« La jeunesse est la priorité pour notre pays. En avant toute pour la jeunesse ! » Présentant le 6 juin les « vacances apprenantes », JM Blanquer, appuyé par Julien Denormandie, ministre de la Ville, et Gabriel Attal, fait preuve d’enthousiasme et peut-être d’optimisme. Son ministère et celui de la Ville investissent 200 millions dans des dispositifs qui vont proposer des accueils ou des séjours à 700 000 jeunes, prioritairement des quartiers défavorisés. Tous ces accueils de vacances seront fortement scolarisés. L’Education nationale étend son empire, à coup de subventions, sur l’éducation populaire. Et le ministre compte sur les enseignants et les chefs d’établissement pour faire la promotion auprès des parents.
Des vacances inégalitaires
« Les vacances peuvent être inégalitaires à double titre : il y a ceux qui ne partent pas et ceux qui perdent en substance éducative pendant les vacances… Un enfant défavorisé peut entre juillet et août avoir perdu plus qu’un enfant favorisé. Pour toutes ces raisons il faut donner un contenu éducatif aux colonies de vacances ».
L’argument de JM Blanquer ne manque pas de fond. En effet, les vacances creusent les inégalités entre les jeunes. D’abord parce que un jeune sur trois ne part pas en vacances. Ce taux double dans les quartiers de la politique de la ville (1.8 million de jeunes).
D’autre part une note de l’Iredu , en 2003, a mis en évidence l’importance des vacances pour le niveau scolaire et également celle du travail scolaire pendant les vacances. Quatre familles sur cinq en font faire durant les vacances mettant les cahiers de vacances au top des ventes pendant plusieurs semaines. Mais ce qu’ont montré aussi ces chercheurs c’est que « plus que le fait d’avoir travaillé, c’est le type d’activités réalisées qui va le plus nettement séparer les enfants ». En fait on sait que les vacances profitent plus aux enfants qui font des activités scolaires, comme les cahiers de vacances, qu’à ceux qui n’en font pas. Mais elles profitent encore plus aux familles qui savent tirer les activités de vacances vers des compétences scolaires. Et là on retrouve plutôt la tradition des colonies de vacances qui savent développer des compétences sans les scolariser.
Ecole ouverte apprenante
Les trois ministres ont présenté 4 dispositifs labellisés « vacances apprenantes ». D’abord « l’Ecole ouverte apprenante ». C’est un dispositif ancien et bien connu, où des jeunes, de 3 à 17 ans, sont accueillis dans des écoles ou des établissements scolaires. Mais cette année JM Blanquer voudrait passer de 70 000 jeunes accueillis à 400 000. On mesure la hausse ! Pour atteindre ce chiffre, le dispositif est ouvert aux lycées professionnels. Le dispositif s’adresse en priorité aux établissements d’éducation prioritaire ou des quartiers de la politique de la ville (QPV). Il sera étendu cette année aux zones rurales.
Une journée ordinaire en école ouverte c’est le matin des activités scolaires axées sur les fondamentaux et l’après midi des activités sportives ou culturelles.
Les lycées professionnels ciblera les élèves recalés aux examens de juin mais représentant leur examen en septembre et ceux qui sont en fin de parcours en voie professionnelle. On est donc dans des objectifs très scolaires ou d’insertion professionnelle.
A cela va s’ajouter « l’école ouverte buissonnière ». Il s’agit d’emmener des jeunes urbains en séjour dans une zone rurale sous la tente (de 2 à 7 jours) ou dans des locaux publics (5 à 14 jours). On en attend par le dépaysement le développement de l’autonomie de ces jeunes.
Pour tous ces dispositifs, selon la circulaire ministérielle du 29 mai envoyée aux recteurs et Dasen que le Café pédagogique s’est procurée, le ministère va mobiliser les directeurs d’école et les chefs d’établissement qui devront identifier les élèves « qui pourraient tirer bénéfice du dispositif « , , et les encourager à s’inscrire.
Colonies de vacances apprenantes
Totalement nouveau, le dispositif « colonies de vacances apprenantes » veut soutenir les colonies de vacances en échange d’une scolarisation de leurs activités. Ces colonies seront rendues gratuites pour les enfants défavorisés grâce à un apport de l’Etat (pour 80% des dépenses) et des collectivités territoriales (pour 20%).
Pour obtenir ces subventions, les colonies devront, selon le cahier des charges que s’est procuré le Café pédagogique, assurer « une présence significative et explicitée de temps de renforcement des apprentissages et valorisation de l’objectif de réussite de la rentrée scolaire pendant les séjours ». Les colonies devront » travailler les compétences fondamentales à la réussite : compréhension de textes lus par les enfants ou adolescents ou qui leur ont été lus; expression de leurs pensées à l’oral et à l’écrit dans une langue correcte et claire ». Les dasen auront en charge la labellisation des séjours proposés par les acteurs du secteur.
Les centres de loisirs pourront eux aussi obtenir un label « apprenant » et des subventions s’ils intègrent une dimension scolaire.
200 millions
Au total l’Etat mobilise 200 millions dont le plan Quartier été du ministère de la Ville pour 100 millions. 10 000 animateurs seront recrutés. Les chefs d’établissement devront valider leur engagement en ce qui concerne l’Ecole ouverte.
L’Education nationale va développer des contenus éducatifs pour ces vacances apprenantes. Le Cned proposera des contenus en langue vivantes , des modules de rattrapage en français et en maths. Toute l’offre sera proposée sur un site accessible aux familles qui ouvrira dans une semaine.
Un protocole sanitaire devrait être publié le 8 juin. Il sera beaucoup plus souple que celui des écoles mais imposera une distance d’un mètre entre les lits, des groupes de 10 à 15 enfants au maximum et une desinfection régulière des locaux.
Un plan trop ambitieux ?
Après deux mois de confinement l’envie d’évasion et de nature est grande dans le pays. Elle l’est encore plus chez les jeunes des quartiers défavorisés qui ont vécu le confinement dans les pires conditions. Chez les jeunes qui d’habitude na partent pas , un départ financé par les collectivités et l’Etat peut séduire.
Reste que le ministère a mis la barre très haut. Multiplier par plus de 5 les accueils dans le cadre des écoles ouvertes, qui sont organisés généralement dans le quartier ou à proximité semble très ambitieux. Avec un programme très ludique passer de 70 000 à 400 000 jeunes ne serait pas une mince affaire. Mais avec des maths et du français ou de la révision d’examen tous les matins ce serait un exploit. Le ministre dit que des élèves pourraient avoir un » soutien scolaire obligatoire » durant les vacances. On ne voit pas comment cela serait possible.
Il n’y a pas que les jeunes à trouver. Il faut aussi trouver des encadrants qui, pour école ouverte, sont généralement des enseignants. Le ministère a déjà du mal en année ordinaire à en trouver suffisamment. Multiplier leur nombre par 5 ne sera pas une mince affaire.
En tous cas le ministère ne semble pas vraiment convaincu du succès. Il compte sur les enseignants, les directeurs d’école et les chefs d’établissement pour vendre le dispositif aux parents. « En ce qui nous concerne, ce dispositif doit reposer strictement sur le volontariat des personnels de direction », nous a dit Franck Antraccoli, secrétaire général d’Id Fo, second syndicat des personnels de direction. Même avis au Snpden Unsa, le syndicat majoritaire. « Si les pressions locales se faisaient trop insistantes en direction des collègues nous serions amenés à réagir », nous a dit Philippe Vincent, secrétaire général.
Impérialisme ministériel
Avec le dispositif colonies de vacances apprenantes, le ministère de l’Education nationale et de la jeunesse étend son empire sur l’éducation populaire. Le dispositif rompt avec plus d’un demi siècle d’éducation populaire. L’éducation populaire n’a pas attendu JM BLanquer pour proposer des colonies de vacances éducatives. Elle a su développer des modes éducatifs qui ne sont pas scolaires. C’est ce qui a fait le succès des colonies dans leur grande époque. Avec le dispositif Blanquer c’est la forme scolaire qui investit les colonies. En échange de subventions, les associations qui vont adhérer au dispositif vont vendre leur âme et leur tradition. Il est vrai que beaucoup, depuis la fin du 20ème siècle, s’étaient converties aux lois du marché et aux loisirs sportifs recherchés par les publics favorisés.
François Jarraud