« La richesse de l’enseignement à des moins de trois sans c’est l’observation ». Invitée par l’Observatoire des zones prioritaires (OZP) le 25 janvier, l’inspectrice générale Viviane Bouysse a longuement expliqué pourquoi cette scolarisation des tout petits est importante. Mais les professeurs présents ont surtout souligné les conditions inégales d’exercice , voire le sabotage de ce dispositif à vocation sociale par les communes des banlieues aisées. Scolariser les moins de 3 ans c’est aussi politique.
L’année des découverts
« La troisième année c’est celle de l’accélération des acquisitions lexicales et langagières. C’est l’année où les facultés de représentation se développent. Les enfants commencent à avoir l’idée que le tracé peut représenter quelque chose. Si on s’adapte aux spécificités de ces enfants on peut stimuler le développement de leurs capacités ».
Grande spécialiste de l’école maternelle, Viviane Bouysse est écoutée avec attention par les enseignants venus relativement nombreux l’écouter. Elle se place sur le terrain pédagogique, expliquant d’abord pourquoi la scolarisation des moins de trois ans est nécessaire.
« Les enfants apprennent la mobilité autorisée, l’organisation du temps, des éléments qui font partie de l’identité scolaire… Ils ont besoin de répétition mais aussi que l’on stimule leur imaginaire », dit V Bouysse. Dans les objectifs pédagogiques elle place l’entrée dans l’univers de la culture écrite, l’apprentissage du langage, de la motricité. « L’adulte doit se faire le commentateur de ce qui se passe dans la classe : mettre des mots, nommer, dire ».
Un dispositif social souvent dévoyé
Mais ces bienfaits de la scolarisation des moins de trois ans sont relatifs à la situation sociale des parents. Leur scolarisation passe par un dispositif , pas une classe ordinaire. « On a fait l’hypothèse que dans les milieux défavorisés les enfants peuvent cumuler les désavantages : ne pas avoir d’interaction en langue française, des parents qui ont une scolarité courte ou ratée, éloignés de la culture écrite, des conditions matérielles qui ne sont pas favorables au développement des activités des tout petits », explique V Bouysse. « Ces enfants défavorisés pour parvenir à une même préparation vont suivre un parcours de 4 ans à l’école maternelle au lieu de 3 ans ».
C’est cette question sociale que soulèvent les professeurs présents. A Paris, raconte une enseignante, un vademecum limite à 18 enfants le nombre d’élèves par classe en TPS et les enfants de milieu défavorisé ont la priorité.
Mais la situation est très différente dans lesHauts de Seine. Une directrice d’école raconte les pressions qu’elle subit pour les inscriptions. « La mairie inscrit tout le monde. Les parents qui travaillent ne comprennent pas qu’on donne la priorité à des enfants dont un des parents ne travaille pas… On a bien senti que c’est très politique. On voulait cadrer davantage , refuser les enfants d’élu ou de médecin, ne pas mettre de contractuel sur un poste en TPS. Mais on s’est senti seul sans volonté politique de porter ce projet ».
Une autre enseignante du 92 parle d’un dispositif « dévoyé ». « On accueille tous les enfants et donc essentiellement ceux qui ont des parents qui travaillent. Finalement on se rend compte que ceux qui bénéficient de cette année scolaire ne sont pas ceux qui en ont besoin ». Dans une commune du 78 une enseignante décrit une TPS à 29 enfants.
V Bouysse a rappelé que l’Inspection générale rendra compte d’une étude sur la scolarisation des moins de 3 ans à la rentrée prochaine. Mais une note de la Depp dresse un tableau assez sévère de la scolarisation des moins de trois ans.
Le bilan mitigé du quinquennat
11% des enfants de 2 ans sont scolarisés remarque cette Note de la Depp. Un taux atteint en 2012 et qui piétine depuis avec de légères oscillations, négative l’an dernier, positive à cette rentrée. On reste très loin des 35% du début du siècle. La situation est un peu meilleure en REP où 17% des enfants sont scolarisés et en REP+ où on atteint 22%.
Malgré tout, la carte des taux de scolarisation ne coincide pas avec celle de l’éducation prioritaire. Les taux les plus élevés sont dans l’ouest, le nord et la bordure du Massif central. On observe un faible taux de scolarisation en Ile de France par exemple alors que le nombre des REP est élevé. Le cas de la Seine Saint Denis est emblématique.
Les exceptions, à l’ouest et ailleurs, donnent à penser que les académies sont plus sensibles à la concurrence avec le privé qu’à l’urgence sociale. Parmi les facteurs qui expliquent cette situation il faut aussi citer la qualité de la scolarisation. Seulement 7% des enfants de moins de 3 ans sont scolarisés dans une classe spécifique. 93% sont mélangés avec des enfants plus agés dans des classes qui regroupent en moyenne 17 enfants. Cela doit probablement faire reculer des parents tant ces tout petits nécessitent une attention particulière.
La mobilisation des CAF appelées à l’aide par le ministère pour toucher les « bons » parents, est inégale ,explique V Bouysse. Dans certains départements elles ont ciblé les familles dans d’autres l’information sur la scolarisation des moins de trois ans a touché toutes les familles.
Une richesse pour l’école
Le bienfait de cette scolarisation très spécifique est aussi pour l’école. « La maitresse des moins de trois ans est une richesse pour l’école », explique une directrice d’école Rep. « Quand elle intervient dans les autres classes (pendant la sieste), elle sait y faire avec les enfants qui ont des difficultés de langage ». « La grande découverte de la TPS c’est que le professeur constate que sa parole est inefficace », explique V Bouysse. Plus qu’ailleurs, le professeur de TPS doit développer ses capacités d’observation et de recul. Enseigner aux moins de trois ans ce n’est pas rien.
François Jarraud