Entretiens du café
Par Nicolas Smaghue
Enseigner le développement durable, qu’en pensent les géographes ? (2)
Après Sylvie Brunel, Yvette Veyret, géographe, professeur de géographie à l’université de Paris X Nanterre, spécialiste des questions d’environnement, de risques et de développement, a eu la gentillesse de prêter au jeu de notre petite interview. Le mois prochain c’est François Mancebo qui nous répondra.
Quel regard portez-vous sur l’enseignement du développement durable à l’école?
Le développement durable doit être enseigné à tous les niveaux d’enseignement. Cependant, est-ce toujours effectué? cela n’est pas certain en raison même de la nouveauté du concept, de sa complexité, des manières diverses de l’envisager, des incertitudes scientifiques qui le caractérisent aussi. Dans certains cas, l’enseignement du développement durable consiste à utiliser des documents ou des dossiers faits ailleurs, par des organismes extra-scolaires qui font ainsi passer des conceptions simplistes, discutables voire parfois inacceptables. Il faut donc être vigilant.
L’enseignement du développement durable peut alimenter un marché intéressant pour certains organismes désireux de vendre leur production à l’Education nationale, ce n’est pas toujours la meilleure des choses. Il faut aussi être vigilant sur de sortes de caricatures d’enseignement du développement durable notamment pour les plus jeunes, qui consistent à leur faire ramasser des papiers, à nettoyer les bords du ruisseau. L’enseignement du développement durable implique autre chose, et notamment la mobilisation de connaissances fondamentales, ancrées dans les disciplines Géographie, SVT, Economie, chimie…autour de thèmes comme la santé, mais aussi la ville, l’agriculture…
Quels sont, selon-vous, ce qui relève des « bonnes intentions » de ce
qu’il convient réellement d’enseigner aux élèves?
Dans bien des cas encore le développement durable est envisagé comme une
manière de protéger la nature et notamment la flore et la faune, une façon de répondre à ce que l’on considère systématiquement comme les actions négative des sociétés sur les milieux (responsable du réchauffement climatique…). Or, pour la géographe que je suis, il est bon de souligner que le coeur de la question du développement durable relève de la société, des hommes. Il s’agit d’envisager comment les hommes et les sociétés pourraient vivre et /ou mieux vivre , en insistant sur des usages raisonnables de la nature et de ses ressources, en évitant les gaspillages et les dégradations. Il est certainement indispensable de sortir des discours catastrophistes qui écrasent les jeunes et leur enlevant tout projet, voire tout espoir pour un avenir meilleur. Comment alors peuvent-ils réagir?
Il est nécessaire d’insister sur des actions possibles, à l’échelle de l’individu, du groupe et plus largement encore. Elles impliquent des choix économiques et politiques, et mobilisent pleinement les hommes politiques. Le développement durable est un objet politique. Il est indispensable aussi de souligner que l’on ne dispose pas de toutes les réponses pour passer à un développement durable. Comment en effet faire en sorte que les populations des pays en développement accèdent au développement durable? Comment peuvent-elles accéder à l’éducation, aux soins ? Là certainement se situe le coeur des questions posées à l’humanité d’aujourd’hui. La protection de la nature telle qu’évoquée plus haut, semble alors parfois en décalage par rapport à ces défis qui concernent plusieurs milliards d’hommes.
Les modèles venus des pays riches ne peuvent constituer des solutions immédiatement transposables aux pays en développement qui doivent trouver des modes de développement et de développement durable adaptés à leur culture, à leur histoire, à leur spécificités géographiques..
Concernant la formation des enseignants sur le développement durable, quels devraient être les grands axes?
Ils doivent d’abord être disciplinaires, ainsi bien maîtriser les grands concepts géographiques doit permettre de mieux intégrer le développement durable. La formation doit aussi intégrer la complexité, les approches transdisciplinaires nécessitent d’insister sur cet aspect. La formation doit aussi inclure l’apprentissage du doute, la gestion des incertitudes, car le développement durable n’est pas une liste de « y-a-qu’à » à mettre en œuvre en tous lieux, et valables partout. Il impose de s’interroger sur les sources scientifiques qui le fondent, sur les incertitudes qui rendent difficiles toute décision et tout choix de gestion notamment. La formation doit apprendre à questionner les acteurs, à envisager plusieurs points de vue, à faire des choix. L’analyse critique devient un élément majeur de la réflexion et de la formation.
Parmi ses nombreuses publications, on relèvera particulièrement :
Atlas des développements durables : Un monde inégalitaire, des expériences novatrices, des outils pour l’avenir avec Paul Arnould, Collectif, et Cyril Suss… en 2008, voir le compte-rendu des cafés : http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/E[…]
Les fondamentaux de la géographie avec Annette Ciattoni, Guy Baudelle, et Francis Beaucire en 2007.
Dictionnaire de l’environnement , collectif en 2007.