Comment réussir le changement en éducation ? La question se pose à tout ministre de l’éducation. Et bien peu trouvent la réponse. Claude Lessard et Anylène Carpentier analysent les récentes politiques éducatives en Europe et en Amérique du nord pour mettre en évidence les idéologies qui les soutiennent. De l’approche administrative à la Nouvelle gestion publique en passant par le pilotage par les résultats, ils montrent les limites des théories qui dirigent l’Ecole depuis un demi siècle. Ils montrent aussi les théories du changement qui ont été imposées à l’école sur toutes ces années : le rôle des indicateurs, l’autonomie des établissements, le développement de marchés scolaires.
Claude Lessard et Anylène Carpentier en concluent à des idées fortes. Tout changement passe par des interprétations où les acteurs, les enseignants par exemple, trouvent des marges de manoeuvre. En ce sens la nouvelle politique n’efface jamais l’ancienne mais se superpose dans des constructions nouvelles. La condition du changement c’est justement ce travail de traduction et d’appropriation. Plutôt que le combattre, les auteurs invitent à l’appuyer et à aider les enseignants à créer une nouvelle culture professionnelle. Pour les enseignants, soumis aux pressions du changement, l’ouvrage légitime leur place dans le processus de changement. Il est vain de croire qu’on peut changer l’Ecole sans eux.
Claude Lessard : « L’Ecole ne peut penser évoluer sans les enseignants ou « malgré eux »
« Il ne suffit pas de convaincre les enseignants que le redoublement n’est pas une bonne chose ou encore qu’il soit inefficace, il faut les aider à trouver un dispositif qui tout en évitant le redoublement, permet aux élèves qui peinent à apprendre ce qu’ils sont censés apprendre, à améliorer leur situation. En ce sens, que l’état abolisse le redoublement ne fait qu’ouvrir un chantier. Que les enseignants hésitent à prendre en charge ce charge est tout à fait normal ». Pour arriver à cette conclusion, Claude Lessard explique pour nous les rôles de l’Etat, des enseignants et des cadres dans le changement en éducation.
Votre ouvrage revient sur les différentes théories du changement en éducation depuis un demi siècle. Toutes posent un rapport avec l’Etat. Celui ci est il définitivement invalidé comme initiateur de changement ?
Non, il ne l’est pas et ne peut l’être, dans la mesure où il est garant du bien commun et de la justice éducative. Mais il a agi en éducation, comme dans d’autres champs, avec une certaine naïveté, si je puis dire, estimant par exemple qu’il lui suffisait de décider seul, fort de son autorité, pour que l’ensemble du champ soumis à la décision suive et se mette au pas, comme si le champ éducatif était en quelque sorte une armée obéissante et techniquement capable de grandes manœuvres et d’homogénéité dans ses déplacements !
Cette vision des politiques et de leur mise en oeuvre ne tient pas la route, et ce depuis un bon moment (au moins depuis la fin des années soixante-dix). Pour les raisons que le livre tente d’expliciter à partir d’une revue des écrits consacrés à ce problème. Une raison tient au souci trop exclusif des décideurs et des hauts fonctionnaires avec la décision et sa légitimité, et la réduction de la mise en œuvre à un problème technique, administratif, une affaire de conformité et de savoir-faire peu problématisée. Une autre tient à la multiplicité des acteurs en cause, de leur position dans le champ, et celle des contextes par définition hétérogènes. Enfin, il y a la nature et le contenu des changements éducatifs que l’on souhaite voir traduits dans le vécu des établissements et des classes.
Par exemple, changer de curriculum n’est pas une mince affaire; par essence, c’est complexe, multidimensionnel et sujet à interprétation: qu’est-ce qu’une compétence ? Quel lien construire entre la transmission des connaissances et le développement de compétences générales ou dites transversales ? Quel lien construire aussi entre le développement des compétences et divers dispositifs pédagogiques ? Ces questions ne sont pas « secondaires » ou « techniques »: elles sont au cœur du changement envisagé. Alors, penser que l’État peut seul et préalablement avoir réponse à toutes ces questions avant d’agir, est impossible. D’où l’approche co construite gradualiste, itérative et modeste du changement proposée par le livre.
En ce sens, le livre ne propose pas le retrait de l’État en matière de politique éducative, au contraire, mais il l’enjoint à travailler différemment avec les acteurs du champ et avec la société civile qui exprime des attentes à l’égard de l’éducation. Etre davantage et mieux à l’écoute, accepter des processus plus longs mais plus solides, être ferme sur le cap et la destination (en le rappelant régulièrement), mais très souple sur les chemins pour y arriver, faire confiance aux acteurs qui « font » la politique dans le quotidien de leur établissement et de leur classe, en somme co construire avec les acteurs ce qui doit advenir. De toute façon, les écrits documentent ad nauseam l’insuccès de toute démarche autoritaire, top down, surtout dans les cas de politiques qui touchent au coeur de l’enseignement.
Je n’ai pas beaucoup de certitudes scientifiques comme sociologue, mais j’ai une conviction très forte: l’école ne peut penser évoluer sans les enseignants ou « malgré eux »; ce sont eux les acteurs centraux de l’institution; les autres sont en soutien.
Un modèle semble s imposer aujourd’hui c est le pilotage par les résultats et la recherche d’efficience en éducation. En quoi est ce un leurre ?
Ce n’est pas un leurre de se préoccuper d’efficacité et d’efficience. Tout professionnel souhaite être efficace. Tout enseignant est heureux de voir les yeux de ses élèves s’allumer, qu’ils comprennent et sachent utiliser une notion, etc. je ne connais pas d’enseignants qui prennent plaisir à « prêcher dans le désert ». Mais il ne faut pas perdre de vue que l’enseignement est un métier de relations humaines et qu’il est le fait d’une rencontre entre un enseignant, des élèves et des savoirs. Et qu’un enseignant ne transmet pas que des savoirs, il aide aussi et peut-être surtout ses élèves à construire leur propre rapport au savoir. Cela se rationalise difficilement au sens où la nouvelle gestion publique, qui puise ses références dans la gestion d’entreprises et dans le monde de la production dont les processus peuvent être fortement rationalisés suivant la logique moyens-fins. Cela suppose aussi une éthique de la sollicitude qui n’est pas celle de la performance contrainte, de la concurrence, du classement et du rejet des produits sous standard. Cela ne veut en aucun cas que dans l’enseignement, la construction d’une cohérence entre finalités, processus, dispositifs et résultats ne soit pas importante, mais cette construction obéit à une logique multidimensionnelle, autant symbolique qu’instrumentale.
Il y a donc à mon sens un malentendu fondamental entre la mission de l’éducation publique, démocratique et accessible à tous, devant assurer la formation de base à tous et toutes, et la nouvelle gestion publique. Ce malentendu porte à la fois sur les finalités, les moyens et les résultats. Mais j’insiste, tout professionnel veut être efficace. Là n’est pas l’enjeu; c’est ce que veut dire être efficace et comment on l’est qui est matière à débat.
Peut-être la Nouvelle gestion publique (NGP) évoluera t elle, difficile à dire. Mais il est possible, tout comme elle l’a fait dans les entreprises de l’économie du savoir, axées sur la créativité et l’innovation, pourra t elle combiner, hybrider en quelque sorte une pression forte sur la performance et enrôlement de la subjectivité créatrice des acteurs. Des études en cours montrent que les établissements, les directions et les enseignants incorporent ou subvertissent à leur manière la NGP et son souci d’efficacité, sans perdre de vue ce qui à leurs yeux demeure important.
Un apport important de l’ouvrage c’est de montrer le rôle des enseignants dans le changement. Tout changement est interprété par eux ? Comment ?
En effet, l’un des messages centraux du livre est que dans toute entreprise de changement éducatif, on ne peut faire l’économie de l’enrôlement des enseignants et de leur appropriation/transformation du changement en fonction des caractéristiques de leur classe et de leurs élèves. Ce sont les enseignants qui portent la mission de l’institution et celle-ci a besoin de leur engagement profond qui va bien au-delà de ce que stipule leur cahier de charges. En ce sens, l’enseignement a toujours quelque chose d’une vocation, dans la mesure où il requière un engagement de la personne. Alors, on ne peut imposer d’en haut des « changements de paradigmes ».
Il faut co construire avec les enseignants (et jusqu’à un certain point, avec les parents d’élèves) les changements que l’on souhaite faire advenir. Le débat que la France tient sur le redoublement et l’évaluation est révélateur de l’importance de prendre en compte les valeurs, les idées, les représentations des acteurs lorsqu’on envisage de faire évoluer leur pratique. Le livre adopte un point de vue à la fois proche des approches cognitives des politiques publiques et des approches sociologiques de type symbolique interactionniste, centrées sur l’acteur et la construction sociale de la réalité.
Les enseignants « interprètent » le changement de diverses manières. Certes, ils essaient de le comprendre en fonction de leurs valeurs — le non redoublement heurte le principe méritocratique ou il conforte une éthique de la sollicitude — ; ils l’évaluent aussi en fonction de leurs « intérêts » — qu’exigera de moi ce changement ? Que m’apportera-t-il ? — enfin, ils tenteront d’en comprendre le contenu — qu’est-ce qu’une compétence ? En quoi, cela diffère-t-il d’une capacité ? d’une habitude ? d’une attitude ? d’un automatisme appris ? Est-il vrai que les connaissances et leur transmission deviennent désormais secondaires ? —. Aussi, parce que ce sont des praticiens avant d’être des théoriciens de leur enseignement, ils chercheront à savoir comment faire ? — comment différencie-t-on sa pédagogie ? Comment mettre en œuvre dans une matière à contenu comme l’histoire, une approche dite par compétences ? Comment et avec quels outils, évalue-t-on des compétences ? Dans les conditions réelles de ma pratique ? Toutes ces questions sont légitimes. Elles ne doivent en aucun cas être décriées comme symptômes de résistance au changement. Un collègue affirmait récemment que la résistance au changement était une forme essentielle d’appropriation: il y a beaucoup de vrai dans cette affirmation. Pour qu’il se fasse une tête d’une proposition qui lui est faite, l’acteur doit mettre celle-ci à distance dans un premier temps, afin d’y voir clair.
L’ensemble de ces questions qui structurent l’interprétation que font les enseignants d’un changement tourne autour de la légitimité de ce qui leur proposé/imposé. Un néo-institutionaliste américain —Suchman — a mis de l’avant une typologie que j’aime beaucoup. Il distingue trois types de légitimités — morale (celle qui porte sur les valeurs comme la méritocratie et l’élitisme républicain —; cognitive (les théories qui sont censées justifier le changement sont-elles « vraies », « compréhensibles »— et pragmatique renvoyant aux intérêts et aux façons de faire. Ces trois légitimités sont distinctes, quoique interreliées. Tout entrepreneur de changement devrait prendre en considération ces légitimités et ne pas les confondre. Par exemple, il ne suffit pas de convaincre les enseignants que le redoublement n’est pas une bonne chose ou encore qu’il soit inefficace, il faut les aider à trouver un dispositif qui tout en évitant le redoublement, permet aux élèves qui peinent à apprendre ce qu’ils sont censés apprendre, à améliorer leur situation. En ce sens, que l’état abolisse le redoublement ne fait qu’ouvrir un chantier. Que les enseignants hésitent à prendre en charge ce charge est tout à fait normal, dans le cadre des éléments théoriques avancés dans le livre.
Donc le changement est impossible ? Le nouveau ne chasse jamais l’ancien comme vous l’écrivez ?
Non, il est possible, mais il faut accepter une approche plus gradualiste, incrémentaliste et itérative du changement. L’école change malgré tout ce que l’on dit. Parce que les générations d’enseignants se succèdent et ont un rapport au métier, au savoir et aux élèves partiellement différent des générations précédentes; les élèves, leurs familles et leur culture changent; la société aussi change; pensons simplement aux nouvelles technologies de la communication et leurs conséquences sur le rapport au savoir des jeunes comme des adultes. Tout enseignant vous dira qu’il est confronté tous les jours à des « changements » et qu’il peine à les maîtriser.
C’est le lien entre ces changements qui s’imposent « par en bas » quoiqu’on fasse à l’école, et ceux qui viennent « d’en haut », qui n’est pas évident et que les enseignants ne comprennent pas toujours. Alors, il faut travailler avec eux à construire ce lien. C’est ce que j’appelle une approche contextualisée, gradualiste et itérative du changement. Contextualisée, parce que les réalités locales ont une spécificité — le « one size fits all » doit être remplacer par du sur mesure —; gradualiste et itérative, parce que vaut mieux y aller ensemble lentement, par essai et erreur, modestement mais sûrement, en prenant au sérieux ce que nous disent les acteurs de première ligne qui questionnent l’un ou l’autre aspect de ce qui est proposé — qu’à toute vitesse, et sous l’action d’une minorité qui inévitablement s’essoufflera et rentrera dans le rang —. La France connaît mal cette culture pragmatique du compromis et du cheminement progressif; elle préfère les mouvements brusques et des évolutions par à coups.
On a tenté au cours des 15 dernières années au Québec, dans le cadre d’une réforme du curriculum, d’amener l’ensemble des enseignants à opérer « un changement de paradigme ». De toute évidence, les enseignants ne voulaient pas d’un virage à 180 degrés, n’en voyant pas la nécessité, la pertinence et l’utilité. Il aurait été plus efficace de valider avec eux les différents éléments du nouveau curriculum au lieu de les appeler à une « conversion » qui ne leur est pas apparue —surtout au secondaire — légitime sur les trois plans plus haut mentionnés. Je vous renvoie au dernier rapport du Conseil Supérieur de l’éducation qui porte justement sur la réforme du curriculum et qui analyse la réception par les enseignants de sa légitimité.
Cette question de la place de l enseignant c est aussi celle des effets des politiques menées sur leur métier. Va t on vers une prolétarisation du métier enseignant ?
Un bien grand mot que celui de « prolétarisation » ! Auquel on oppose celui de « professionnalisation ». Et si la réalité était quelque part entre ces deux termes chargés de sens et de valeurs. Ce sont les auteurs anglo-saxons qui ont mis de l’avant l’hypothèse de la prolétarisation, en grande partie par des gouvernements néo-libéraux avaient considérablement réduit la liberté curriculaire des enseignants, en mettant en place un curriculum national, des évaluations standardisées, ainsi que les dispositifs de reddition de compte typique de la nouvelle gestion publique. Dans ces pays, on a donc eu le sentiment, sans doute fondé, d’une perte d’autonomie professionnelle de la part des enseignants. Dans d’autres pays comme la France, le curriculum a toujours été dicté par l’état central et objet d’inspection. L’autonomie des enseignants y est ailleurs, dans les modes d’enseignement davantage que dans les contenus. Alors, cette histoire de la prolétarisation doit être contextualisée.
Certains auteurs américains estiment qu’il y a risque de prolétarisation dans la mesure où l’enseignement devient de plus en plus contraint, rationalisé, mis dans un corset de techniques et de « best practices » dictées par la recherche évaluative et imposées par la nouvelle gestion publique qui elle valorise beaucoup des pratiques fondées sur la preuve. Le risque existe véritablement aux États-Unis, dans le cadre de la mise en place des mesures phares du No Child Left Behind Act. Mais je demeure convaincu que cette approche ne pourra faire long feu. Parce qu’elle fait des enseignants des techniciens — ce qu’ils refusent d’être —, qu’elle valorise chez eux la conformité à des prescriptions « extérieures », et ainsi les prive du plaisir de développer leur « style » d’enseignement. La nouvelle gestion publique et une certaine science évaluative veulent des enseignants conformistes.
La bonne nouvelle, c’est que la plupart des enseignants avec qui je discute de cela, refuse cette évolution de leur travail. Et puis, même si on estimait qu’il y a des données évaluatives dont il faut prendre acte et que tout n’est pas équivalent comme mode d’enseignement — ce qui est vrai —, il faut toujours contextualiser, i.e. Adapter aux personnes et au contexte, donc exercer son jugement in situ: cela dépasse la conformité à la règle. s’il y a quelque chose qu’il importe de transmettre en formation initiale et continue des enseignants, ce n’est pas le refus des données évaluatives et les conséquences qu’elles suggèrent pour une pratique efficace, c’est l’importance d’un rapport non conformiste aux règles de pratique que certains déduisent de cette recherche et veulent imposer. Cette approche est non seulement non « professionnalisante », je crois qu’elle n’est pas efficace à moyen terme, les enseignants devenant incapables de s’adapter à l’imprévu et au changement et dépendants d’une source extérieure pour réguler leur pratique.
Les auteurs non anglo-saxons ont par ailleurs beaucoup écrit sur le « malaise enseignant », c’est-à-dire le sentiment d’une perte de statut, de reconnaissance en même temps que la relation pédagogique devenait plus problématique. Le rapport Pochard révèle que l’expression « malaise enseignant » remonte à 1899 ! Ce n’est donc pas d’hier. Cela ne veut pas dire que cela est sans importance. Je crois personnellement qu’en matière de statut et de reconnaissance, il faut que la société accepte qu’il y a un coût à payer si les enseignants voient leur travail se complexifier et leur rôle s’élargir (instruction et éducation, prise en compte de la culture des jeunes, obligation de les enrôler dans l’apprentissage, éthique de la sollicitude, travail en collectif et en partenariat avec les parents et les communautés locales, lutte à l’échec scolaire, éducation à la citoyenneté et intégration des nouveaux arrivants, prise en compte de l’hétérogénéité, etc.). On ne peut nier que le métier soit plus complexe et difficile qu’autrefois et que se sont ajoutées des obligations au cahier de charge traditionnel de l’enseignant. La société doit reconnaître cela, notamment dans la rémunération et l’aménagement de la carrière des enseignants.
Le changement impacte aussi le rôle des chefs d’établissement. Comment ?
S’il y a un groupe qui depuis quelques décennies s’est « professionnalisé », c’est bien celui des chefs d’établissement. Les directions reçoivent maintenant dans bon nombre de pays une formation administrative obligatoire; on a aussi clarifié leur statut et on les a chargé d’un rôle essentiel dans la mobilisation de leur établissement à l’égard de la réussite des élèves, sans oublier le positionnement de l’établissement dans un quasi-marché concurrentiel. On les a enjoints aussi de devenir des « leaders pédagogiques », c’est-à-dire d’être capables d’intervenir efficacement sur le terrain traditionnellement considéré comme le terrain de l’autonomie professionnelle des enseignants. Un vaste programme qui exige non seulement du temps — ce que les chefs d’établissement estiment ne pas avoir — mais aussi des compétences, un doigté, une vision et un leadership sinon exceptionnels, encore trop peu répandu.
À bien des égards, l’éducation est affaire de rencontres réussies: celle d’un chef d’établissement avec une équipe d’enseignants; celle des enseignants et des élèves, celle des élèves avec la culture. Lorsque ces rencontres sont réussies ou au moins fonctionnelles, alors quelque chose d’important a une véritable chance de se construire et de s’épanouir au bénéfice des personnes. Comme toute rencontre interpersonnelle, il y a quelque chose de mystérieux et d’impondérable, d’où l’importance de bien protéger et soutenir ces rencontres, notamment par une éthique de la sollicitude, pour qu’elles adviennent et durent.
Il y a t il consensus dans nos sociétés sur le changement en éducation ? Le changement implique t il la réduction des inégalités ?
Nos consensus sont mous et flous. Il ne peut en être autrement dans une société pluraliste, hétérogène et fortement individualiste. d’où l’importance dans le livre de l’idée qu’une politique éducative n’est jamais ni dans sa conception ni dans sa réalisation le fruit d’un processus rationnel linéaire. l’Étude des trajectoires de politiques éducative montrent que celles-ci ont des moments forts et que chacun de ces moments est l’occasion d’un débat sur toutes les dimensions de la politique. Les acteurs politiques et la haute administration de l’éducation nationale doivent accepter cette réalité qu’au fur et à mesure qu’une politique percôle dans le système éducatif, le débat reprend et que cela est nécessaire pour une véritable appropriation par les principaux concernés, i.e. Les enseignants, les élèves et leurs parents. c’est ainsi que nos consensus mous non pas se durcissent mais sont suffisants pour que les pratiques et les représentations qui les soustendent évoluent progressivement.
Malheureusement, le changement n’implique pas toujours la réduction des inégalités. Mais cela pose et posera toujours problème pour l’école publique dont la mission historique est liée à l’égalité des chances. À cet égard, si l’école publique réalise de moins en moins l’égalité des chances, si les promesses de mobilité sociale par l’école s’estompent dans certaines sociétés, alors le métier deviendra de plus en plus difficile, car cette promesse est relayée par les enseignants aux élèves. Il n’est jamais agréable de mentir ou d’être en déni de réalité. Les élèves sont prompts à dénoncer cette imposture.
Propos recueillis par François Jarraud
Claude Lessard, Anylène Carpentier, Politiques éducatives. La mise en oauevre, PUF, 2015, ISBN 978-2-12-060667-3