Le jeu est depuis longtemps un appui à l’enseignement de l’histoire. Franck L’Hospitalier montre comment le jeu vidéo peur venir en soutien à l’histoire. Cédric Ridel utilise des jeux classiques pour affronter la complexité historique.
Franck L’Hospitalier : En histoire-géo avec le jeu vidéo
Doit-on enseigner avec le jeu vidéo ou enseigner le jeu vidéo ? C’est, un peu résumée, la réflexion de Franck L’Hospitalier, Mylène Manchec et Martial Brusq, trois professeurs et formateurs en histoire-géographie , qui livrent sur le site de Créteil une « mise au point » relative au jeu vidéo dans leur discipline. Au delà des exemples de séquences, Franck L’Hospitalier explique pour le Café pédagogique ce que doit être le rôle de l’enseignant quand il utilise le jeu vidéo pour en faire un vrai objet d’apprentissage.
Une solide mise au point sur le jeu vidéo et ses usages pédagogiques, c’est ce que Franck L’Hospitalier, Mylène Manchec et Martial Brusq voulaient proposer. « Les jeunes collègues sont très au fait des jeux », nous dit Franck L’Hospitalier. D’où l’idée de les faire réfléchir à leur utilisation en classe.
Deux séquences
Dans cette « mise au point » les trois auteurs réfléchissent aux apports du jeu vidéo en classe. » Arthur Graesser et son laboratoire de recherches (Université de Menphis) expliquent que les émotions entretiennent des liens importants avec les apprentissages, notamment les apprentissages qualifiés de “profonds”, c’est-à-dire la compréhension des mécanismes de causalité, le fait de générer des explications, des argumentations ou des raisonnements critiques, la résolution de conflits. Il explique que si les jeux sont conçus de manière adéquate…, ils peuvent rendre l’apprenant-joueur plus réceptif, plus concentré et plus engagé dans l’activité proposée. Ces comportements correspondent à des états psychologiques favorables aux apprentissages profonds ».
Le texte publié sur le site académique publie deux séquences. La première renvoie à une utilisation en classe du jeu sérieux éducatif de l’UNHCR « Envers et contre tout ». Le jeu place l’élève dans la peau d’un migrant. Il prépare à la vie de citoyen.
La seconde séquence utilise un extrait vidéo d’Assassin’s Creed, le célèbre jeu d’Ubisoft et un extrait d’émission sur ce jeu. Elles sont utilisées pour amener l’élève à réfléchir sur ce que le jeu montre, ses lacunes. Il s’agit là de faire l’apprentissage critique du jeu vidéo et non d’apprendre par le jeu.
Le jeu et les connaissances
Comment passer du jeu à l’institutionnalisation des connaissances ? « Le jeu n’est qu’un support parmi d’autres », nous dit F L’Hospitalier. « Par exemple dans Envers et contre tous, on pourra spatialiser avec une carte les flux de migrants et à partir de là trouver les raisons des départs, cartographier les zones d’accueil. Le jeu ne doit aps être un aboutissement. Il doit aboutir à un récit utilisant différents langages, comme la carte ».
Le rôle central du professeur
Quel doit-être le rôle du professeur quand il utilise un jeu vidéo en clase, avons nous demandé à Franck L’Hospitalier. « Il doit d’abord considérer sa situation pédagogique , choisir sa problématique. Le jeu doit s’insérer dans un scénario ».
Ensuite le professeur ne doit pas s’effacer derrière le jeu. « Il doit développer l’esprit critique sur le jeu , faire remarquer les lacunes. Par exemple dans la partie Damas d’Assassin’s Creed, le jeu ne montre que des musulmans alors qu’à l’époque Damas est une ville à la population mélangée. Il faut interroger les élèves sur ce qu’ils voient de façon à ce que se crée une distance par rapport au jeu ». Pour lui, l’élève « ne doit pas être que dans la recherche d’information dans le jeu. Il doit faire le rapport à la réalité. Là le rôle du professeur est essentiel ».
On passe ainsi du jeu pour apprendre à apprendre le jeu. L’éducation aux médias est renouvelée aussi par le jeu vidéo.
François Jarraud
La « mise au point »
http://hgc.ac-creteil.fr/spip.php?article1297
Peut-on enseigner l’histoire avec le jeu vidéo ?
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Oui le jeu vidéo permet d’apprendre
Les jeux sérieux ont-ils un avenir à l’école ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/laclasse/Pages/2011/122_2.aspx
Apprendre avec les serious games
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/laclasse/Pages/2016/171_3.aspx
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Cédric Ridel : En histoire, jouer les situations complexes
« Le jeu c’est un travail sur la confiance en soi, la prise de décision ». Cédric Ridel n’hésite pas. Pour lui le jeu est particulièrement adapté pour former les élèves à appréhender les événements historiques. Et plus ils sont complexes, mieux le jeu semble adapté. C’est donc sur la crise de 1905, à la fois nationale, avec la loi sur la laïcité, internationale (crise franco-allemande, guerre russo-japonaise) que Cédric Ridel a inventé pour ses collégiens de 4ème un jeu qu’il partage avec vous.
Il faut aller loin pour rencontrer Cédric Ridel. Professeur d’histoire-géographie depuis une vingtaine d’années, il enseigne au Lycée Français internationale Marguerite Duras à Hô Chi Minh-Ville (Viet Nam), un établissement de l’AEFE qui compte près de 900 élèves, de la maternelle à la terminale. » Nous suivons très exactement l’organisation et les programmes de n’importe quel collège ou lycée de France, mais avec un public plus international et bien sûr en partie de culture vietnamienne », nous dit Cédric Ridel.
1905 c’est l’année des crises : internationales, internes avec la loi de séparation. C’est une année très complexe. Pourquoi avoir choisi le jeu pour l’aborder ?
L’approche pédagogique par le jeu est une piste que j’ai commencé à explorer l’an passé, avec la découverte du réseau Ludus et le développement d’une passion personnelle pour les jeux de société. Ainsi, je me suis lancé dans l’élaboration de cartes de rôle pour le travail de groupe et la création d’un jeu de cartes sur la seigneurie en 5e.
Avec une approche ludique on travaille bien sûr tout d’abord la motivation, qui est sans doute le levier le plus délicat et sur lequel on a en général le moins de prise. Proposer une enquête avec une petite mise en concurrence entre les groupes permet de susciter un enthousiasme certain en changeant la perspective du rapport au travail.
Ensuite, le jeu par équipe permet le travail et la solidarité entre pairs, via la prise de notes et la discussion argumentée, et donc un travail sur la capacité à travailler de manière collaborative tout en développant la réflexion et la mise en relation des analyses pour élaborer un savoir.
Un autre atout tout à fait fondamental à mes yeux du principe de ludification est de pouvoir mettre l’erreur au cœur du processus de recherche et de réflexion, via les fausses pistes suscitées par certaines cartes dans le jeu proposé : ce n’est plus un obstacle effrayant voire tétanisant, mais un moment de la réflexion. L’identification d’une fausse piste permet de mieux rebondir et de valider les autres voies à explorer pour repartir en quête du bon chemin en le cernant ainsi bien mieux : l’élève n’est plus sous le regard de l’enseignant qui sanctionne, mais dans une démarche personnalisée où il explore.
Enfin, c’est aussi une manière de donner du sens à ce que les élèves étudient, en montrant que ces débats ont, en 1905, passionné des individus dans un environnement politique et social très particulier. De ce fait, toute la complexité de l’année 1905 (loi de la Séparation, création de la SFIO, guerre russo-japonaise, premiers articles d’Einstein, crise de Tanger) devient non pas un alourdissement du cours mais un enrichissement de l’enquête qui crée de de la densité dans la perception de ce moment historique.
Ne faut-il pas beaucoup de pré-requis pour pouvoir jouer cette crise de 1905 ? Comment placez vous le jeu : en hors d’oeuvre ou en dessert du cours ?
Non, tout se passe naturellement. On aura toutefois au préalable traité des années 1870-1880 dans le cadre du cours sur la IIIe République afin que le contexte soit là, car il est indispensable de maîtriser certaines connaissances, comme la diversité des positions politiques face au nouveau régime, ou le rôle du Parlement. De plus, l’étude de l’affaire Dreyfus aura initié les élèves à la notion de crise et à la forme violente des débats de l’époque. Cette séquence se présente donc comme une conclusion du chapitre : le jeu n’est pas isolé, il s’articule avec une leçon plus classique.
Comment passer du jeu à l’institutionnalisation et à la prise de notes qui va rester dans le cahier des élèves ?
A l’issue de la phase d’enquête, les équipes doivent rédiger un rapport, puisque le scénario suppose qu’ils regagnent leur époque d’origine pour rendre compte de leur voyage. Ainsi, à partir de la prise de notes et des discussions, chaque groupe doit réaliser un travail collaboratif pour répondre aux questions posées. On peut ainsi estimer ce que les élèves ont compris car, bien qu’ils se focalisent davantage sur la découverte du coupable, ce qui intéresse l’enseignant est surtout la capacité à rendre compte du contexte et donc des enjeux des débats sur la loi de Séparation. On passe ensuite à une lecture commune des propositions et on débat ensemble pour déterminer celle qui semble la meilleure, avec l’aide de l’enseignant qui vient apporter les précisions nécessaires.
Il convient ensuite de proposer une trace écrite et cela peut prendre plusieurs formes : l’enseignant peut présenter un résultat, mais il me semble plus intéressant, même si cela prend plus de temps, de repartir de la meilleur proposition collectivement identifiée, d’ajouter des conseils et de laisser chaque élève la retravailler individuellement pour s’approprier pleinement les enjeux de cette crise. Le meilleur compte rendu pourra alors servir de référence.
Avec ce jeu, qu’ont appris les élèves ?
Le jeu a bien sûr été conçu à partir du programme et des documents d’accompagnement. On travaille donc tout d’abord les compétences attendues : analyser et comprendre un document, exercice de l’esprit critique, pratiquer différents langages en histoire, initiation aux techniques d’argumentation. Avec la nécessité de rédiger le rapport final, on voit que le travail sur l’écrit reste fondamental. Quant aux connaissances, ce sont tout simplement celles qui s’intègrent dans le deuxième chapitre du troisième thème. Au delà, l’intérêt de cette mise en œuvre me semble être un travail sur la confiance en soi, suscité par la possibilité de décider et de gérer les rétroactions, la prise de décision dans un groupe et la recherche du compromis.
Et vous, qu’avez vous appris avec cette expérience ?
J’ai tout d’abord appris que rien ne va de soi et que c’est un début, encore plein de points faibles et d’erreurs à corriger ! Mais ce qui est intéressant est que nous avons pris le temps d’une analyse de la séquence avec les élèves. Ils ont prouvé qu’ils pouvaient avoir un regard critique aiguisé et très intéressant, tant sur le fond que sur la forme.
Cette première expérience montre que cette adaptation du jeu Watson and Holmes est une piste très prometteuse. Il faudra ajuster quelques règles et enrichir l’intrigue par des pistes pouvant mener d’un lieu à l’autre, mais on peut tout de suite s’apercevoir que c’est parfaitement adaptable à d’autres époques et avec d’autres niveaux de classes.
Ainsi, la création du jeu conduit à une approche particulièrement riche et enthousiasmante. D’autres idées commencent à naître…
Propos recueillis par François Jarraud
Le jeu sur la crise de 1905
http://kanaga.ridel.org/2017/06/18/enquete-dans-le-temps-la-crise-de-1905-histoire-4e/
Le site de C Ridel
Le réseau Ludus