Les multiples propositions pour faire évoluer la pédagogie, l’enseignement, en lien avec le déploiement du numérique, ne sont pas sans rappeler l’engouement du début du XXè siècle pour les pédagogies actives (Adolphe Ferrière, 1920). D’ailleurs l’intérêt renouvelé pour Maria Montessori (et autres acteurs du mouvement des pédagogies dites nouvelles) le confirme, même si le numérique n’y a rien à voir. Pédagogies de l’activité, inversion pédagogique, collaboration, hybridation etc.… chacun cherche à mettre les élèves en activité de manière à les motiver davantage pour apprendre. Car s’il y a bien un thème qui revient systématiquement quand on écoute les enseignants qu’on appelle innovants parler de ce qu’ils font, c’est celui de la motivation. Les élèves sont plus motivés en classe ! Du TBI à la classe inversée en passant par l’EAO, on a pu lire et entendre cette analyse de nombreuses fois. Comment analyser ces propos ?
Un temps scolaire élastique ?
Si la routine et les rituels rassurent, ils peuvent aussi devenir ennuyeux. Par le fait, la nouveauté et le changement vont attirer l’attention, éveiller l’intérêt. De plus lorsque cette nouveauté s’inscrit dans un domaine qui dans la société est particulièrement valorisé, comme le sont les technologies, cette attirance semble s’amplifier en particulier auprès des plus jeunes. Au début des années 2000, une jeune fille de classe de 3è déclarait son désintérêt pour ces machines à l’école car il y en avait suffisamment, voire trop, dans son quotidien. Elle signalait ainsi que cet engouement n’est pas aussi certain et durable que cela. Lorsque des élèves reçoivent au collège la tablette tant vantée par l’institution, ils marquent évidemment leur intérêt. Mais rapidement ils posent des questions complémentaires pour tenter de mesurer l’intérêt réel par rapport à leurs attentes souvent idéalisées par l’environnement scolaire. Et parfois aussi ils comparent les possibilités offertes par le matériel scolaire avec le leur et ils en viennent à relativiser l’intérêt et la motivation de l’introduction des tablettes dans leur travail.
L’une des possibilités nouvelles offertes par les moyens numériques et désormais passée dans les mœurs, c’est la continuité temps scolaire/temps hors scolaire permise par les espaces numériques de travail et autres instruments de communication interindividuelle ou de groupe. Dès lors que l’on sort de l’espace-temps physique de la scolarité, le relais est pris par divers moyens qui se transforment en dispositif plus ou moins sophistiqués comme on peut le voir quand on analyse les différentes formes de classes inversées par exemple. Aujourd’hui une application de vie scolaire ou encore le cahier de texte numérique sont accessibles sur smartphone et les alertes se font parfois par SMS. On peut se questionner sur l’effet de ces différents instruments sur l’engagement dans les apprentissages et plus précisément dans les taches scolaires.
Motivation ou engagement ?
Le développement massif des instruments numériques a réactualisé les questions de Formation Ouverte et A Distance, d’autonomie, d’autoformation, de collaboration, de travail personnel. Les instruments ne suffisent pas si les acteurs ne se les approprient pas. En l’occurrence, la question centrale est la capacité des acteurs à s’engager personnellement dans des dispositifs dans lesquels une partie de la réussite repose sur eux, partant du postulat qu’ils sont engagés dans un apprentissage et qu’ils doivent être capables de réussir par eux-mêmes. Or l’une des inégalités ou plutôt des différences les plus importantes face aux dispositifs d’apprentissage est cette capacité d’autodirection, d’autonomie, en lien avec la force de l’engagement personnel. C’est une des raisons d’être de l’accompagnement et du tutorat en particulier dans l’enseignement à distance. Cet accompagnement est aussi important dans des dispositifs plus traditionnels d’enseignement, dès lors que l’engagement des apprenants, des élèves, des étudiants n’est pas assuré.
Ce sont surtout les récents dispositifs fortement médiatisés, comme les Moocs et la classe inversée qui renvoient la question de l’engagement. A l’instar de ce qui se passe dans la formation à distance classique (CNED) qu’en est-il de la persévérance dans ces dispositifs ? Est-ce que les élèves sont capable de manière durable de maintenir un niveau d’engagement et d’implication suffisant pour qu’ils puissent tirer profit de ces dispositifs, au-delà de la nouveauté ou de l’effet pygmalion ? Il est probable que la question ne se pose pas uniquement en ces termes.
Numérique et autonomie
Pour le dire autrement, il faut dépasser le seul dispositif et s’intéresser à la question plus globale du lien que la population entretient avec l’apprendre. Il y a bien longtemps que l’on promeut la nécessité pour les générations à venir d’être plus autonomes dans les apprentissages. Mais cette promotion, dans les discours, est en fait peu suivie en réalité comme le montre Héloïse Durler dans sa thèse (publiée). Ainsi elle montre que l’injonction à l’autonomie reste encore aujourd’hui un paradoxe du monde de l’éducation. Au-delà on peut reconnaître que cette capacité d’autonomie est pourtant un facteur discriminant pour l’avenir professionnel de chacun. Malheureusement, elle est difficile à développer, en particulier dans des populations qui sont fortement influencées par une culture de la soumission, voir du déterminisme social. L’illusion que crée l’usage autonome des moyens numériques dans la population provoque cet engouement et ces injonctions. Il ne suffit pas qu’ils aient des équipements individuels mobiles pour qu’ils l’utilisent de manière autonome.
Il faudra nécessairement repenser l’organisation scolaire, pas seulement en suggérant ces compétences, mais en permettant leur éclosion, leur développement au sein même d’une institution qui a été conçue sur le modèle opposé (plutôt centré sur la soumission, trahissant en quelque sorte le projet de Condorcet ou au moins le réduisant). Il ne suffira pas d’équiper, et de former, mais il faudra surtout « transformer » l’institution pour que la place donnée aux moyens numériques sorte de l’engouement habituel pour les technologies et s’oriente vers ce qu’elles sont dans la plupart des usages : un accélérateur, un amplificateur du potentiel humain. Pour permettre l’engagement, l’implication, il faut aussi accompagner, sans se substituer. Quant à l’institution, il faudra qu’elle accepte des assouplissements importants en privilégiant le potentiel d’apprendre à la place du capital d’appris…
Bruno Devauchelle