Peut-on reconsidérer la voix comme un outil pédagogique à part entière, y compris pour apprendre à mieux écrire et à mieux lire ? C’est le choix de Sarah Pépin-Vilar, professeure de lettres au collège Jean de Beaumont à Villemomble dans l’académie de Créteil. Lors d’une visite au Louvre, les élèves sont par exemple invités à « prendre des notes » sur un baladeur : cet enregistrement va constituer le « brouillon oral » d’un récit fantastique, le support d’un vrai travail de l’écriture. Lors de la lecture d’un roman de Maupassant ou de Zola, les élèves sont amenés à réaliser en binômes une interview imaginaire de l’auteur ou d’un personnage : cet enregistrement va permettre de rendre compte d’une authentique appropriation de l’œuvre et de fixer des connaissances. Sarah Pépin-Vilar éclaire ici ces pistes de travail, aisément transférables, qui font de l’oral à l’heure numérique une autre façon, plus vivante peut-être, d’entrer dans l’écrit. La participation à un projet de webradio montre aussi combien la parole a le pouvoir de libérer l’Ecole de ses propres enfermements, dans les disciplines ou dans les programmes.
Lors d’une sortie pédagogique au musée du Louvre, vous avez demandé à chaque élève de procéder à une prise de notes orales : pouvez-vous expliquer précisément le dispositif ?
A l’occasion d’une séquence sur le récit fantastique au XIXe siècle en 4ème, j’ai proposé un sujet de rédaction dont le cadre serait le département des Antiquités Egyptiennes du Louvre. L’élément perturbateur de la rédaction était imposé : « Le narrateur assiste à un phénomène fantastique au Musée du Louvre : un objet du département des Antiquités égyptiennes s’anime ». Pour motiver l’écriture, j’ai emmené les élèves sur place : une mise en écriture in situ ! Un baladeur numérique a été confié à chacun, avec pour consigne de prendre des notes orales qui pourraient leur servir pour leur rédaction. L’objectif final du travail avait été expliqué lors d’une séance en classe en amont de la sortie pédagogique. Les attentes liées à un sujet d’écriture fantastique avaient alors été élaborées et commentées collectivement afin de lancer des pistes pour la prise de notes.
La visite s’est faite en autonomie : les élèves étaient munis de leur outil nomade et d’un plan du département proposant d’aller voir de plus près cinq objets que j’avais choisis en fonction de leur intérêt et de leur emplacement. Plus pratique et motivant que cahier et stylo pour arpenter les salles d’un musée, le baladeur a placé les élèves dans une situation inédite mais confortable. Ils notaient oralement, librement et pour eux-mêmes, comme avec un dictaphone, les idées qui leur venaient à l’esprit en lien avec le sujet d’écriture proposé.
Ces enregistrements oraux ont constitué le brouillon oral de l’écriture : comment les élèves les ont-ils exploités ?
Quelques jours après la visite au Louvre, pendant une séance en classe, chaque élève a écouté son enregistrement. Il durait en général de six à vingt minutes. Les écouteurs dans les oreilles et un crayon à la main, chacun a sélectionné les informations enregistrées qui lui paraissaient intéressantes et utiles, et les a notées sur une feuille de brouillon pour les organiser. Puis la phase de rédaction a pu commencer. Le contenu des commentaires enregistrés consistait en des notes documentaires et des pistes narratives. L’entrée du musée, le chemin à parcourir pour atteindre le département des Antiquités Egyptiennes, l’objet choisi pour s’animer : les enregistrements ont enrichi les descriptions par leur précision. Par exemple, une élève s’est servie de l’enregistreur pour recueillir sa lecture d’un cartel expliquant les rites funéraires. Grâce à cette prise de notes, un vocabulaire technique précis a été employé dans une description détaillée. Certains élèves ont insisté sur leurs sensations (un courant d’air par exemple), sur l’ambiance particulière du musée (les touristes cosmopolites, la grandeur du lieu) pour camper le cadre spatio-temporel et préparer l’apparition du fantastique. Les notes constituaient aussi pour certains les bribes d’un premier jet, ou des hypothèses d’écriture : le « je » pouvait être déjà celui du narrateur assistant à un phénomène fantastique.
De manière générale, quels vous semblent les intérêts d’un tel détour par l’oral pour préparer l’écrit ?
Le point de départ de la mise en place de ce dispositif était de remédier à deux difficultés que nous observons souvent dans nos classes de collège : la peur de la page blanche, c’est-à-dire la difficulté pour certains élèves à s’engager, à s’aventurer dans un récit d’imagination à l’écrit ; ou au contraire l’écriture « au fil de la plume », sans retour au premier jet, sans réécriture. Beaucoup d’élèves ont du mal à considérer le brouillon comme une étape d’écriture utile plutôt que contraignante. Le détour par l’oral est donc une passerelle stimulante pour des élèves en difficulté face aux travaux d’expression écrite. Il permet à ces élèves de dédramatiser l’exercice de la rédaction. Il a aussi l’intérêt de mettre en valeur la phase première d’un travail d’expression écrite, phase dévalorisée dans l’esprit des élèves car ce n’est pas celle qui est notée in fine… Le retour sur les prises de notes orales après la phase de rédaction peut à ce titre être très intéressant à exploiter avec les élèves : quelles sont les évolutions de mon travail, depuis ma première prise de notes orale jusqu’à la rédaction finale ? quelles transformations, combinaisons, enrichissements ai-je effectués aux différentes étapes de l’écriture ?
Une autre activité originale que vous avez menée avec vos élèves consiste à les faire réaliser et enregistrer des interviews d’écrivains : quelles ont été les différentes étapes de ce travail ?
Il s’agit d’une activité de compte-rendu de lecture cursive. Je la propose volontiers en évaluation à la lecture autonome d’un recueil de nouvelles réalistes, de Maupassant ou Zola par exemple. Les élèves travaillent en binôme, chaque groupe ayant la responsabilité d’une nouvelle. Les interviews réalisées sont donc imaginaires. Dans un premier temps, pour fixer les objectifs de l’activité avec les élèves, je présente des interviews d’écrivains contemporains. Cela permet de repérer les types de questions qui sont représentées dans une interview : questions sur l’œuvre (les personnages, l’intrigue), la vie de l’auteur, son métier d’écrivain. Dans un deuxième temps, les élèves font des recherches, accompagnés par le professeur documentaliste, sur l’auteur dont ils vont réaliser l’interview. Cette recherche doit permettre de sélectionner des éléments biographiques en rapport (par le thème ou la date) avec la nouvelle étudiée. Puis ils imaginent une série de cinq à dix questions-réponses portant sur la nouvelle lue et sur la biographie de l’auteur. Enfin, ils enregistrent leur interview, l’un jouant le rôle de l’auteur, l’autre celui du journaliste puis la mettent en ligne, sur un blog ou dans un ENT pour que les autres élèves de la classe les écoutent. Je leur demande également d’intégrer un passage de lecture du texte.
Qu’est-ce qu’une telle activité a apporté aux élèves selon vous ?
Cette activité qui constitue une tâche complexe permet à tous les élèves de participer en créant des liens entre le lire, l’écrire et le dire. Il ne s’agit pas de répondre à un questionnaire de lecture mais de l’élaborer, avec des contraintes qui sont motivantes car elles placent les élèves en situation. Ils jouent un rôle, prennent de la distance par rapport au texte et en même temps en deviennent presque des acteurs, bref, ils se l’approprient. L’exercice propose un retour au texte, ce qui est très important pour moi car il permet à tous les élèves de participer : l’élève qui n’a pas lu, ou pas lu intégralement, est invité à reprendre son livre et à essayer d’entrer de nouveau dans la lecture, même si elle est fractionnaire. L’enregistrement est aussi très formateur car il donne le droit à l’erreur : on s’écoute, on se réenregistre si besoin. Le résultat du travail va être partagé sur un blog, il faut être à la hauteur.
Une variante de cette activité est d’imaginer des interviews de personnages, ce que les élèves apprécient beaucoup. Ils s’appuient sur des éléments précis du texte, et parfois donnent une suite à l’histoire, montrant ainsi comment ils se sont approprié la lecture. C’est ainsi que j’ai eu le plaisir d’entendre une interview de Mathilde Loisel, héroïne de La Parure de G. de Maupassant, qui était finalement devenue bijoutière après avoir surmonté tant d’épreuves dans sa vie !
Votre intérêt pour l’oral vous a conduit à mener un projet annuel de webradio en 4ème : comment avez-vous concrètement organisé le travail ? pouvez-vous donner des exemples de productions réalisées dans ce cadre ?
Ce projet interdisciplinaire intitulé « Une webradio scientifique » a été mené dans le cadre d’un projet de classe PEM (projet d’éducation aux médias mené en partenariat avec le CLEMI de l’académie de Créteil). Il s’agissait de faire produire par les élèves des émissions radio à contenu scientifique en lien avec les programmes de Sciences et Vie de la Terre. Les programmes conçus étaient diffusés sur un blog à destination des autres élèves du collège. Il a représenté un temps de travail pour les élèves de plus de 30 heures, pendant les cours de français, SVT, Arts Plastiques et Musique, le plus souvent en co-animation avec le professeur documentaliste. Les élèves ont réalisé toutes les étapes du travail, des prises de son au montage (avec le logiciel Audacity), du générique en cours de musique à l’identité graphique de la webradio en cours d’Arts Plastiques. Nous avons organisé des rencontres avec des professionnels des médias, une visite à Radio France. A l’occasion d’une visite de l’exposition « Bêtes de sexe » au Palais de la Découverte à Paris par exemple, les élèves ont réalisé des reportages et expérimenté différents formats de sons radio : interviewes, micro-trottoirs, cartes postales sonores, etc.
Quels sont selon vous les intérêts et difficultés éventuelles d’un tel projet de webradio ? Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés par une telle aventure ?
Les intérêts d’un tel projet sont multiples, aussi bien pour les élèves que pour les professeurs, d’abord parce qu’il est transdisciplinaire. Les compétences d’oral ont été travaillées tout au long de l’année en prenant le temps de surmonter les difficultés. Elles se sont développées grâce aux travaux d’enregistrement de reportages bien sûr mais également, de façon moins attendue, lors des nombreux moments d’échanges qu’un tel projet occasionne : entre pairs (pour choisir les sujets par exemple) ou avec des adultes (lors de la rencontre avec des professionnels, ou des inconnus pour un micro-trottoir). Ce genre de projets, par sa dimension collaborative, permet à chaque élève de développer et de transmettre des compétences. Chacun y trouve sa place.
La difficulté principale est la gestion du temps. Il me fallait réussir à intégrer un projet ambitieux, ayant pour thème un sujet scientifique, à ma progression annuelle en français. J’ai donc essayé d’articuler les différentes étapes du projet radio avec le programme. Par exemple, lors de la phase de découverte du média « radio », j’ai proposé l’écoute d’un portrait sonore de l’artiste Grand Corps Malade sur le site de RFI, ce qui permettait de faire le lien avec un travail sur le portrait en littérature. Le travail de la voix a été particulièrement approfondi lors d’une séquence sur la poésie lyrique pendant laquelle j’ai proposé de nombreux exercices de lecture expressive d’abord à plusieurs, en chœur, puis individuellement afin de prendre confiance lors des séances d’enregistrement.
Pour mener un tel projet, je dirais qu’il faut accepter de l’intégrer à son cours, de faire des choix dans sa progression annuelle et non le considérer comme un élément extérieur à ajouter. Le travail en équipe, le rôle clef du professeur documentaliste et le soutien d’une structure comme le CLEMI sont précieux.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Des exemples de brouillons oraux, bruts, puis retravaillés
Les interviews imaginaires sur le site de l’académie de Créteil