Rédigée par trois sénateurs, une proposition de résolution pour doter la France d’une charte de l’éducation est déposée au Sénat. Il s’agit d’adosser à la constitution ce texte, officiellement pour donner toute son importance à l’éducation. En réalité, inspirée par le lobby « Vers le haut », la charte tente d’inscrire dans la constitution la vision libérale du système éducatif portée par ses auteurs.
Une charte qui défend l’autonomie des établissements
La résolution déposée au Sénat est rédigée par trois sénateurs Xavier Iacovelli (LREM), Guillaume Chevrollier (Les Républicains) et Monique de Marco (écologistes). « Comme la charte de l’environnement, la charte de l’éducation devrait être adossée à la Constitution. Ce geste fort permettrait de combler un manque dans nos textes fondateurs : la très faible place donnée à l’éducation et aux jeunes générations dans le bloc de constitutionnalité », écrivent les sénateurs. Elle permettrait d’exprimer « l’engagement de la France en faveur de l’éducation ».
Le texte est très court (12 articles) et fixe des grands principes généraux, dont certains sont déjà constitutionnels. La France a adhéré à la Convention internationale des droits de l’enfant qui impose par exemple déjà le droit à l’éducation. Cette charte vise à détourner cette logique vers d’autres priorités. Par exemple l’article 6 pose comme principe que « chacun a droit à un accompagnement éducatif personnalisé ». C’est un principe plus pédagogique que éducatif qui relève d’un type d’organisation du travail enseignant dont on se demande ce qu’il faut dans une charte constitutionnelle. L’article 11 déclare que « La définition de politiques publiques avec des objectifs nationaux va de pair avec une grande autonomie donnée aux acteurs éducatifs pour proposer des dispositifs adaptés aux besoins des jeunes et des familles, en encourageant les liens horizontaux entre ces différents acteurs ». Là on voit très clairement où ce principe mène : l’éclatement de l’éducation nationale en établissements ou groupes d’établissements autonomes, c’est à dire sa privatisation. Le dernier article pose la brique principale du nouveau management public : l’évaluation constante du système éducatif pour garantir son efficacité statistique. Une démarche quia échoué autre Atlantique mais qui arrive ici via cette charte et les évaluations Blanquer.
Le programme ultra libéral de Vers le haut
Mais pour bien comprendre cette charte il faut voir d’où elle vient. Elle résulte d’un programme « prêt à l’emploi » rédigé par « Vers le haut ». Cette organisation a été créée par des mouvements religieux impliqués dans l’éducation : catholiques comme les Apprentis d’Auteuil et le groupe Bayard, mais aussi protestants de l’Armée du Salut et musulmans avec les éclaireurs musulmans de France. Vers le haut a un conseil scientifique où on retrouve Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne et proche de JM BLanquer et d’E Macron, Alain Bentolila, un autre proche de JM Blanquer. Derrière Vers le Haut de nombreuses entreprises (Total, Engie, Sncf etc.).
Ce que prêche le programme « prêt à l’emploi » pour l’éducation c’est « réconcilier le monde de l’éducation et le monde du travail ». Cela passe par « co-créer le contenu des formations professionnelles entre système éducatif et monde professionnel ». C’est bien sur déjà le cas mais peut-être l’équilibre actuel ne suffit plus au monde patronal. Donc il faut « renforcer l’implication des acteurs professionnels dans les formations professionnelles » en organisant des réunions de travail régulières entre professeurs et cadres d’entreprise ou encore « faire des projets en co intervention » c’est à dire « faire entrer des personnes extérieures à l’intérieur du parcours scolaire des jeunes ». Le programme veut « inscrire l’éducation dans la raison d’être des entreprises ». Il propose d’instaurer pour chaque professeur « un parcours de césure dans le monde du travail », autrement dit un stage en entreprise, et de pousser les professeurs principaux à travailler beaucoup l’orientation des élèves. Toutes ces idées ne sont pas neuves : on les retrouve portées par l’Institut Montaigne et par la droite politique depuis des années.
Mais le « programme » va beaucoup plus loin. Pour que cela soit possible, les autres parties du programme visent, comme la charte, à détruire les bases d’une éducation nationale. Il demande « une plus grande responsabilisation des acteurs à tous les niveaux ». Il faut « faire des établissements la clé de voute du système scolaire : des unités scolaires plus autonomes et plus efficientes ». Fini les académies. On aurait des établissements autonomes , éventuellement regroupés , avec des directions ayant « une plus grande liberté dans la définition du projet d’établissement ». C’est la fin d’une éducation « nationale ».
Avec cela, le programme veut revoir la gestion des personnels éducation nationale. « Le système à points est incompris et considéré comme deshumanisant, ne tenant pas compte des talents », écrit Vers le haut. A la place on aurait la gestion des directions d’établissement autonomes. Les enseignants auraient une « obligation de mobilité » pour briser toute construction d’équipe. Et on engagera « un effort pour diversifier le recrutement des enseignants » par exemple en accueillant « des personnes qui ont une expérience significative dans le monde de l’entreprise ». Tout cela signerait la mort des corps et des statuts.
Cette proposition de déclaration a toutes les chances de passer au Sénat qui est dominé par la droite. Et d’ouvrir un débat glauque pour les présidentielles.
François Jarraud