« Les devoirs, un conteneur à malentendus ? »
Second universitaire à prendre la parole, Patrick Rayou va revenir sur certains points développés plus tôt par Pierre Périer. « Les devoirs, c’est certes à la maison, mais c’est aussi de plus en plus ailleurs, dans les structures périscolaires, l’accompagnement éducatif….
Chacun pense savoir ce que sont les devoirs, au motif qu’il en a fait lui même… Mais de savons-nous réellement sur la question. Faut-il les supprimer, comme le demande la récente campagne d’opinion lancée par la FCPE ?P. Rayou prend ses distances avec le mot d’ordre : « Quinze jours sans devoirs, c’est intéressant, mais ce qui fait problème, ce n’est pas la présence ou l’absence de devoirs, mais leur contenu ».
Externalisation et malentendus
Au début du XXe siècle, les réformes du lycée font passer les horaires de cours de deux heures à une seule, et renvoient à l’extérieur du cours la question des exercices jusqu’alors fait en classe. Les répétiteurs qui aidaient les élèves à travailler sont progressivement transformés en professeurs, lors des phases de massification de la scolarisation. Intéressant pour eux, mais pour les élèves ? Les devoirs se sont donc mis à faire l’aller-et-retour entre l’école et la maison, comme un exercice qui allait permettre que le savoir acquis un peu vite en classe allait être tenu en mémoire jusqu’au cours suivant…
De plus en plus implicitement, on s’est mis à supposer que les élèves étaient capables de travailler seul, de manière autonome, sans forcément prendre assez de temps pour apprendre à le faire dans l’école même. Cette « pédagogie invisible » a renforcé les malentendus, en tout cas pour les enfants de classes populaires qui ne partagent pas les attendus de l’école. « Ainsi, on se sert sans arrêt de tableaux à double entrée dans les devoirs, sans toujours s’assurer que tous les enfants maîtrisent les savoirs procéduraux requis pour les utiliser. Or, ne pas les posséder crée de la surcharge cognitive et empêchent les élèves de faire le travail. A la suite de Glasman, « on doit creuser toutes les raisons pour lesquelles on donne des devoirs« sans le savoir toujours explicitement : faire des évaluations, finir le cours, préparer la séance suivante, entrainer les élèves, développer leurs compétences d’analyse, voire donner des punitions… Donne-t-on des devoirs pour « enfoncer le clou » par répétition, pour apprendre à « s’exercer intelligemment », ou pour « donner le goût de l’effort« , réhabilitant ainsi le sens premier du mot « devoir » : ce qui est utile pour « plus tard »… ?
Partenariats à risque
Mais quand elle « déscolarise » certaines activités scolaires, se demande à voix haute Patrick Rayou, l’Ecole ne fait-elle pas aveu d’échec ? On a beau tenter de régler les conflits par des « chartes d’accompagnement à la scolarité », l’appel au partenariat et à la mobilisation des classes populaires entraine de nouvelles difficultés, comme le montre Séverine Kakpo dans sa thèse : les familles, les personnes qui aident retransposent les savoirs scolaires à leur manière, en fonction de ce qu’elles ont compris de leur propre scolarité, quelques décennies plus tôt. Ici, on oralise alors que l’enseignant attend une lecture silencieuse, là on prépare la dictée quand l’enseignante attend un travail de compréhension… Plus généralement, le sens des tâches scolaires est interrogé à la maison ou à « l’aide aux devoirs », quand les normes sur ce qu’est « apprendre » ne se recoupent pas : à quoi sert de montrer des affiches ou des livres de jeunesse si la famille pense qu’on apprend avec des dictées ou des rédactions ?
Les familles ne sont donc pas « démunies », elles sont « munies d’une autre manière », énonce Rayou : ce qu’ils pensent que ce qu’on apprend à l’école, et de comment on apprend, n’est que trop rarement élucidé… « Ce qui me semble important, c’est le lien entre la classe et ce qu’on fait hors la classe, avec suffisamment d’échanges pour comprendre ce que chacun a à faire… La continuité interroge les métiers, et les synergies entre les acteurs. Mais où sont les espaces pour cela… ? »
Durée, type de travail, clarté des attendus, compréhension dans le cours de ce qu’il y a à apprendre… L’Ecole demande-t-elle aux parents ce qu’elle n’a pas fait, et permet-elle aux parents de savoir comment on apprend ? Autant de sujets à poser concrétement dans la seconde rafale d’ateliers à venir…