Lundi 22 mai, une grande majorité des élèves est retournée à l’école. Malgré les cafouillages, un protocole sanitaire illégal jusqu’à quelques minutes de la réouverture des écoles, le sentiment qui prédomine après deux jours d’école « normale » n’est autre que le bonheur. Le bonheur de se retrouver, de retrouver un semblant de vie « normale » pour les enseignants, les élèves et leurs parents. Marie-France*, Édouard et Virginie* témoignent.
» Les revoir nous a fait oublier toute la fatigue que nous ressentions «
Marie-France est directrice d’une grosse école élémentaire classée REP dans l’académie de Créteil. Cette troisième rentrée, c’est sur les rotules qu’elle l’a fait. Depuis le début du confinement, elle n’a pas arrêté. Le 18 mai, cette école de treize classes accueillait seulement une trentaine d’élèves sur les 55 qu’avait fléché l’équipe pédagogique « malgré toutes nos relances » insiste Marie-France. Jusqu’au lundi 22, les enseignants alternaient sur deux jours d’enseignement en présentiel et deux en distanciel pour cinq groupes d’élèves. Alors, quand près de 160 élèves se sont présentés lundi aux portes de l’école, c’était une belle surprise. « Nous avions peur que peu d’élèves reviennent, mais finalement une quarantaine seulement n’est pas là. Dans ceux présents, nous avons eu de bonnes surprises, certains dont les parents étaient si angoissés que nous ne pensions pas les revoir avant septembre ».
Comme dans toutes les écoles, l’accueil a été réfléchi. Ici, l’entrée des élèves est échelonnée dans le temps. Un premier groupe arrive à 8h20, un second à 8h30 et le dernier à 8h40 afin « d’éviter les attroupements habituels devant l’école ». Le soir, même protocole. Les élèves accueillis les premiers partent les premiers avec un premier départ à 16h20, un dernier à 16h40. « Cet aménagement permet de fluidifier les allées et venues des élèves mais aussi des parents. Lors des récréations, là aussi c’est toute une organisation. Au lieu de la récréation unique, « nous avons une très grande cour », ce sont trois récrés qui s’échelonnent avec un emplacement fléché pour chaque classe « afin d’éviter tout brasement d’élèves ». Bien entendu, aucun jeu de ballon n’est autorisé, pour autant des talents de dessinateurs se sont révélés, « ils dessinent sur les sols à la craie, ça rend l’ensemble très gai ! ». Toutes ces précautions, Marie-France et ses collègues y veillent consciemment.
Pour autant, hors des murs de l’école et seulement à quelques mètres du portail, la distanciation n’existe plus… Cela ne démoralise pourtant pas l’équipe enseignante qui est heureuse d’avoir retrouvé ses élèves. « Les revoir nous a fait oublier toute la fatigue que nous ressentions, le plaisir de revoir les élèves a pris le dessus. Les enfants aussi été contents, on a dû freiner les élèves qui étaient heureux, qui voulaient faire des câlins…On voit dans leurs yeux qu’ils sont heureux ». Du côté des parents, même joie. « Les parents étaient heureux et rassurés. On a eu le droit à des mercis aux multiples formes : avec les yeux, avec des mots … Certains retiraient le masque pour nous montrer leur sourire. C’était un beau moment, c’était une vraie rentrée, un moment fort pour l’école » conclue Marie-France.
» C’est compliqué pour moi qui travaille beaucoup la coopération »
Édouard Vincent est enseignant en CM2 à l’école Assomption Saint-Marc Saint-Aignan, établissement privé d’Orléans. Depuis, le 11 mai, ce sont 30 élèves sur la soixantaine habituelle qui étaient accueillis à mi-temps par son collègue et lui, l’autre mi-temps étant consacré à l’enseignement en distanciel. Depuis lundi, 24 élèves sur les 27 que compte habituellement sa classe sont présents, « nous n’avons pas réussi à convaincre les trois dernières familles » explique-t-il. Tout comme pour Marie-France, c’est la troisième rentrée, et donc le troisième réagencement de sa classe qu’a dû effectuer Édouard. « On a dû déménager pas mal de tables, retirer des scotchs qui délimitaient les passages de circulation. Nous avons la chance de disposer de tables individuelles, l’aménagement en est d’autant simplifié ». Là aussi, les espaces en commun ont été pensés pour éviter le brassage des classes. « On a allongé le temps de la pause méridienne afin que la prise de repas soit échelonnée ».
Il reconnaît une sorte de lassitude, « c’est fatiguant tout cela, on a une sorte de rentrée en trois étapes. On doit à chaque nouvelle arrivée d’élève réexpliquer les gestes barrières, le mode de fonctionnement ou encore les zones accessibles ou non. Et puis, autant le lavage des mains à 15 n’était pas aisé, autant aujourd’hui c’est laborieux ! ».
Au niveau des apprentissages, il s’agit plus de retravailler la posture d’élève ou encore la socialisation, les règles de vie ensemble. « C’est un peu compliqué pour moi qui travaille beaucoup la coopération, et là je me retrouve dans l’obligation d’être dans un enseignement frontal. Ça ne me ressemble absolument pas, mais bon on n’a pas le choix, on s’adapte… ». Malgré tous les aléas et la fatigue, élèves, enseignants et parents sont heureux de se retrouver. Ces derniers ont trouvé une jolie façon de le montrer, ils ont accroché une magnifique banderole où est écrit « Un grand merci à nos directeurs, aux enseignants et au personnel pour leur dévouement, leur investissement pour nos enfants. Vous êtes les meilleurs !!! ». Un message qui fait du bien avec le prof bashing ambiant.
» Cette image de nous qu’on a véhiculé était vraiment moche. »
jjjVirginie enseigne à une classe de CE1 dans une grande école élémentaire classée REP de Montreuil. Dans son équipe, c’est la joie de se retrouver qui prévaut sur tout le reste. Et pourtant, cela n’a pas été simple. « Le confinement n’a pas été évident. Comment garder le lien avec certains enfants ? On a mis en place des tonnes de bidouillages pour en perdre le moins possible mais malgré tout dans certaines familles, c’était trop dur. Pourtant les enfants, et leurs parents, ont tout donné, ils avaient compris que la situation était grave. Ils se sont appliqués, ont fait de leur mieux. Mais à partir du 11 mai, et le retour de seulement certains d’entre eux, ça a commencé à se déliter. Et puis fin mai, on a senti qu’on les perdait. Les parents, paniqués, nous téléphonaient en expliquant qu’ils n’arrivaient plus à les mettre au travail. Alors ce retour, malgré tous les cafouillages de notre ministère, est une bonne chose pour eux, mais aussi pour nous. D’abord parce que nous avions besoin de les revoir, pour finir l’année autrement que sur ces trois mois un peu hors du temps, mais aussi parce que faire école à la maison, cela n’a pas de sens. L’école se fait à l’école. À la maison, on dans des tâches de réinvestissement, d’exercices répétitifs mais ce n’est pas ça apprendre ». Et puis, Virginie souligne un point important : l’école est un lieu sécure pour les élèves, « à l’école, on assure leur sécurité malgré la crise, c’est important qu’ils le sachent ».
Ce retour, c’était aussi pour les enseignants un moment de vérité, « on se demandait si on allait réussir à refaire la classe, surtout que nous travaillons tous dans des pédagogies de coopération, et là on se retrouve à leur dire qu’il est interdit de s’entraider… Ce n’est pas évident ». Alors, comme depuis le début du confinement, c’est en équipe qu’ils se sont posé la question de l’objectif de ces deux dernières semaines : rattraper les apprentissages ? ne faire que du ludique ? « Pour nous ces dernières semaines seront axées sur la socialisation, sur le fait de rassurer chacun des élèves, de fermer cette période de confinement pour partir en été dans de meilleures conditions, en laissant tout ça dernière nous ».
Pour autant, on sent que Virginie est en colère. « Cette image de nous qu’on a véhiculé était vraiment moche. Alors qu’on nous a présenté comme des glandeurs avachis sur nos canapés, nous, on s’est démenés malgré le manque de moyens et de gouvernance de notre système pour ne pas lâcher nos élèves. On a travaillé avec nos téléphones, nos ordinateurs, nos imprimantes – je me suis retrouvée à acheter un écran et un clavier. Mais on ne se s’est même pas posé la question, pour nous c’était normal alors quand on entend tout ça, ça nous met en colère. Et notre gouvernement qui ne nous soutient pas, c’est affligeant ». Les remerciements, ce sont les parents qui les leur ont adressés mais aussi les élèves, heureux de revenir à l’école « même si beaucoup étaient assez déçus lorsqu’ils ont compris que nous allions tout de même travailler ». Finalement, la reconnaissance tant attendue par le monde enseignant, ce n’est pas la rue de Grenelle qui la leur a donnée, mais les élèves et leurs parents. Et cela, ça n’a pas de prix.
Aujourd’hui le Ministre ne parle que du dispositif vacances apprenantes mais pour Virginie, cet argent investi dans le paiement d’heures supplémentaires hors temps scolaire devrait plus tôt aller vers un plan massif pour le retour à l’école, avec notamment le recrutement d’enseignants supplémentaires ou encore spécialisés. « L’école c’est le ciment de notre société, c’est le seul lieu où on apprend encore à faire société. Avec tout ce qui se passe en ce moment, il est urgent de miser sur l’école et d’investir dans l’école ».
Lilia Ben Hamouda