Les séquences les plus courtes seraient-elles les meilleures, en particulier quand les vacances approchent et le temps se réduit ? Peut-on même en une semaine mener un travail de lecture enrichissant et motivant ? Pari tenu par Marie Especel : avec ses 4èmes, au collège de Bourg-sur-Gironde, elle a ainsi conduit l’étude d’une nouvelle de Prosper Mérimée sur l’esclavage, « Tamango ». Chaque groupe doit réaliser une analyse thématique autour d’une question particulière. La restitution des recherches se fait via tablettes ou smartphones sous la forme de stories publiées sur un compte Instagram. Une œuvre en une semaine ! Des recherches en une story ? La rapidité semble ici une clef de l’efficacité : elle produit de la tension cognitive et, paradoxalement, enseigne à prendre le temps de réfléchir avant de publier. Transférable ?
Dans quel contexte avez-vous mené ce travail ?
Le travail a été mené dans une classe de 4ème qui compte quelques élèves très faibles, voire décrocheurs, et très fâchés avec la lecture. Il s’était déroulé durant la dernière semaine avant les vacances de Noël. La classe venait de finir l’étude de la traite négrière avec le professeur d’Histoire-Géographie : les élèves possédaient donc les pré-requis historiques pour aborder l’œuvre et ils ont pu utiliser les ressources à leur disposition comme le cahier et le manuel d’Histoire-Géo. Nous sortions de l’étude d’une œuvre intégrale complexe (Le Cid de Corneille), d’où la volonté d’aborder la lecture d’une Œuvre Intégrale de manière différente et plus « légère ».
Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer une telle expérience ?
Deux préoccupations principalement : comment exploiter au mieux les 5 heures de cette semaine particulière ? Quel biais pour faire adhérer l’ensemble de la classe à un projet de lecture ?
Comment avez-vous orchestré l’activité ?
Le travail d’analyse a été partagé en six groupes de travail hétérogènes que j’ai moi-même constitués. Chaque groupe se voit confier une question particulière : Comment la nouvelle parle-t-elle d’une réalité historique : les navires négriers (construction, aménagement, trajet et conditions de vie à bord) ? Comment la nouvelle parle-t-elle d’une réalité historique : le traitement des esclaves (capture, sélection, vente, conditions de détention sur le bateau) ? « Tamango » est-elle une nouvelle réaliste ? Quel rôle la superstition joue-t-elle dans « Tamango » ? Le personnage de Tamango est-il un héros ou une victime ? Mérimée est-il pour ou contre l’esclavage ?
Les consignes étaient les suivantes : « Vous allez, en groupe, réaliser une étude thématique de la nouvelle. Cela signifie que vous allez vous intéresser à des éléments précis de l’histoire. Il faut donc que chaque élève ait lu l’intégralité de la nouvelle pour être efficace dans son groupe. Le travail de chaque groupe est différent et participera à la production collective de la classe sous forme d’une story sur Instagram. »
Comment les élèves ont-ils mené à bien ce travail ?
Les élèves disposent d’une fiche méthode : « faire une recherche ». Ils utilisent les tablettes numériques de l’établissement et leurs propres smartphones avec accès au réseau Wifi du collège. Le compte Instagram est celui du cours de français : @La_classe_de_mme_e. Afin de permettre une publication successive des différentes parties de la story, chaque groupe a créé sa story sans la publier et, lorsque tous les groupes ont eu fini, les publications ont pu s’enchaîner. Cela permet en amont de la publication de veiller à la correction orthographique.
Pourquoi avoir choisi de publier le travail sur Instagram précisément ?
J’ai l’habitude de travailler avec le numérique en cours de français et d’intégrer l’EMI dans mes pratiques. Après plusieurs expériences de publication de twittrécits autour du roman « Eldorado » ou de la nouvelle « Matin brun », j’ai souhaité travailler avec un réseau social utilisé et maîtrisé aussi bien par les élèves que par moi-même. L’idée était de m’appuyer sur les compétences techniques des élèves et sur leurs usages afin de faciliter le travail, tout en leur montrant que l’on pouvait aussi mener un travail scolaire sur Instagram. Le choix de restituer leur travail sous forme de mini stories mises bout à bout était une façon de lancer un défi aux élèves.
Quelles compétences ont été travaillées durant cette période de travail ?
Il s’agit d’abord de compétences de lecture : lire une œuvre et en extraire des informations. Mais aussi de compétences de recherche : analyser un sujet, problématiser, évaluer ses besoins de recherche, mobiliser ses connaissances, mettre en place une stratégie face à ces besoins (apprentissage de la fonction ctrl+F pour chercher des mots-clés dans un texte numérique)… Et d’autres compétences transversales : collaborer dans un projet, se partager les tâches, utiliser des outils numériques de travail, comprendre l’intérêt du BYOD, respecter des règles d’utilisation du numérique en classe, en particulier des réseaux sociaux…
Quel bilan en tirez-vous du point de vue des élèves ?
Du côté des élèves, l’accueil a été un peu dubitatif au début, car ils ne comprenaient pas comment on allait pouvoir utiliser un de leurs réseaux favoris pour « faire du français ». Ils se sont pourtant investis de manière efficace. Certains élèves ont pu se raccrocher au projet grâce à leur maîtrise des outils numériques et ont été très actifs pour créer des publications en amont du temps collectif afin de donner de la visibilité au projet. On a pu observer une dynamique d’entraide et d’écoute pour contribuer aux publications : les élèves parfois en difficulté se sont vu attribuer des tâches parfois moins longues dans les stratégies des groupes.
Et du point de vue de l’enseignante ?
C’est un pari réussi. Les productions montrent que les élèves ont compris ce qu’ils ont lu, ont été capables de réinvestir leurs connaissances et de faire les recherches nécessaires pour répondre à la question qui leur avait été posée. L’idée d’imposer un temps court de production implique un engagement des élèves et une certaine tension afin de parvenir à publier en temps et en heure, chaque groupe se devant d’avoir terminé pour ne pas voir échouer le projet collectif. Le choix d’utiliser un réseau social comme Instagram, au-delà de la motivation qu’il induit, a permis aux élèves de transposer leurs usages privés du réseau social au domaine scolaire et de comprendre ce que l’école peut leur amener en plus dans leurs pratiques.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut