, le ministre de l’action et des comptes publics , Gérald Darmanin, propose plusieurs scénarios d’évolution du statut des fonctionnaires, notamment les fonctionnaires d’Etat comme les enseignants.
Il rappelle que le droit de participation des agents publics passe par des organismes consultatifs où siègent les représentants du personnel, dont les CAP, en application de l’alinéa 8 du préambule de la constitution de 1946 (annexé en 1958) et de l’article 9 du statut général. Une loi de 1984 et un décret de 1982 ont confirmé les droits des CAP.
Sont soumis aux CAP de droit les questions de titularisation, licenciement, promotion, avancement, détachement, sanctions, mutations. A la demande du fonctionnaire, les CAP sont aussi compétentes sur la révision de la notation, les temps partiels, les absences.
Supprimer les CAP ou leurs compétences ?
Le ministre met en avant plusieurs objectifs. Il s’agit selon lui de « fluidifier les mobilités individuelles » : les enseignants savent à quel point en effet les mutations sont difficiles, voire, dans certains departements pour le premier degré, quasi impossibles. Le ministre veut aussi revoir l’architecture actuelle par corps. Il envisagerait plutot une gestion par catégorie (A, B ou C). Enfin il veut surtout mieux « prendre en compte la valeur professionnelle » des agents. Mais les « pistes d’évolution » contenues dans le document vont très loin.
Ainsi pour la mobilité, le ministre propose de « supprimer toute compétence des CAP sur les actes de mobilité et mutation ainsi que pour les questions de disponibilité, détachement. Les CAP ne seraient plus consultées sur les promotions : elles recevraient juste « la liste des agents retenus par l’autorité de gestion ». Les CAP ne seraient plus compétentes sur les mesures individuelles favorables (titularisation).
Finalement, pour « remédier aux lourdeurs constatées par les employeurs en matière de gestion individuelle des ressources humains », le ministre propose « la suppression éventuelle du paritarisme à l’exception des questions disciplinaires ». Encore cette consultation pourrait-elle être « dématérialisée » pour gagner du temps…
En fait les commissions paritaires matérialisent une philosophie des rapports sociaux basés sur des droits et une association à la gestion des représentants du personnel. Ce sont ces CAP qui donnent aussi aux syndicats leur force dans le système éducatif. Supprimer les CAP c’est aussi penser, ou en nourrir l’illusion, la suppression du syndicalisme dans l’appareil d’Etat.
Une volonté gouvernementale déjà exprimée
Est-ce vraiment une surprise ? Le gouvernement a multiplié les signaux depuis plusieurs mois pour manifester sa volonté de remettre en cause le statut de la Fonction publique. Ainsi le 1er février, E Philippe lui même annonçait qu’il lance le chantier de la « rémunération plus individualisée.. Une part de la rémunération (de l’agent) doit être liée au mérite et à l’atteinte des résultats individuels et collectifs », disait-il. Il envisageait de donner plus de pouvoirs aux managers, comme les chefs d’établissement. « Il s’agit de donner plus de liberté et plus de responsabilité pour les managers publics… Au niveau central comme déconcentré, les managers publics, dont l’implication et la responsabilisation sont déterminantes pour la réussite de la transformation publique, ne disposent pas aujourd’hui des leviers nécessaires à l’exercice de leurs missions… En tant qu’employeurs, leur capacité d’initiative et leur marge de manoeuvre apparaissent excessivement contraintes ». Le gouvernement veut leur donner notamment » plus de souplesse dans leurs recrutements ». Toutes choses qui impliquent de changer le statut.
Dans le sens des projets de JM Blanquer
Dans son nouveau livre, JM Blanquer rappelle qu’il faut » développer une gestion des ressources humaines au plus près du terrain… Nous devons mieux reconnaître. le mérite de nos professeurs. C’est d’ailleurs une approche globale que promeut pour la fonction publique le gouvernement auquel j’appartiens ». A plusieurs reprises il a évoqué la remise en question du statut. Ainsi dans Acteurs publics il disait : » pour le mouvement des enseignants, il ne faut pas s’en remettre uniquement à la « machine » et à l’ancienneté. Nous devons remettre de l’humain dans la gestion des ressources humaines ». Il annonçait aussi » plus de pouvoirs aux recteurs, aux inspecteurs d’académie, aux chefs d’établissement » et » la « pluriannualisation » du temps de travail des enseignants. »
Dans une note récente rédigée pour la FCPE, François Dubet avait vu juste. » Si ses propositions en venaient à s’appliquer, écrivait-il, c’est le coeur de l’institution lui-même qui en serait bouleversé. Pour qui connaît l’histoire, les traditions, les coutumes et l’imaginaire de l’Éducation nationale française, l’affirmation aussi nette de ces principes annonce une révolution. Le recrutement des enseignants par les établissements mettra à mal la conception traditionnelle de l’autonomie professionnelle des enseignants et privera les syndicats d’une de leurs principales ressources, celle de la « cogestion » des carrières. Le transfert de l’inspection vers un système d’audit et de renforcement du pouvoir des chefs d’établissement sera, lui aussi, perçu comme une révolution : au pouvoir lointain du ministère et de l’inspecteur se substituera un pouvoir proche.
Les enseignants au pied du mur
En mars 2018, les syndicats avaient déjà alerté sur la gravité des attaques envisagées contre le statut. Aujourd’hui, la FSU dénonce « un projet de « suppression du paritarisme » afin de « faciliter une déconcentration managériale » de la Fonction publique ». Pour la fédération « C’est inacceptable!! Ce projet propose la suppression du paritarisme, l’abolition des CAP en ce qui concerne les mutations, l’élargissement des sanctions disciplinaires sans contrôle des recours, la suppression des CAP par corps ». La FSU « appelle les agent-es à réagir à cette attaque frontale contre leurs droits. »
Le 22 mai les syndicats avaient réussi à faire l’unité pour la défense du statut de la Fonction publique. Il sont été très moyennement entendu avec des manifestations moins suivies que le 22 mars et un taux de grévistes au mieux identique. Autant de signaux qui sont interprétés au gouvernement comme l’opportunité d’aller au bout de son projet. Les fonctionnaires, notamment les enseignants sont peut-être déjà au pied du mur.
François Jarraud
Déclaration du premier ministre
Blanquer : les enseignants recrutés par les chefs d’établissement