Comme en 2008, après la victoire de N Sarkozy, les SES vont se retrouver au coeur d’une polémique. La « bras de fer » annoncé le 9 janvier par le Café pédagogique se précise. Sous la houlette de Michel Pébereau, l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP), annonce deux colloques en janvier et février pour redresser l’enseignement des sciences économiques et sociales. Pour Erwan Le Nader, président de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses), « on ne peut que s’inquiéter pour les mois qui viennent ».
Une offensive commencée en 2008
« C’est la même histoire depuis des années », nous a dit Erwan Le Nader. Déjà en 2008, quelques mois après la victoire de N Sarkozy, deux rapports avaient été diligentés sur l’enseignement des sciences économiques et sociales (SES). Le premier avait déjà été rédigé par l’Académie des sciences morales et politiques sous la direction de Pierre André Chiappori. Il avait fustigé l’enseignement des SES le qualifiant « d’inadapté dans ses principes et biaisé dans la présentation, soit en fait néfaste ».
Ce rapport remis au ministre Xavier Darcos a également inspiré la commission Guesnerie réunie par le ministre pour réformer les programmes de SES. En 2010 ils sont fortement réorientés. Cela génère un conflit avec l’Apses qui s’oppose toujours à ces programmes.
» En avril 2016, l’Académie a décidé de renouveler l’exercice », annonce officiellement l’ASMP. « Comme en 2008, elle a demandé à des économistes internationaux d’examiner le programme et les manuels, chacun se penchant sur les ouvrages d’une maison d’édition différente ». Et les premiers rapports sont déjà publiés.
Les liens entre le MEDEF et l’ASMP
Entre la section « économie » de l’ASMP, présidée par Michel Pébereau et les milieux patronaux , les liens sont très étroits. La section est composée de Michel Pébereau, ancien conseiller de V Giscard d’Estaing, ancien président de la commission éducation du Medef et fondateur de l’Institut de l’Entreprise, un thinktank libéral très actif sur le terrain de l’éducation, Yvon Gattaz, ancien président du CNPF (rebaptisé Medef), Denis Kessler, vice président du Medef, Bertrand Collomb, PDG de Lafarge, Marcel Boiteux, dirigeant d’EDF, Jean Claude Casanova, conseiller de Raymond Barre, et Jean Tirole, président d’une association universitaire.
Le Medef ne fait pas lui même mystère de ses ambitions sur l’éducation. En novembre dernier il a déclaré : » les élections présidentielles à venir doivent être l’occasion de refonder en profondeur notre système éducatif ». C’est ce qu’il va tenter de faire et nul doute que l’ASMP l’y aide.
Des manuels au service des entreprises
L’ASMP a publié 6 premiers rapports critiques sur les manuels scolaires de SES. Les évaluations sont variables. Ainsi Olivier Blanchard, ancien économiste du FMI, qui a travaillé sur les manuels Bordas dit « je n’ai pas trouvé que les manuels reflétaient de biais idéologiques ». Ce qui donne quand même à penser qu’il les évaluait en ce sens. Kevin O Rourke, professeur à Oxford, qui a lu les manuels Hachette dit : « je serais heureux que nous ayons en Irlande quelque chose de moitié aussi bon ».
Par contre toutes les critiques vont dans le même sens. Ainsi Yann Costanlem, directeur de recherche à Citigroup, s’indigne d’un chapitre : » Est-on obligé de commencer ce chapitre par un exposé des théories marxistes « . Il les traque dans les 3 tomes pour se plaindre de la présence de cette théorie. Un peu plus loin il écrit : » Il paraît excessif de parler de « ségrégation scolaire » (D.1.b, page 289), comme si elle était orchestrée. Plutôt qu’opposer différentes catégories sociales, il nous semblerait plus judicieux de se pencher sur les lacunes réelles du système scolaire et du système social ». Et il termine son analyse par la promotion du programme « Personal Finance for K5 Learners » qui familiarise des écoliers américains à al gestion d’un compte en banque et avec « les fondamentaux de l’économie ».
Yann Costanlem estime aussi « si des changements radicaux étaient apportés aux programmes, le corps enseignant actuel ne serait pas forcément en mesure de les appliquer ». Il appelle à « épurer » l’enseignement donné. Un autre expert, Salvador Barbera, qui travaille sur le manuel Hatier, se réjouit : » Les programmes ont bien tenu compte des propositions des précédentes commissions (en 2008 NDLR), mais jusqu’à un certain point seulement. C’est encourageant et je pense que mes remarques viendront approfondir encore l’impact de ce qu’ont proposé mes prédécesseurs et qu’elles amèneront à poursuivre les efforts en ce sens ».
Les SES : Un enseignement du sens critique
Sur son blog, Claude Lelièvre rappelle les interventions de Michel Pébereau dès 2004 pour avoir un enseignement de l’économie favorable à l’entreprise. Le rapport de 2008 disait : » les programmes de SES au lycée donnent l’impression qu’un enseignement de ‘’problèmes politiques, économiques et sociaux contemporains’’ est dispensé aux élèves, plutôt qu’un enseignement de sciences sociales visant à leur faire acquérir les fondamentaux de l’économie et de la sociologie » Il leur reprochait de » se centrer beaucoup trop sur les problèmes sociaux contemporains (nouvelles pauvretés, renouveau et aggravation des inégalités) ».
« C’est la même histoire depuis des années », nous a dit Erwan Le Nader, président de l’Apses. « Les lobbys patronaux tirent à boulets rouges sur les SES. Le discours est le même : les SES seraient orientées et pas assez en faveur de l’entreprise. Mais notre enseignement est là pour faire comprendre l’entreprise pas pour la faire aimer. On a vocation à former l’esprit critique des élèves. Ce n’est pas en assénant des vérités toutes faites qu’on va y arriver.
L’entreprise est bien étudiée dans les programmes de SES depuis la seconde jusqu’en terminale. « Heureusement qu’on en parle », ajoute E Le Nader. « On parle de l’économie de marché mais apparemment pas de la manière qu’il faut pour M Pébereau ».
Histoire, SES, bientôt…
Actuellement une commission travaille au ministère sur la révision des programmes de SES. Elle est composée de représentants du Conseil supérieur des programmes et du Haut Conseil Education Economie dont vient de démissionner Michel Pébereau. L’Apses, qui réunit près de 2000 professeurs de SES sur un total de 5000, n’y siège pas.
Pour E Le Nader, l’offensive menée par Michel Pébereau et l’ASMP « est une atteinte grave à la neutralité de l’Ecole. Ils ont une influence et on ne peut que s’inquiéter pour les SES dans les mois qui viennent quand on entend des candidats qui souhaitent que les programmes scolaires soient rédigés par des académiciens », allusion au programme de François Fillon.
On savait les programmes d’histoire menacés d’une réécriture dans le sens du « récit national ». Une autre science sociale est maintenant sur la sellette. L’ASP a programmé deux colloques fin janvier et février 2017 pour mener son offensive.
François Jarraud