Par François Jarraud
Alors que le Sénat commence l’examen de la loi d’orientation, la Cour des comptes débarque dans le débat avec un rapport publié le 22 mai. Elle critique avec force la gestion des enseignants qu’elle juge inefficace et coûteuse. Elle estime qu’il est possible d’effectuer d’importantes économies en annualisant le service des enseignants et en instaurant la bivalence dans le secondaire. Ces thèmes, portés par la droite dans le passé, pourraient mettre en difficulté Vincent Peillon dont la majorité au Sénat est fragile.
Pour Didier Migaud, président de la Cour des comptes, « l’éducation nationale ne souffre pas d’un manque de moyens ou d’un nombre trop faible d’enseignants, mais d’une utilisation défaillante des moyens existants.. Ce qui est en cause ce n’est pas le nombre d’enseignants mais la façon dont ils sont employés ». La Cour souligne l’écart entre le statut des enseignants, daté de 1950, basé sur les seules heures d’enseignement, et le métier réel qui comprend bien d’autres tâches qui ne sont pas rémunérées. Ce défaut de gestion est aggravé par le fait que l’éducation nationale est incapable de gérer son personnel de façon personnalisée.
Et ce sont les enfants des quartiers populaires puis les professeurs qui payent la casse, estime le rapport. » La répartition des professeurs expérimentés sur le territoire privilégie le sud, la façade atlantique et Paris, sans lien avec les besoins des élèves. La première affectation des enseignants se fait, pour les deux tiers d’entre eux, sur des postes de remplacement ou des postes difficiles pour lesquels, au contraire, une solide expérience pédagogique et un recrutement sur profil seraient bien plus efficaces. La difficulté de l’exercice des fonctions dans ces établissements n’est reconnue ni par un aménagement des conditions de travail et des obligations de service, ni par un complément de rémunération suffisant. La prime accordée aux enseignants de l’éducation prioritaire est trop faible pour compenser la difficulté de ces postes ». Elle souligne aussi l’absence de carrière et la minceur des salaires des enseignants français (niveau 35% plus faible que le salaire des autres fonctionnaires, de 30% inférieur à la moyenne européenne).
Rompre avec les décrets de 1950
La Cour entend enterrer définitivement le statut de 1950 pour dégager d’importants moyens, affirmer le principe hiérarchique gage d’efficacité et créer les éléments d’une carrière.
La Cour recommande de laisser les directeurs et chefs d’établissement choisir leurs enseignants pour assurer de meilleures affectations avec des concours de recrutement régionaux. Elle veut aussi donner aux chefs d’établissements et directeurs la capacité de moduler les obligations de service. Implicitement cela signifie aussi que le statut des directeurs d’école change. Elle veut aussi créer une hiérarchie intermédiaire qui permette d’offrir une carrière aux enseignants. La Cour s’inspire de l’exemple de l’Ontario où existent des postes de coordonnateurs, de « leaders », de conseillers pédagogiques qui encadrent les enseignants ordinaires.
Enfin la Cour fait référence aux décrets Robien de 2007 annulés avant d’être entrés en fonction. Robien voulait supprimer les décharges liées au statut de 1950 récupérant ainsi des milliers d’emplois.
Bivalence et annualisation
La Cour recommande la bivalence dans le secondaire en mettant en avant l’exemple allemand. Pour elle, cela pourrait rapporter immédiatement 2482 postes.
Mais c’est l’annualisation qui est présentée comme la réforme principale. L’annualisation consiste à passer d’obligations hebdomadaires (18 heures de cours par exemple) à un nombre d’heures dues annuellement. Pour la Cour cela permettrait de reconnaitre des tâches qui ne sont pas rémunérées aujourd’hui. Par exemple pour le fonctionnement de l’équipe pédagogique. La Cour relève justement qu’il y a beaucoup d’hypocrisie dans le fait de parler d’équipe sans lui donner les moyens d’exister. Mais l’annualisation sert surtout à récupérer un nombre important d’heures perdues. Les gains les plus importants peuvent être attendus dans le technologique et le professionnel où les élèves partent en stage en entreprise. Tout ce temps serait récupéré pour l’enseignement. Ailleurs on récupérerait assez de moyens pour faire face aux remplacements. Les TZR astreints à l’annualisation pourraient faire semaine double ou triple dans les semaines où beaucoup d’enseignants sont malades et être libres sur les mois où la demande est faible. « L’annualisation du temps de service conduirait à dégager d’importantes économies de postes. Cela faciliterait grandement l’organisation des activités scolaires en particulier les remplacements », affirme le rapport.
Ce sont les gains réalisés qui permettraient de relever les salaires des enseignants car la Cour inscrit explicitement qu’il faut lier toute revalorisation aux gains de gestion.
La réponse de Peillon
Dans sa réponse à la Cour, V Peillon reconnaît bien que « la bonne gestion des personnels enseignants est une condition indispensable à la réalisation d’une politique éducative ambitieuse » et remercie la Cour pour son travail. Mais il s’écarte de la logique de la Cour en soulevant le fait que c’est la hausse importante des pensions qui explique la hausse des moyens.
Sur la redéfinition du métier enseignant, V Peillon assure s’y engager mais « le dialogue social et une véritable concertation avec les personnels éducatifs » sont « une condition essentielle à leur réussite comme le montrent les échecs des précédentes réformes ».
Les syndicats entre joie et rejet
« Le Sgen-CFDT se réjouit que la Cour des Comptes étrille la gestion des personnels enseignants », affirme d’emblée le syndicat qui y retrouve ses analyses. « Parce qu’elle ne comptabilise que les heures de cours, l’Éducation nationale s’est interdit une politique éducative adaptée aux besoins des élèves. Parce qu’elle ne reconnaît que le travail en classe, elle a ignoré des pans entiers du travail des enseignants, et notamment le travail en équipe. Parce qu’elle n’a pas su s’adapter à la massification de l’École, elle a privé ses agents de rémunérations incitatives, de formation adaptée comme de réelles perspectives de carrière », souligne le Sgen. Mais la Cour « a tort d’entretenir la confusion entre l’annualisation du temps de travail – laquelle est déjà excessive à cause du calendrier scolaire – et la différenciation du service en cours d’année, qui peut être une piste intéressante de transformation de l’école ».
Le Se-Unsa voit également dans ce rapport des points positifs. « Beaucoup de ces propositions sont pour le SE-Unsa des pistes intéressantes. Les magistrats pointent, par exemple, la non prise en compte dans les obligations de service de tous les temps « hors classe ». Mettre en place des mesures incitatives pour rendre certains postes plus attractifs ou moduler le temps d’enseignement des enseignants en fonction de leur poste ou des difficultés du public peuvent également ouvrir des perspectives ». Mais le se-unsa se démarque du reste et particulièrement de l’annualisation » que nous refusons avec énergie ».
La Fsu voit dans le rapport un remake des rapports Chatel. » Au lieu de s’intéresser à la question de la formation des enseignants afin de travailler à la réussite de tous les élèves, le rapport préconise une gestion opposant les enseignants entre eux et entérinant l’idée d’objectifs différents selon les élèves et les territoires scolaires », écrit la Fsu. » Que cherche la cour des comptes ? », contre-attaque le syndicat. « Justifier les 80 000 emplois supprimés les 5 dernières années , remettre en cause les 60 000 créations de postes prévues ?? »
Plus que ses propositions, c’est bien le calendrier de la publication de ce rapport qui interroge. En plein débat sur la loi d’orientation il donne raison aux adversaires de la loi au moment où celle-ci est à la peine dans un Sénat où l’écart entre droite et gauche est faible.
François Jarraud
Le rapport
http://www.ccomptes.fr/index.php/content/download/55807/1446179/ver[…]
La Fsu
http://w3.fsu.fr/Cour-des-comptes-un-rapport-a-la.html
Le se unsa
http://www.se-unsa.org/spip.php?article5718
Le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des enseignants est apparu comme une mis en cause directe de la politique gouvernementale. Proche du PS, le thinktank Terra Nova propose, sous la plume de Jean-Louis Auduc, une réponse qui propose une autre gestion des enseignants permettant de répondre aux exigences de la refondation.
« Le rapport de la Cour des comptes est intéressant par ses analyses et ses propositions », affirme Jean-Louis Auduc, auteur de l’étude de Terra Nova sur la gestion des enseignants. « Mais son approche, trop exclusivement gestionnaire, néglige le lien avec les domaines pédagogique et éducatif ». L’étude de JL Auduc reprend les principaux points du rapport pour intervenir surtout sur trois points : le métier d’enseignant, sa revalorisation, la gestion des affectations.
Redéfinir le métier d’enseignant
» La Cour des comptes a raison dans son rapport de démarrer sur la nécessaire redéfinition du métier enseignant en lien avec les enjeux du 21e siècle et sur l’impérative nécessité « d’accorder les obligations de service aux missions définies par la loi » », écrit JL Auduc. » La mission des enseignants ne s’arrête pas seulement à ce qui se passe dans la classe (bien que la transmission de savoirs soit le coeur de métier, car c’est dessus que l’enseignant appuie sa légitimité) mais plus largement à l’ensemble des dimensions de la relation éducative. Pour cela, l’enseignant doit se voir reconnaître son implication dans des projets pédagogiques, et être responsable de projets liés à la dynamique de l’établissement. Il faut également donner, reconnaître et bloquer des heures pour le travail collectif, les relations avec les familles, le suivi personnalisé des élèves (tutorat), le travail d’orientation, l’aide au devoir… » Il propose par exemple d’intégrer l’ISOE, liée à l’orientation des élèves, dans le salaire.
Revaloriser le métier
Le rapport relève l’écart de niveau des salaires des enseignants français par rapport à leurs collègues européens (-15 à -20%). » Les salaires et la carrière enseignante ne sont plus aujourd’hui à la hauteur des qualifications requises. Intégrer dans le salaire de base de tout enseignant les primes et indemnités correspondant aux tâches effectuées dans l’établissement scolaire par tout enseignant dans le cadre du suivi des élèves pourrait être une piste », estime JL Auduc. Peut-être plus intéressant, JLAuduc demande aussi une revalorisation morale des enseignants. » Pourquoi ne pas proposer des responsabilités différenciées aux enseignants dans l’établissement (accueil des stagiaires, coordination disciplinaire pédagogique, coordination de niveaux, liaison avec les écoles, avec l’université…) ? Ceux-ci pourraient ainsi se sentir pleinement acteurs de leur établissement et pas seulement sujets. Ces délégations de pouvoir accordées à des enseignants pourraient être définies en conseil pédagogique et validées par le conseil d’administration ».
Affecter en zone prioritaire
On touche là un baton de dynamite capable de faire sauter le système. La Cour a relevé le fait que les enseignants débutants alimentaient systématiquement les établissements prioritaires au détriment de ces élèves. « Toutes les propositions faites depuis 30 ans ont échoué » estime JL Auduc, écartant ainsi l’idée d’une prime. » Pourquoi ne pas essayer pour combattre cette situation de favoriser des services partagés en éducation prioritaire. L’enseignant affecté en établissement « jugé difficile » serait prioritaire pour des services partagés à mi-temps à l’université, en ESPE, en collège, en lycée de centre-ville, voire en classes post-bac, sur des postes à profil hors barème. Cette situation permettrait sans doute de retenir des enseignants reconnus compétents dans ces établissements, alors qu’aujourd’hui, pour accéder à une « carrière », il faut « fuir » les établissements d’éducation prioritaire ». JL Auduc souhaite aussi encourager la présence de PLP bivalents dans les collèges.
Ces propositions peuvent aider le gouvernement à apporter une réponse aux questions posées par le rapport de la Cour des comptes.
François Jarraud
Etude Terra Nova
http://www.tnova.fr/note/g-rer-les-enseignants-autrement-un-diagnos[…]
Réuni le 6 janvier, le Conseil supérieur de l’éducation a adopté le « référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation ». C’est sur ce texte que les formations des ESPE vont s’appuyer. Il est donc fondateur à ce titre mais aussi parce qu’il définit des points communs à tous les métiers de l’éducation. Le texte retenu, adopté par 29 voix contre 3, fait presque consensus dans le monde enseignant.
Le référentiel met l’accent sur la professionnalité du métier et réunit pour la première fois tous les métiers de l’éducation. Il distingue 14 compétences communes à tous les métiers de l’éducation, 5 propres aux professeurs, 4 propres aux professeurs documentalistes et 8 pour les CPE. Un point reste à trancher dans le futur texte : la référence aux compétences européennes qui divise encore les syndicats.
Le projet de texte (document de travail non définitif)
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/compete[…]
De récents textes et études sur les heures supplémentaires, l’accueil des candidats des concours 2014.
Enseigner à l’étranger
Partir un an comme professeur à l’étranger, c’est possible. Une circulaire précise les modalités et aussi les retombées professionnelles.
Au BO
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=72127
Les heures supplémentaires dans le second degré
« 73%des professeurs du second degré ont effectué au moins une heure supplémentaire année par semaine (HSA) dans les collèges et les lycées publics de France métropolitaine et des Dom tout au long de l’année scolaire 2011-2012 », affirme une nouvelle étude de la Depp (ministère). « En cinq ans, leur nombre n’a cessé de croître, compensant partiellement la baisse des effectifs d’enseignants face à un nombre d’élèves stable. Aussi, les enseignants en poste ont-ils été davantage sollicités dans les différents niveaux d’enseignement. Très largement diffusées en post-bac (près de 90%des enseignants), les HSA y sont aussi plus nombreuses : les enseignants concernés en ont fait plus de trois heures hebdomadaires en moyenne, pour un peu plus de deux heures en lycée pré-bac et professionnel et un peu moins de deux heures en collège. Les HSA sont moins courantes parmi les jeunes enseignants : 56% en ont effectué ».
L’étude
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/88/1/DEPP_NI_20[…]
Le ministère organise l’accueil des candidats admissibles aux concours exceptionnels de 2014
Une circulaire publiée au B.O. indique les modalités d’organisation de la rentrée des candidats reçus à la session exceptionnelle des concours 2014. » Les candidats admissibles de la session exceptionnelle doivent bénéficier d’une entrée progressive dans le métier d’enseignant. L’année 2013/2014 doit leur permettre de terminer leur master mais vous devez veiller à les préparer également à leurs futures missions par une formation alternée composée d’une expérience de l’enseignement réalisée dans le cadre d’un contrat à temps incomplet et d’actions de formation professionnalisantes organisées par l’établissement d’enseignement supérieur en charge de la formation des maîtres de votre académie », indiqu ele B.O.
» Vous veillerez à affecter les contractuels suivant une formation universitaire de master au plus près de leur établissement d’enseignement supérieur ou, à défaut, de leur domicile », précise le texte. « Dans le premier degré, comme dans le second degré, vous veillerez, dans toute la mesure du possible, à ne pas affecter ces contractuels dans les écoles ou établissements scolaires les plus difficiles. Enfin, ils bénéficieront de l’accompagnement d’un tuteur ». Le texte rappelle aussi le temps de service (un tiers temps) et la rémunération : 854 euros bruts.
La circulaire
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=71923
Sur le site du Café
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