On découvre chaque jour des sites, des pages Facebook, des comptes twitter, LinkedIn ou autres qui s’intéressent aux TICE en éducation. C’est plutôt intéressant de voir cette multiplication, mais cela peut aussi poser quelques questions. Parmi celles-ci, et le Café Pédagogique n’y échappe pas, se pose la question de la pertinence des informations diffusées, du modèle éditorial et plus généralement de l’évolution du paysage informationnel dans ce domaine. De l’enseignant isolé à l’association, en passant par le syndicat ou l’entreprise, chacun y va et essaie de trouver sa place. Entre le propos militant, le journalisme situé, le propos personnel, ou simplement le relais d’infos, nous assistons à une recomposition de la médiation informationnelle, technologique autant qu’humaine.
Intermédiations
La question de l'(inter)médiation (dés-intermédiation et ré-intermédiation) n’est pas nouvelle, les chercheurs ont depuis plusieurs années exprimé combien cette question était vive. D’ailleurs ce terme est très lié au monde du marketing (cf. une recherche rapide sur les moteurs de recherche) mais il est aussi lié au monde de l’information communication. Des chercheurs ont posé la question depuis très longtemps dans le domaine de l’information et de la documentation. La proximité des deux champs de recherche est assez intéressante, comme on le verra plus loin, même si notre propos porte plutôt sur le domaine de l’information communication, en lien avec les sciences de l’éducation.
Pour situer de manière globale la question, on peut la reformuler ainsi : quelle est la nature et la forme du lien qui relie deux éléments, qu’ils soient des faits, des matériels, des humains, individuels ou collectifs ? Lorsqu’un enfant pose une question, il cherche dans son environnement des éléments de réponse. Si parfois ils sont directement disponibles dans son environnement immédiat, parfois un « tiers » (humain ou machine) vient les lui apporter. Quand un élève effectue un travail et qu’il butte sur un obstacle, il va chercher un moyen de le dépasser et donc rechercher un intermédiaire. Quand un conflit apparaît entre deux humains, on tente parfois de trouver une médiation pour le dépasser. Sur le web, les liens sont aussi devenus humains en plus d’être hypertextes. Les deux formes de liens coexistent désormais. Ce sont ces nouvelles formes de médiations qui changent l’environnement de socialisation mais aussi d’apprentissage.
Evaluer la médiation
En approfondissant le questionnement, on interroge bien sûr la « qualité » du lien, de la médiation, la fiabilité de la réponse. Lorsque je vais sur un site, il est souvent difficile de faire l’analyse. La multiplication récente de pages web sur la vérification des informations est révélatrice d’une question vive, mais les réponses apportées sont souvent bien rudimentaires ou tout au moins bien simples en regard de la complexité à laquelle chacun est confronté sans le savoir. L’accès direct et rapide à une information, une réponse, n’est pas un signe de pertinence ou de fiabilité de celle-ci. La multiplication des informations de première main s’ajoute à celle des liens vers et entre informations. Quand quelqu’un argumente à partir d’une émission vue à la télévision, on ne peut que s’interroger sur sa capacité d’analyse critique d’une telle source, en tant qu’intermédiaire. Quand on fait une recherche sur le web, on s’aperçoit vite de la nécessité d’identifier les intermédiations en place. Si je trouve un lien scoop-it, par exemple, il me faut évaluer la qualité de l’auteur de ces liens, puis la qualité du document mis en lien. Il n’est pas rare de constater que ces liens pointent sur des informations elles-mêmes extraites d’autres sources. D’aucuns parlent d’esprit critique, mais ce n’en est qu’une partie.
Comment alors évaluer, non l’information, mais la médiation, l’intermédiation ? Si celle-ci est technique (algorithme d’un moteur de recherche), il sera difficile de connaître réellement la valeur de l’information si on ne dispose pas des clés de lecture (technique en particulier). Si celle-ci est humaine, il faudra identifier la personne, la qualifier (curriculum, action, militantisme etc.…) et surtout comprendre d’où elle parle. Car une information n’est jamais que la transformation d’un fait en signe. Aussi nous percevons le signe, il nous faut encore le décrypter pour percevoir l’information qu’il porte et d’où elle vient. Information étant ici considéré aussi bien comme le support que le contenu, le sens.
Quelle place pour l’enseignant ?
Celui qui émet de l’information a donc une forte responsabilité dans la manière dont il en « autorise » la réception. L’enseignant est bien sûr habitué à cette question quand il est face à des élèves qui ne comprennent pas ce qu’il tente de leur faire apprendre. Dès que l’on est à distance, ou au moins en asynchrone, il y a un changement important qui se produit. Il est difficile de percevoir l’incompréhension, il faudrait donc l’anticiper, mais cela est presqu’impossible. Il est difficile d’intervenir en direct donc il faut trouver des médiations instrumentales (système d’aide, liens vers des ressources complémentaires, vidéos explicatives etc.…). Cela signifie que l’enseignant qui veut utiliser le web pour proposer des activités d’apprentissage doit éviter l’écueil que constitue le puit sans fond qu’est le web. Pour cela il doit se poser en « inter-médiateur » et non pas intermédiaire. En d’autres termes cela signifie qu’il ne suffit pas de mettre des liens vers des ressources, il faut les qualifier, les sélectionner. Ce rôle qu’imposent les dispositifs à distance ou hybrides concerne chacun. La qualification des ressources est une qualité importante de l’autodidacte. C’est à partir de là qu’il va construire ses connaissances. Or les deux mondes évoqués plus haut s’affrontent : celui du marketing et celui de l’information documentation. Chacun à ses logiques, mais surtout ses finalités.
Si le monde scolaire veut former les futurs citoyens, il ne pourra éviter d’interroger la légitimité de l’intermédiaire dans ce contexte de moyens numériques omniprésents et de marchandisation croissante du quotidien. Rechercher, qualifier, veiller sont trois verbes clés pour donner au citoyen l’autonomie dont il a besoin pour utiliser au mieux cet environnement. Cela doit lui permettre de comprendre ces mécanismes d’intermédiation et de les utiliser pour son propre développement personnel. Ne plus s’en remettre aux seuls enseignants devrait être un objectif constant des systèmes éducatifs. C’est pourquoi, dans les années à venir, il faudra réinterroger la place des professionnels de l’enseignement dans la circulation des savoirs et dans leur transmission. N’en déplaise à certains, le contexte continue d’évoluer. On peut regretter le passé, il était effectivement plus rassurant, plus facile, car limité. La responsabilité éducative impose aujourd’hui aux équipes de mener une réflexion de fond sur les médiations de toutes natures et en particulier sur la place des enseignants (et autres personnels éducatifs) dans ces médiations.
Bruno Devauchelle
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Références bibliographiques à propos de la médiation :
Mémoire ENSSIB : Stéphanie Espaignet, Ramatoulaye Fofana, Amélia Laurenceau, « Pertinence de l’idée de désintermédiation documentaire », 2003
Britt-Mari Barth, « Elève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs », éditions Retz, 2013
Daniel Peraya, colloque de Gresec Grenoble 2008 :
Daniel Peraya, « La formation à distance : un dispositif de formation et de communication médiatisées. Une approche des processus de médiatisation et de médiation. » Technologies Développement Recherche, 2005, no. 0a, http://archive-ouverte.unige.ch/unige:17647