Election oblige ? Le deuxième rapport du Comité de suivi de la loi sur la refondation, présidé par le député Yves Durand, est moins sévère que celui de 2015. Il montre une « montée en charge » de la refondation en 2016 avec un « effet systémique ». Mais, mise en place de façon précipitée, la refondation est appliquée de façon inégale particulièrement au collège où sur le terrain les nouveaux dispositifs restent formels. Le rapport pointe particulièrement le cycle 3 et l’évaluation avec un livret numérique toujours en attente. Moins critique qu’en 2015 sur le Cnesco et le CSP en apparence, le rapport envisage quand même de les recadrer, voire les chapeauter. C’est pour leur bien ?
Remis le 7 février au président de l’Assemblée nationale, le rapport du comité de suivi de la loi sur la refondation donne un éclairage politique sur l’application de la loi. Le comité est composé de 4 députés et 4 sénateurs et de 4 personnalités nommées par la ministre. Le comité penche donc du coté parlementaire et le Comité se verrait bien comme l’organe de controle de la Nation sur l’application de la loi.
Les temps courts et longs de la réforme…
Le rapport souligne que la loi a été mise en oeuvre « en bloc » en 2016 avec l’application en même temps des nouveaux programmes de l’école élémentaire et du collège en lien avec une réforme d el’évaluation et un nouveau brevet. » Le Comité de suivi a été frappé par la montée en charge en 2016 de la mobilisation des acteurs, enseignants, inspecteurs pédagogiques, formateurs, chefs d’établissement, recteurs, au moment de la mise en oeuvre des points de réforme qui concernaient tous les acteurs, en particulier les nouveaux programmes », souligne le comité.
Si le coté systémique de la réforme s’en est trouvé plus évident, » cette mise en oeuvre « en bloc » de la réforme a soulevé différentes problématiques selon chaque chantier. » A ce temps court du lancement de la réforme, le comité oppose le temps long de l’appropriation « seule susceptible d’engager un changement profond des pratiques ».
Pour le comité, » le choix d’une mise en application « en bloc » de la réforme, nouveaux programmes, nouveaux cycles, dont le cycle 3 incluant la 6ème, nouveau socle, nouveaux dispositifs d’aide personnalisée (AP), enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), nouveau système d’évaluation, nouveau diplôme national du brevet (DNB), a placé les enseignants, les inspecteurs, l’encadrement académique, dans une course contre le temps qui a des conséquences sur l’organisation de leur travail et rend difficile la mise en place d’un processus d’évaluation en continu, seul susceptible de permettre aux acteurs de s’approprier les mesures mises en oeuvre et de les ajuster ».
Un bon point pour la maternelle
La rapport distingue des niveaux d’application différents. L’école maternelle, où la réforme a démarré avec un an d’avance, la situation est la meilleure. Le seul bémol est la scolarisation des moins de trois ans qui est « un objectif difficile à atteindre » : en fait le ministère fait du sur place. Le comité se borne à recommander une mutualisation des pratiques des professeurs de maternelle et la création d’une offre de formation continue. De fait tout cela existe mais souvent indépendamment du ministère par le bouche à oreille numérique des enseignants…
Peu de choses sur le prioritaire
Concernant l’éducation prioritaire, qui occupe peu de place dans le rapport, le comité juge que » des effets positifs sont identifiés par les académies, en termes de ressources humaines, par exemple, de stabilisation des équipes pédagogiques (la balance demandes d’entrées/demandes de sorties s’est inversée localement). Mais globalement, l’évaluation de cette politique est un chantier à engager ».
Précipitation à l’école et au collège
Le premier degré est bien une priorité, estime le rapport, « mais tous les moyens programmés n’ont pas encore été affectés » souligne -t-il. La Dgesco ne semble pas en mesure de flécher les postes en fonction des politiques définies par la loi…
La mise en route des nouveaux programmes à l’école et au collège se heurte à la précipitation. » Concernant les programmes d’enseignement, les ressources ont été livrées, en ligne, sur eduscol, en nombre important, voire trop important pour les enseignants qui, tout en saluant leur existence, demeurent nostalgiques des « documents d’accompagnement » ancienne version, ramassés en un seul livret papier et accompagnant les programmes au plus près. Le format numérique des ressources actuelles et leur nombre fait « masse » et il apparait difficile aux enseignants de se les approprier », écrit le comité. « En revanche, les enseignants sont centrés sur les nouvelles modalités d’évaluation, et se disent déstabilisés par le fait de devoir par eux-mêmes, d’une part, faire le lien entre les domaines du socle et les programmes en termes d’évaluation et, d’autre part, formuler l’évaluation dans le format nouveau que constitue le livret scolaire numérique unique, auquel ils n’ont pas toujours accès. » Au passage le rapport mentionne que le Conseil supérieur des programmes (CSP) a livré les programmes en retard…
» Tous les changements ont dû être mis en même temps lors de la rentrée 2016: assimiler des programmes nouveaux et les mettre en oeuvre à tous les niveaux en même temps (avec toujours le même sujet : qu’est-ce que mettre en place un programme défini pour trois ans dans la troisième année d’un cycle quand les élèves n’ont pas eu le programme des deux premières années ?), une culture de cycle méconnue au collège, des formes d’évaluation et des outils nouveaux pour en rendre compte, des bouleversements organisationnels avec un accompagnement personnalisé dans une nouvelle formule, les Enseignements Pratiques interdisciplinaires (EPI), les enseignements de compléments », poursuit le comité. Quant aux actions de formation , nombreuses en 2016, elles n’ont pas touché tous les enseignants …
Au collège une réforme appliquée sur le papier
De fait l’application de la réforme au collège apparait au comité très inégale, particulièrement pour les nouveaux dispositifs.
La coordination du cycle 3 à cheval sur école et collège laisse encore beaucoup à désirer et la nature pédagogique du conseil école collège « n’est pas encore totalement perçue ».
L’accompagnement personnalisé » est perçu comme l’accompagnement des élèves les plus faibles et peu comme l’occasion de travailler pour des élèves qui ont des besoins différents. En outre, cet accompagnement personnalisé correspond souvent à des heures de dédoublement consacrées à de la discipline, l’approche non disciplinaire des enseignements ne provoquant pas nécessairement l’adhésion des professeurs du second degré ».
Du coté des EPI, » il apparaît que les EPI font l’objet d’une mise en oeuvre pour le moins disparate d’un collège à l’autre et qu’ils fonctionnent beaucoup sur de l’existant. Un chef d’établissement tient à souligner également qu’il est difficile de parvenir à connaître les contenus réels de EPI. Il y a bien souvent des heures « fléchées EPI » dans l’emploi du temps mais le contenu réel n’en est pas connu. De plus, il apparaît clairement que certaines disciplines s’engagent plus que d’autres dans le dispositif, les disciplines scientifiques le plus souvent ». Le rapport préconise de « raccorder les EP et l’AP au cycle 3 dans les formations de bassin » et de renforcer l’accompagnement par les inspecteurs.
Le point le plus noir c’est l’évaluation. Pour le rapport cela tient au retard du livret scolaire numérique (LSUN), dispositif qui devait amener les enseignants à changer leur évaluation. Mais le rapport souligne aussi un problème pédagogique. Il préconise de prioriser la réflexion sur la progression, du point de vue des élèves et d’élaborer des ressources au niveau académique et national sur les progressions.
CSP et Cnesco à recadrer
Justement la question de l’évaluation est suivie de près par le Comité qui s’était montré très critique sur le Cnesco et le CSP en 2016.
S’agissant du CSP, le comité salue son travail. Mais il pose quand même la question de son indépendance. » Le comité pose la question des raisons profondes de l’année de retard de la livraison des nouveaux programmes : temps de rodage d’un fonctionnement, nécessité d’une clarification du processus global menant à la publication des programmes et de la place de chaque type d’acteurs de ce processus, résistance à l’indépendance conférée au CSP. En outre, eu égard aux chantiers que le CSP n’a pas engagés, extrêmement importants, tels la formation des enseignants, l’introduction des pratiques numériques dans les pratiques pédagogiques, les programmes du lycée, le baccalauréat, le Comité de suivi se pose également la question de savoir si la redéfinition du statut d’indépendance du CSP par rapport au ministre en charge de l’éducation ne mérite pas d’être posée ».
Le comité invite à » réfléchir à un modèle tirant davantage la leçon de la nature indépendante du CSP, sous la forme d’une agence dotée de moyens matériels et humains et de mandats mieux adaptés à ses missions ».
Justement cette agence le rapport la présente à quelques pages de distance. » Il pourrait être intéressant de réfléchir à la création d’une agence autonome des parcours scolaires et des formations, qui, sur le modèle du conseil supérieur de l’éducation du Québec, pourrait choisir les thèmes et les partenaires des études qu’il mène sur l’état et les besoins de l’éducation, les modalités de leur diffusion, préconiser des modes de formation des enseignants, organiser la réflexion critique, les consultations, en particulier de représentants de la société civile et du monde économique, et les évaluations sur les programmes et les formations ». Cette agence aurait aussi l’avantage de remplace le CSP et le Cnesco…
S’agissant de ce dernier, le comité reprend les formulations du rapport précédent. » Il apparaît clairement que le CNESCO s’attache aujourd’hui davantage à diffuser les résultats d’enquêtes menées en collaboration avec d’autres entités (organisations syndicales, par exemple) que de développer une culture et une méthodologie de l’évaluation en France ». Il demande de » situer le CNESCO dans le paysage global institutionnel de l’évaluation et par rapport aux instances d’évaluation qui existent à l’intérieur de ce système et à l’extérieur ».
A quelques mois d’une éventuelle alternance politique, les parlementaires du comité censé veiller à la loi de refondation pointent une réforme qui reste à appliquer concrètement sur le terrain et des instances qui sont à recadrer, chapeauter sinon effacer. C’est le comité qui doit suivre l’application de la loi qui le dit…
François Jarraud