Comment favoriser jusque dans la classe l’égalité filles-garçons ? Professeure de lettres au Lycée Maximilien Perret d´Alfortville, Françoise Cahen a lancé il y a quelques mois une pétition au fort retentissement contre le sexisme des programmes de littérature en terminale L : jamais encore une auteure n’y a été proposée à l’étude, dans des classes qu’un système discriminant compose pourtant essentiellement de filles … Elle montre ici combien chaque enseignant.e peut tenter d’agir à son niveau pour transformer les représentations et les habitudes, pour combattre les déterministes et le fatalisme. Combien pour « secouer la société » il faut aussi travailler à l’égalité en soulevant les questions de la formation et de l’orientation.
Comment percevez-vous en tant qu’enseignante l »action menée par l’Education nationale autour de l’égalité filles-garçons ?
On a profité d’une formation très intéressante dans mon académie sur le problème de l’échec des garçons dans le système scolaire et particulièrement dans les matières littéraires. Je pense qu’il faudrait aussi s’interroger davantage sur la place des femmes dans les manuels de toutes les matières, dans les programmes, et sur les auteur.e.s étudiés en classe. Qui étudie par exemple des poèmes écrits par des femmes? On ne compte plus les groupements de textes sur « la femme en poésie » où il est question de muses aussi passives, idéales que décoratives. Il y a des projets intéressants qui ont été menés au Canada pour interpeller les garçons sur l’intérêt de la lecture, en faisant la promotion de la lecture par les papas dans les écoles maternelles, en mobilisant les footballeurs. Beaucoup de choses sont possibles! Je crois que les inspecteurs sont prêts à organiser les formations préconisées par le HCE, mais pour l’instant ce qui existe est encore discret.
Vous-même menez-vous des actions auprès de vos élèves sur cette opération ? Lesquelles ? Avec quels profits ?
J’essaie d’abord avec mes élèves de penser à étudier en classe des œœuvres écrites par des femmes. Cette année, nous avons étudié Les Années d’Annie Ernaux en première, et c’est une écrivaine très féministe. Mais régulièrement, en argumentation, on réfléchit ensemble à la place des femmes dans la société, aux stéréotypes de genres, et même à la formulation du thème au programme en première « la question de l’Homme ». Pourquoi avoir choisi une telle formulation pour réfléchir à l’être humain en général? Le choix du vocabulaire n’est pas si neutre. Le projet que j’avais mené il y a deux ans avec le Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne autour de l’exposition « Chercher le garçon » a été très productif. L’art contemporain permet de déranger et de se poser de bonnes questions. Olympe de Gouges est une auteure que les élèves apprécient beaucoup. Il y a peu de temps, j’ai vu un projet admirable mené par une collègue en primaire, sur les personnages dessinés sur les pots de yaourts « Petits filous » incarnant différents métiers, car il y avait 8 représentations de garçons et 4 de filles seulement. Ses élèves ont écrit à Yoplait pour souligner l’injustice de cette inégalité. On peut ainsi essayer, en tant qu’enseignant, d’exercer le regard des jeunes sur la société qui les entoure, pas vraiment très juste.
Quelles vous sembleraient devoir être les actions d’ensemble à mener ?
Je pense que les formateurs et formatrices doivent proposer, dans le cadre de la formation continue des professeurs, des formations spécifiques sur l’égalité hommes/femmes. C’est important, il faut vraiment mener une réflexion sur ce thème. Mais je pense qu’à l’intérieur de chaque formation, il faut prendre le temps de parler aux collègues de ces soucis (aussi bien sur le fait que les garçons ne se sentent pas concernés par les matières littéraires, qu’ils sont plus en échec, que sur l’absence des femmes dans nos descriptifs de bac, dans nos sujets d’examen ou dans nos cours.) Ce sont donc également des formations de formateurs qu’il faut mener, autant que des formations de professeurs, jusque dans les universités, les ESPE… Ayons aussi un regard critique sur l’orientation, toutes les campagnes pour valoriser les vocations scientifiques ou numériques des femmes sont à encourager. La tâche est vaste. Nous mêmes, sensibilisés à la cause de l’égalité fille-garçon, nous n’échappons pas à tous les stéréotypes. Et c’est la société entière qu’il faut secouer.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Sur le site de Françoise Cahen