Nous publions ici le manifeste de Jérôme OZOUF, professeur de sciences de la vie et de la Terre, Cité scolaire M. Gambier, Lisieux (ozouf.jerome@wanadoo.fr).
POUR UN VERITABLE ENSEIGNEMENT DE L’ECOLOGIE
Lorsque l’on demande à une classe de terminale S, c’est-à-dire aux futurs bacheliers les plus «calés » d’un point de vue scientifique « qu’est-ce que l’écologie ? », on obtient invariablement cette réponse: « l’écologie, c’est la protection de l’environnement ». Cette affirmation reflète la confusion, désormais ancrée dans l’esprit de nos concitoyens, entre écologisme et écologie.
Pourtant, si l’écologisme s’appuie souvent sur l’écologie, les termes ne sont pas équivalents. En effet, avant d’être une idéologie, un courant de pensée politique, l’écologie est une science dont les fondements remontent à la fin du XIXe siècle et dont l’objet est l’étude des relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu. Considérablement enrichie au cours du XXe siècle, elle intègre désormais tous les niveaux de la biologie, de la molécule à la planète, et ses développements mathématiques n’ont rien à envier aux sciences dites dures. Or, malgré son importance, l’écologie scientifique est actuellement largement ignorée des programmes d’enseignement du secondaire.
Pourtant, à première vue, l’Education nationale n’est sans réagir aux enjeux environnementaux actuels. Mise en place en 2004, l’« éducation à l’environnement pour un développement durable » ou « EEDD » doit alors devenir « une composante importante de la formation initiale des élèves, dès leur plus jeune âge et tout au long de leur scolarité, pour leur permettre d’acquérir des connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et y agir de manière responsable[1] ». Elle doit amener à « la prise de conscience des questions environnementales, économiques, socioculturelles », à « percevoir l’interdépendance des sociétés humaines avec l’ensemble du système planétaire et la nécessité pour tous d’adopter des comportements propices à la gestion durable de celui-ci ainsi qu’au développement d’une solidarité mondiale. ». Quoi de plus louable que d’inscrire l’enseignement dans cet objectif ? Une telle initiative ne peut être que saluée. Un de ses points forts réside dans son caractère pluridisciplinaire, impliquant tous les acteurs de l’Education nationale. L’EEDD n’est en effet pas une nouvelle matière mais un fil conducteur qui doit guider les enseignements dans toutes les disciplines. Mais il y a là une contradiction fondamentale. En effet, comment éduquer à l’environnement sans contenu disciplinaire ? En 2007, l’EEDD devient ainsi l’EDD[2], soit « l’éducation au développement durable ». L’éducation à l’environnement ne fait donc apparemment plus partie du projet. Finalement, sans véritable contenu, en particulier en matière d’écologie scientifique, l’EDD apparaît comme une sorte de vernis sur des programmes qui ignorent largement les sciences de l’environnement, en particulier au lycée.
Un examen de ces derniers en Sciences de la vie et de la Terre (SVT) montre que l’essentiel des contenus se rattachant de près ou de loin à l’écologie se trouve au collège. Or, si les élèves peuvent se montrer réceptifs, le niveau d’enseignement ne permet pas de donner de cadre explicatif aux phénomènes étudiés. On doit se contenter d’accumuler les constats et d’en rester là puisque les problématiques évoquées ne sont pas reprises ultérieurement. Ainsi, même si les programmes permettent d’aborder de nombreuses thématiques propres à l’écologie (impact du milieu sur la répartition et la reproduction des êtres vivants par exemple), de montrer de multiples manières comment l’action de l’Homme peut perturber les écosystèmes, on ne sait fondamentalement pas pourquoi une sauvegarde de l’environnement apparaît aujourd’hui indispensable. Saluons néanmoins l’introduction de la notion de biodiversité dans le nouveau programme de troisième (en vigueur depuis la rentrée 2008) abordée par le biais des impacts des activités humaines liées à l’alimentation. On peut cependant regretter le caractère anecdotique de cette partie du programme noyée au milieu de notions très diverses dont le seul lien est de constituer des enjeux de sociétés (tels que les rapports entre pollution et santé, entre pollution agriculture et industrie, la maîtrise de la reproduction, les risques d’une alimentation déséquilibrée, de l’exposition au soleil).
Au lycée, l’écologie scientifique n’est quasiment pas abordée dans les programmes, à l’exception de quelques traces. Ainsi en première ES (économique et sociale) ou en première L, avec les thèmes « Une ressource naturelle : le bois » et « Alimentation, production alimentaire et environnement ». Mais malheureusement, ces thèmes sont optionnels : ils ne sont développés que par les enseignants qui le souhaitent, les années où le ministère les propose comme sujets possibles au baccalauréat. En terminale S, dans la longue liste des connaissances exigibles d’un élève (9 pages dans le bulletin officiel), seule une ligne (!) fait référence à la crise de la biodiversité actuelle dans le chapitre le plus anecdotique de l’année intitulé « Couplage entre les évènements géologiques et biologiques au cours du temps » (il ne représente qu’une semaine et demie d’enseignement essentiellement consacré à l’étude de la crise crétacé/tertiaire). Preuve du peu d’importance accordée au sujet, celui-ci ne peut faire l’objet à lui seul d’une question au bac. On comprend aisément pourquoi puisqu’il n’est en général que très peu abordé en classe, de nombreux enseignants, pressés par l’important volume du programme passant outre. Il ne reste que le programme de spécialité de terminale S, dont l’introduction au chapitre « Diversité et complémentarité des métabolismes » fait état du recyclage du carbone dans les écosystèmes. Mais à ce niveau, si l’approche n’est évidement pas la même, on ne va guère plus loin qu’en sixième où le recyclage de la matière est déjà évoqué.
Parallèlement, les programmes privilégient une approche moléculaire et extrêmement réductionniste du vivant. Le gène comme unité de transmission d’un caractère héréditaire est abordé dès la classe de troisième. Et l’on va ainsi jusqu’à exiger d’un élève de seconde, pour lequel la notion même de cellule ou bien de gène reste encore bien floue, une compréhension du rôle des gènes homéotiques[3], notion ô combien complexe et abstraite dont on peut se demander ce qu’en retiennent ces mêmes élèves, si ce n’est une vision purement déterministe et donc dépassée du vivant.
Face à ces lacunes, de nombreux enseignants développent des initiatives personnelles telles que des ateliers ou des clubs, en dehors des heures de cours, qui remportent en général un certain succès auprès des élèves. Cependant, cela ne peut se substituer à un véritable contenu disciplinaire, de tels dispositifs s’adressant à un public très restreint tout en étant tributaires de la bonne volonté des enseignants ainsi que des aléas des fonds octroyés par les rectorats.
Il est donc urgent de redonner son importance à l’apprentissage de l’écologie scientifique. Car en l’absence d’un véritable socle de connaissances permettant d’appréhender le fonctionnement des écosystèmes, la nécessité d’une protection de l’environnement risque d’apparaître comme une simple position de principe. Or, les mentalités des citoyens ne pourront évoluer dans le sens d’un développement durable que si l’on fournit un cadre explicatif justifiant les efforts demandés pour s’inscrire dans cette perspective. En effet, on n’impose pas des idées par principe mais parce que l’on explique ce qui les sous-tend. Il ne suffit pas de répéter qu’il faut protéger la biodiversité. Il faut expliquer pourquoi. Quelques notions clé du fonctionnent des écosystèmes devrait être le bagage minimum de tout lycéen, une base commune à toutes les filières, scientifiques ou non. S’il convient aux écologues de définir ces notions, certaines parassent incontournables.
Tout comme le corps humain n’est pas la somme de ses organes ou la cellule celle de ses organites, la biodiversité n’est pas la simple somme des espèces qui composent un écosystème. Toujours liées les unes aux autres selon des modalités diverses, les espèces forment un tissu complexe. Décrire et comprendre ce tissu nécessite d’adopter une approche globale afin de montrer les relations d’interdépendance entre les êtres vivants (prédation, symbioses, parasitisme, mutualisme). En un mot, développer une pensée systémique. Il deviendrait ainsi aisé de faire comprendre que préserver la biodiversité ce n’est pas préserver une simple collection d’espèces. C’est au contraire préserver des systèmes dont les propriétés, en particulier le caractère non linéaire de leur réponse aux perturbations, justifient les précautions dont ils doivent faire l’objet.
La notion de service écosystémique, telle que l’a définie le « Millenium Ecosystem Assessment[4] » paraît également particulièrement féconde. En s’appuyant sur celle-ci, on montrerait que le bon fonctionnement des écosystèmes est indispensable au bien être de l’humanité en assurant un certains nombre de « services » irremplaçables (purification de l’air, régulation du climat, épuration de l’eau, pollinisation, recyclage de la matière pour ne citer que quelques exemples).
Enfin, on montrerait que préserver la biodiversité ce n’est pas « figer » la nature mais c’est au contraire garantir aux écosystèmes leur capacité à évoluer et ainsi à répondre aux changements qui peuvent affecter l’environnement.
Ces quelques notions clé pourraient être approfondies dans les filières scientifiques, en particulier en ce qui concerne les conséquences évolutives des relations entre espèces (notion de co-évolution). En effet, actuellement, l’explication de l’évolution est surtout axée le gène considéré comme quasi indépendant de son environnement. On pourrait alors finalement donner une définition approfondie de la biodiversité en abordant ses multiples dimensions : génétique, spécifique, écosystémique et évolutive.
Tout ceci ne sera possible que si l’on renoue avec une approche naturaliste du vivant en s’appuyant sur la biodiversité « ordinaire », celle qui nous entoure, là où on privilégie trop souvent la biodiversité « exotique ». On se retrouvera peut-être alors moins avec des élèves de première S pour qui le rôle des fleurs chez les végétaux se limite à « c’est pour faire beau » et pour qui le vivant se résume quasi-exclusivement à l’ADN.
Si l’un des objectifs de l’enseignement est de former des citoyens pleinement responsables, conscients des enjeux planétaires et capables d’adopter des comportements compatibles avec un développement durable, alors l’écologie scientifique doit faire partie des connaissances essentielles abordées par l’Education nationale. Formidablement pluridisciplinaire, l’écologie est une occasion unique de relier tous les aspects de la biologie, de la molécule aux écosystèmes, et de faire le lien avec la géologie. C’est enfin une science majeure, pilier d’une gestion raisonnée de la biosphère face aux défis que soulèvent les problèmes actuels du changement climatique ou de la chute de la biodiversité. L’intégrer véritablement dans les programmes d’enseignement, c’est entrer de plein pied dans le 3ème millénaire et faire en sorte que celui-ci ne soit pas le dernier de l’humanité.
[1] Circulaire N°2004-110 du 08-7-2004 du Bulletin officiel du ministère l’Education nationale intitulée
« Généralisation d’une éducation à l’environnement pour un développement durable »
[2] Circulaire N°2007-077 du Bulletin officiel de l’Education nationale.
[3] Gènes, appelés aussi « gènes architectes », impliqués dans le contrôle du développement des animaux et en particulier dans la mise en place de leur « plan d’organisation ».
[4] Rapport publié en 2005 rassemblant les contributions de 1360 experts de 95 pays et faisant le bilan de l’état des écosystèmes de la planète et de l’évolution de leur capacité à fournir les biens et les services à la base du bien-être humain. Millenium Ecosystem Assessment, Ecosystem and Human Well-Being : Synthesis, Island Press, 2005.
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