Et si la démocratisation scolaire n’était qu’un leurre ? Pire si elle contribuait à aggraver les inégalités ? Et si elle pervertissait le rapport éducatif ? Dans la droite ligne des travaux de Bourdieu, Séverine Chauvel défend ces thèses dans un petit livre bien enlevé. Elle y apporte des éclairages originaux tirés de ses travaux, par exemple sur l’orientation des élèves.
« Bien que justifié par les politiques d’adaptation au monde économique, l’impératif de certification pour tous n’atteint pas les objectifs visés comme la réduction des inégalités sociales ou la baisse du chômage des jeunes. Au final qui sont les perdants de cette course aux diplômes ? » Séverine Chauvel, maitresse de conférences à l’Université de Paris Est Créteil, a beaucoup travaillé sur les inégalités scolaires y compris les inégalités ethniques.
Aller au delà de la démocratisation ratée de l’Ecole
Ce petit livre reprend à la fois des thèses bien connues, qui se situent dans la lignée des travaux de Bourdieu, et les résultats de travaux originaux issus de ses propres recherches.
S Chauvel s’attache à montre d’abord qu’il n’y a pas démocratisation scolaire mais une massification de plus en plus ségrégative, ou , comme dit P Merle, une démocratisation ségrégative. « L’augmentation du nombre de diplômés génère une hiérarchisation des filières », écrit-elle « qui renforce les inégalités entre les élèves ». Finalement les enfants des bonnes familles finissent toujours par s’en sortir notamment parce qu’ils possèdent d’autres biens que les diplômes, comme des capitaux culturels (relations, manières, références).
La thèse est discutable puisqu’il y a bien un lien entre insertion sociale et diplomation. Mais l’originalité du livre de S Chauvel c’est d’aller au delà. En amont elle montre comment se construit la ségrégation notamment dans l’orientation. En aval elle s’attache à monter les conséquences sur els élèves et l’école de la course aux diplômes. Ce sont ces parties là du livre que nous voulons privilégier.
L’orientation outil de construction des inégalités
Ainsi S Chauvel a observé dans deux collèges de Seine Saint Denis le processus d’orientation des élèves. Elle montre que la logique de dialogue avec les familles allant jusqu’au droit d’appel de la décision, voire de choix des familles, se retourne finalement contre elles. Au final, les enseignants ont intégré les principes sélectifs et les familles ne peuvent que s’en prendre à elles mêmes si l’orientation ne leur réussit pas. Elle montre aussi que les conditions les plus dures sont réservées aux élèves qui sont orientés en voie professionnelle. A l’intérieur de cette voie s’établit une hiérarchie encore plus dure qu’entre les voies. Le résultat c’est que les élèves non affectés sont ceux d ela voie professionnelle. Et qu’un pourcentage important des élèves n’a pas la filière demandée.
Depuis que le livre a été écrit, on sait que le ministère tente de rééquilibrer les choses en offrant un second tour d’affectation à la Toussaint depuis cette année. Mais au final il n’aurait concerné que 3 000 jeunes qui n’ont pas forcément obtenu mieux puisque les régles d’affectation sont les mêmes qu’en juin…
L’effet de la course aux diplômes sur l’Ecole
L’ouvrage offre aussi un regard original sur le décrochage. En se basant sur des travaux récents, il montre que le décrochage se situe dans une vie d’élève où il n’est pas forcément une rupture. Il peut être une réponse logique à une situation temporaire. D’autre part les sans diplômes peuvent aussi dans certains branches trouver plus facilement du travail que les diplômés. La limite du raisonnement c’est que ces exceptions ne méritent probablement pas généralisation…
Une troisième partie intéressante concerne les effets de la course aux diplomes sur l’Ecole. Pour S Chauvel l’introduction des compétences à atteindre dans les enseignements vient contrarier la transmission des connaissances. L’Ecole ne vise plus qu’à produire des diplômés pour limiter le chomage et cela lui ferait perdre de vue ses objectifs de transmission culturelle. Cette relégation des savoirs au second plan contribuerait à la fabrication des inégalités.
S Chauvel appuie son analyse sur les travaux de Rocheix, Rayou, Bautier qui montrent l’étendue des malentendus dans les enseignements. « Les élèves des milieux populaires se conforment aux consignes des enseignants sans s’engager dans une véritable appropriation des savoirs ». Et les ateliers de remédiation , toujours situés hors la classe, n’améliorent pas les choses.
Quels remèdes ?
Quels remèdes voit-elle ? S Chauvel en indique trois. Le premier c’est une allocation universelle décente à 16 ans pour que les élèves puissent continuer leurs études l’esprit tranquille. Le second c’est de favoriser l’enseignement explicite pour réduire la part des malentendus. Le troisième serait « de véritables mesures de compensation des difficultés économiques et sociales « . On reconnaitra à l’ouvrage de faire sa part à la pédagogie. Car, S Chauvel ne l’a pas montré, mais la malédiction de la démocratisation inachevée n’est que relative. Les établissements défavorisés ne produisent pas tous les mêmes résultats scolaires même si l’effort qui leur est consenti semble globalement trop maigre.
François Jarraud
Séverine Chauvel, Course aux diplômes : qui sont les perdants ? , Textuel, ISBN 978-2-84597-528-6.
Le tabou de la discrimination ethnique à l’école enfin levé ?