» Il faut inventer une laïcité ouverte, compréhensive ». Michel Lussault, président du conseil supérieur des programmes (CSP) annonce bien une révision des programmes de l’enseignement moral et civique (EMC) après les attentats. Il souhaite un EMC plus ouvert sur le vécu des élèves et qui prennent en compte réellement l’existence des croyances dans l’univers mental des élèves.
Après les attentats, vous avez parlé de « responsabilité collective et éducative ». L’école a-t-elle une part de responsabilité dans les attentats perpétrés en région parisienne ?
La responsabilité est bien sur beaucoup plus globale. Mais le moment est venu de réfléchir à ces événements et ce qui s’est passé dans les écoles. On a bien le témoignage d’une crise du modèle scolaire français qui est analysée depuis longtemps.
Quel lien entre l’école et les attentats ?
Sans dire que l’école est coupable, le profil des 3 auteurs et les réactions que l’on a observé à plusieurs endroits montrent que l’école est impliquée. Un des problèmes de notre école c’est qu’elle n’est pas assez inclusive. Elle a tendance à renforcer les inégalités sociales. On n’a pas assez approfondi ce que devrait être une école dans une société pluraliste. Les réseaux sociaux, le numérique ont renforcé des attitudes qui peuvent aller jusqu’aux thèses complotistes ou la starification de mauvais bergers. L’école n’a pas su réagir collectivement à cela. Elle ne travaille pas assez collectivement les questions vives. Le profil scolaire des trois tueurs doit nous poser question. On a un effort à faire si on veut une réponse qui ne soit aps qu’un rappel au règlement. Il faut réfléchir sur le long terme.
Vous pensez que le caractère ségrégatif de l’école a joué ?
L’école n’est pas assez inclusive. Comme géographe je pense que ce qui est mis en évidence c’est que la manière dont on a pensé améliorer l’école avec des politiques territoriales doit être interrogée. Il faut réinventer un modèle éducatif, y compris pour l’éducation prioritaire. On voit bien en Seine Saint-Denis des effets de seuil et comment des école s quittent le prioritaire alors que les difficultés scolaires sont énormes. Ne faudrait-il pas passer d’un soutien au territoire au soutien aux personnes ? Ne faudrait il pas repenser l’école, offrir une conception plus large de la laïcité ? Il y a eu un consentement collectif à une école ségrégative. Il est temps de réagir contre cela.
Il faut revoir les programmes d’enseignement moral et civique ?
La situation actuelle ne peut pas ne pas avoir d’impact sur eux. Le programme a été construit e essayant d’appréhender ces réalités. Par exemple, le programme du lycée est très orienté sur la tolérance, l’emprise mentale. Mais on ne peut pas rester inerte. Le Conseil supérieur des programmes (CSP) va attendre la fin de la consultation mais à l’évidence on amendera le programme d’enseignement moral et civique en renforçant les questions de la laïcité, du pluralisme. Il doit y avoir dans la culture collective des contenus qui renvoient à la laïcité et à la tolérance.
Aujourd’hui l’instruction civique est une matière froide qu’on fait quand on n’est pas distrait par les autres programmes. Il faut que l’éducation civique soit plus e prise avec le vécu des élèves.
La ministre demande qu’on associe contenus et pratiques. Qu’en pensez vous ?
C’était prévu avant les attentats. Le programme d’enseignement moral et civique (ECM) doit être renforcé par des pratiques. Il doit impliquer les élèves. Les questions de tolérance, d’égalité des sexes ou sociale doivent être abordées à partir de leur vécu. L’école doit se saisir de la question de la croyance. C’est nécessaire pour aborder le complotisme.
Et cela pose la question de la formation des enseignants. Rien ne peut se faire si les enseignants ne s’approprient pas l’ECM et ne sont pas formés pour cela au delà des professeurs d’histoire-géo. Le CSP va envoyer un message à propos du socle et de l’EMC à ce sujet dans les jours qui viennent.
Le gouvernement va débloquer des fonds pour la formation ?
J’ai souligné auprès de la ministre cette question. Il faut réoutiller les professeurs et ça passe par la formation continue.
Faut-il faire évoluer notre conception de la laïcité ?
On a une tradition politique très différente de celle des anglo saxons. Donc on ne doit pas s’aligner sur eux. Par contre la notion de laïcité a évolué dans un sens qui n’est plus celui de Jules Ferry. Ferry et Buisson n’étaient pas hostiles aux religions. L’Ecole devait se détacher de l’église catholique au profit d’une conception pluraliste. Aujourd’hui il faut inventer une laïcité ouverte, compréhensive, apaisante et offensive. On ne peut plus faire comme si la question de la croyance n’était pas centrale. Il ne s’agit pas de proposer un enseignement des religions mais que dans les programmes scolaires la question de la croyance soit abordée frontalement. Si on aborde la question du pluralisme des valeurs, la laïcité change. Elle ne prend pas position pour une religion. Mais elle s’ouvre au fait qu’elle doit accepter que la question de la croyance se pose pour nos élèves. Il faut tenir sur cette corde raide.
Propos recueillis par François Jarraud