« Il y a une contradiction entre l’Etat qui nous demande de préparer l’insertion sociale et professionnelle de ces jeunes et l’Etat qui refuse de les prendre en charge ». Benoit Boiteux, proviseur, a résumé la situation vécue par les enseignants du lycée du bâtiment Guimard à Paris (19ème). Le 5 janvier ils se sont mobilisés pour soutenir 9 lycéens mineurs sans papiers mis à la rue. C’est une vraie étude de cas d’enseignement civique et moral qu’ils vivent pour de vrai avec leurs élèves. Comment enseigner les valeurs républicaines quand Marianne s’oublie ?
Comment scolariser des jeunes à la rue ?
« Ce sont des jeunes qui ne posent pas de problèmes », nous avait dit B. Boiteux, lors d’une première visite en octobre 2013. Toufik, Lucien, Mohamed, nous les avions rencontrés lors d’une réunion organisée dans le lycée par RESF. Certains venaient d’Afrique sub saharienne, d’autres du Proche Orient. Tous ont choisi les formations du bâtiment parce qu’ils savent qu’il trouveront facilement un emploi. L’apprentissage du français est la grosse difficulté pour les épreuves écrites du bac pro. Mais dans ce lycée, on a l’habitude de ces élèves et les professeurs savent y faire. Seuls en France ils ont de grosses difficultés pour assumer leur vie quotidienne. Ils doivent survivre. Ils doivent aussi affronter la suspicion devenue automatique des services sociaux. A eux de faire la preuve qu’ils sont mineurs car les majeurs sont expulsables. Pour cela ils enchaînent des examens médicaux humiliants qui ne sont pas à la gloire de l’état français.
Ainsi le lycée Guimard scolarise 70 mineurs isolés. La moitié (35 exactement) sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). 25 sont sans ressources et 15 sans abri. Parmi eux, 6 sont accueillis à l’internat du lycée Guimard. 9 n’ont aucune solution durable de logement. Ce sont eux qui mobilisent le personnel du lycée depuis le mois de décembre. Alex Adamopoulos enseigne les lettres et l’anglais au lycée Guimard, deux disciplines difficiles pour ces jeunes élèves arrivés en France. Il en a plusieurs en classe et il a pris la tête du collectif du personnel du lycée. « Ce sont des jeunes impliqués dans leurs études. Ils se raccrochent à l’école et étudient alors qu’ils vivent une situation très difficile. C’est admirable », nous a-t-il dit. Le proviseur, Benoit Boiteux, souligne la contradiction où le personnel se trouve. D’un coté l’Etat lui demande de lutter contre le décrochage, de préparer l’insertion des jeunes, de l’autre l’Etat laisse à la rue des lycéens.
La République dans ses contradictions
Car à la veille des vacances de Noël, la situation des 9 jeunes s’est dégradée. Le 5 janvier, 4 se sont retrouvés sans toit et le collectif du lycée a menacé de les loger dans le gymnase de l’établissement. Finalement ces 4 jeunes ont trouvé un abri temporaire à la Mie de Pain, un lieu d’hébergement pour SDF. Logés avec des adultes dans un dortoir pour 14 personnes ils devraient intégrer une chambre pour 4. Mais à La Mie de pain il n’y a ni suivi scolaire, ni solution pour laver le linge et se changer. Les jeunes se retrouvent dans un milieu d’adultes à la dérive et sont effrayés.
Selon Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région Ile -de-France en charge des lycées, la région a proposé une solution qui s’est noyée dans les contradictions de la république. Depuis 2010, le conseil régional a marqué sa solidarité avec les lycéens sans papiers. « Nous continuons avec Hollande ce que nous avons commencé sous Sarkozy », dit H Zoughebi. La région propose de prendre en charge l’hébergement des lycéens en foyer de jeunes travailleurs. Mais sous condition qu’ils aient des papiers. La majorité du conseil régional a écrit le 19 décembre au ministre de l’intérieur pour obtenir leur régularisation. La lettre est restée sans réponse…
B. Boiteux met lui en question l’ASE et derrière elle la Mairie de Paris. Une maire adjointe du 19ème arrondissement pose la question du budget de l’ASE. Selon elle, les versements de l’Etat à la Ville pour l’ASE ne permettent plus de prendre en charge tous les jeunes.
Présents, les jeunes remercient leurs enseignants et le proviseur pour leur soutien. Ce 5 janvier, près de 200 personnes, dont leurs professeurs, les entourent. Benoit Boiteux parle d’un « Pacte de responsabilité » de l’Etat envers ces jeunes. Henriette Zoughébi martèle les « trois E » : Education, Emancipation et Egalité. La République est bien vivante au lycée Guimard.
François Jarraud