A l’aube de cette rentrée, Gardy BERTILI, dans sa réflexion du mois, interroge le travail en équipe des Conseillers Principaux d’Education. Comment le rendre plus efficace dans l’intérêt du service ? Comment partager et assumer à deux ou à plusieurs le rôle de chef de service sans que les uns cherchent à empiéter sur les missions, les responsabilités des autres.
DIRIGER A PLUSIEURS CPE UNE EQUIPE ET LE SERVICE DE VIE SCOLAIRE
Qui affirmait que la fonction fait l’homme ? Et combien de fois n’avons-nous pas entendu l’adage suivant : « il y a autant de façons d’exercer les fonctions de CPE qu’il existe de CPE » . Ou encore celui-ci : « la personnalité du CPE induit la posture professionnelle ». Tous ces adages recèlent probablement une certaine vérité, et il est d’usage de dire qu’il n’y a point de fumée sans feu.
Le problème est que ces adages, ces affirmations ne sont vérités que lorsque le CPE exerce seul sa fonction, en d’autres termes lorsqu’il est le seul professionnel de sa catégorie. Il peut effectivement diriger, orienter, penser le fonctionnement, la gestion de l’équipe vie scolaire, mettre en place comme il l’entend le suivi des élèves, ses relations avec les personnels, il peut s’impliquer à sa guise. Mais les données ne sont plus les mêmes lorsque plusieurs CPE doivent collaborer. Et si la personnalité fait la fonction, alors plus il y a de personnalités plus il y a de façons de diriger la vie scolaire. Est-ce une réalité ?
LE NOMBRE NE SIGNIFIE PAS FORCEMENT L’EFFICACITE
Et c’est bien là le problème. J’ai encore en écho l’affirmation d’un de mes chefs d’établissement qui m’a souvent expliqué que 1 CPE + 1 CPE ne font pas deux mais 1 et demi, 2 CPE + 1CPE font 2 CPE ½, ainsi de suite. Il y a un peu de caricature ou de l’excès dans de telles affirmations, mais il ne faut pas y voir que de la malice. Quelquefois, nous sombrons dans cette caricature tant nous sommes dépassés par notre incapacité à gérer cette richesse que devrait représenter le travail en équipe. Il ne s’agit pas de se renier, de renier ses valeurs, son éthique, il ne s’agit pas de faire les frais, mais de placer en sourdine son ego, de s’abstraire de ses idéologies, de mettre en veille son égoïsme, sa « volonté de puissance » pour faire équipe. Faire équipe suppose que chacun abandonne une partie de soi, une partie de sa puissance , que chacun pratique la religion de la patience pour unir les forces, les vues, les conceptions, pour prendre en compte les désirs. Chacun se doit d’être humble pour profiter de la richesse des autres.
A deux, une difficile vie de couple, à plus de deux l’équation se complexifie davantage
Tous les paramètres, tout le psychodrame de la vie de couple se réunissent dès qu’il s’agit de diriger à deux ou plus. Qui joue le beau rôle, qui joue le méchant ? De la passion, de l’ego, de la jalousie, de l’amour, de la psychologie, de l’admiration, de la tendresse, de la méchanceté, de la répulsion, de l’humeur, tout y est. Il faut donc construire et trouver le juste équilibre. Celui-ci est d’autant plus difficile à trouver que manque souvent le temps de la découverte, de la concertation, de la mise en commun, du débat. Notamment lorsque la stabilité fait défaut (ventilation de TZR, mutations, etc…).
Il faut apprendre à vivre ensemble et trouver très rapidement les bases de l’entente et de la vision commune. Comment s’entendre, se parler, se concerter pour mettre en cohérence, en cohésion la direction de l’équipe vie scolaire. Lorsque l’on sait combien l’égo, le sentiment de puissance, al volonté de domination, le désir d’avoir la satisfaction de ses chefs, le plaisir de se faire plaisir, la jalousie, l’envie de plaire aux élèves et aux enseignants peuvent être des paramètres qui font mouvoir nos collègues, il est aisé d’imaginer combien les susceptibilités et le désir de puissance peuvent occulter ou prendre le pas sur un nécessaire travail en équipe. Or, il est impossible de travailler ensemble sans que chacun ne mette un « peau d’eau dans son vin », accepte les compromis, révise ses convictions et certitudes pour tenter d’entrer en relation avec l’autre, pour s’ouvrir, pour accepter d’autres pratiques.
Il n’est jamais facile de s’installer dans une pratique établie, un regard neuf se rend immédiatement compte des dysfonctionnements. Et surtout lorsque l’on est jeune CPE, on est encore bercé de plein d’illusions, de désirs, on a envie de mettre en place ce que l’on a vu fonctionner ailleurs, on a le désir de faire bouger les choses. Or la transférabilité et la faisabilité ne sont pas toujours possibles, voire souhaitables. Néanmoins il faut savoir faire preuve et acte de patience, d’écoute. Il faut apprendre à faire abstraction de tout ce qui vous est raconté (même s’il faut entendre et prendre en considération ce que l’on vous dit pour vous protéger) et juger par soi-même. Mais il faut s’imprégner de l’histoire de l’établissement, les grandes comme les petites et ces dernières permettent notamment de comprendre bien de choses : les enjeux de pouvoirs entre les uns et les autres, les forces en présence, les manœuvres, le difficultés, les rouages, les obstacles à surmonter. Et il faut se dire que l’on n’est pas Zorro, si les choses sont ainsi c’est sans doute qu’il existe des explications. Et ce n’est pas en un an que l’on fera bouger les résistances, les inerties. Cela n’empêche pas que l’on engage son dynamisme, que l’on soit force de propositions, que l’on puisse peser sur le fonctionnement, faire bouger les lourdeurs, donner un coup d’accélération à certains projets, mais il faut y aller avec douceur pour éviter les blocages, les freins, pour parvenir à faire avancer en construisant positivement.
JEUNES COLLEGUES…NE SOYEZ PAS DES ZORROS !
Les CPE comme les enseignants sortants d’IUFM arrivent souvent avec beaucoup d’idées, de concepts, d’illusions, c’est très bien ainsi . Heureusement la jeunesse est porteuse de rêves, d’espoirs, de dynamisme, mais il faut veiller à ce que tous ces atouts ne se transforment pas en épines. Il ne faut pas chercher à discréditer ou à court-circuiter l’ancien collègue qui a dû ou su travailler pour construire sa place, qui est reconnu par ses pairs. Il ne sert à rien de critiquer, de « descendre » son collègue ancien ou nouveau avec les personnels, les assistants d’éducation ou avec la direction. La démagogie d’un jour pour attirer l’attention ou l’amour de ses collègues ne signifie pas que l’on est considéré, que l’on est reconnu, que l’embellie existera toujours. On construit sa place, on construit pas à pas sa reconnaissance, on se montre à l’écoute, on s’implique, on s’imprègne vite, on développe des compétences, et ce n’est qu’ainsi que l’on est accepté, reconnu, autant par les élèves que par les pairs.
CHEF DE SERVICE, EST-CE UNE NOTION INUTILE ?
Tordons le coup à une illusion, l’équipe vie scolaire étant composée d’adultes, ils sont de fait responsables raisonnables, et éducateurs, il faut les laisser agir par eux-mêmes. Par expérience, et tous les « vieux » CPE le savent pertinemment, cette certitude n’est malheureusement qu’une illusion. Comme toute équipe, les personnalités divergent, les motivations ne sont pas les mêmes, les ruses existent. Il faut donc encadrer, veiller, recadrer, et notamment mettre de la distance. Et plus on est jeune CPE, plus il faut mettre de la distance parce que l’on a souvent le même âge que ceux dont on est le chef de service. Et l’illusion qui consiste à croire que l’on peut cultiver la proximité, faire la fête ensemble, partager les mêmes modes vestimentaires et/ou culturels et exercer une fonction d’autorité est souvent mise à mal par le poids des responsabilités et avec les années. Les assistants d’éducation ont besoin de repères, et s’ils ne doivent pas être rigides mais il ne peut y avoir confusion de rôles et des postures. Et lorsque l’on arrive dans un établissement, et quoiqu’il en soit des convictions, il vaut mieux se mettre d’accord avec le ou les CPE sur la posture en vigueur dans l’établissement. Sinon, tôt ou tard, ce sera la contradiction et la cacophonie . Celui qui arrive et qui se fait tutoyer, qui cultive la proximité, apparaît comme le gentil, le « fashion », le moderne. A contrario, celui qui vouvoie, qui adopte une posture différente, qui met de la distance est qualifié de ringard, c’est l’empêcheur de tourner en rond. C’est bien dommage !
QUELLES VALEURS ET QUELLE ETHIQUE ?
Un conseiller principal d’éducation est un cadre de catégorie A, il est conseiller technique, il est réputé jouir d’une expertise en matière d’éducation sans en être le seul spécialiste et il doit posséder sens des responsabilités. Il ne peut faire fi de certaines valeurs fondamentales. Non seulement les valeurs d’écoute, de respect de l’autre, de compréhension, d’empathie, de solidarité doivent animer l’équipe des CPE pour pouvoir être en phase, faire preuve de cohésion et de cohérence mais l’éthique veut que l’on respecte l’autre, que l’on ne cherche pas à imposer ses pratiques et ses idéaux.
FAIRE COHABITER L’EXPERIENCE CPE CONFIRMEE ET LES DOUCES ILLUSIONS DU JEUNE CPE
L’une des difficultés réside au stade de cette cohabitation. Comment concilier l’expérience et les illusions, comment faire cohabiter l’expérience qui peut blaser, désabuser et le regard neuf qui veut combattre les dysfonctionnements, insuffler de nouvelles habitudes, mettre du dynamisme là où tout semble plat ? Il faut que le CPE déjà confirmé, qui a ses habitudes, qui est reconnu se fasse violence pour ne pas étouffer le nouveau, pour ne pas chercher à le mouler, pour lui laisser ses marges de manœuvre et d’initiatives. Il n’est pas un tuteur mais un simple collègue. Certes, il peut prodiguer des conseils mais il doit veiller constamment à rester dans son rôle de collègue, ce qui peut sembler difficile pour certains. De même, le collègue qui arrive ne doit pas chercher à supplanter, à concurrencer, à défaire ce qui est établi, il doit trouver sa juste place au sein de l’équipe sans provoquer des troubles inutiles. Pour peu que les personnalités se révèlent sulfureuses, elles peuvent devenir incompatibles et scléroser le fonctionnement ou entraver la bonne marche du service de vie scolaire. Un regard neuf perturbe comme peut perturber le sentiment de ne pas pouvoir assumer pleinement son rôle, ou de ne pas pouvoir mettre en œuvre ce qu’on a toujours rêvé de réaliser. Or, le travail à deux et à plusieurs nécessite irrémédiablement compromis, compréhension, ouverture d’esprit. Pour que règne une bonne ambiance personne ne doit chercher à piéger personne, ou encore personne ne doit avoir le sentiment d’être piégé par personne. La confiance doit régner. S’il y a suspicion, s’il y a défiance, le travail d’équipe s’en trouve diminué et les failles permettent aussi bien aux élèves, aux assistants d’éducation ou autres personnels de s’en moquer, d’en jouer et si possible d’accentuer le fossé. Il faut donc se comporter en adultes responsables et faire preuve d’une constante vigilance. Toutes les propositions, toutes les initiatives, toutes les idées doivent être mises à l’épreuve de la discussion, des échanges, du compromis pour que personne ne se sente floué, manœuvré ou victime de complot. Mais il est vrai que ce n’est pas aisé de se soumettre à l’épreuve difficile du dialogue, du débat, de la confrontation, de l’altérité. C’est si facile de faire selon sa guise et de caresser dans le sens du poil, de plaire, de se sentir reconnu, d’être apprécié voire d’être aimé. Et c’est si difficile lorsque l’on est installé, confirmé de contenir son envie ou sa volonté irrépressible de ne pas jouer au grand frère, au tuteur. Certes, il faut conseiller, donner quelques informations, aider s’il le faut, mais le CPE déjà installé doit avoir à l’esprit que son collègue et lui travaillent à égalité, et qu’il n’est ni le grand frère, ni le tuteur (réflexions valables selon n’importe quelle configuration : 3, 4 ou 5 CPE, un ou plusieurs anciens, un ou plusieurs nouveaux)
LA NECESSAIRE COHERENCE DU FONCTIONNEMENT GLOBAL DE LA VIE SCOLAIRE
L’équipe et le service vie scolaire ne peuvent avoir comme chefs de service des CPE qui s’empoignent, qui se contredisent, qui se contestent, qui se disputent le leadership, ce n’est ni sain, ni efficace. De là provient l’absolue nécessité de se parler, de définir les enjeux et les conditions, de développer ensemble les outils pour mettre en place une démarche et une dynamique de travail. Encore une fois, chacun doit garder sa personnalité profonde, ses valeurs, mais le fonctionnement global doit absolument se reposer sur une vision commune et cohérente. Chacun se doit d’adapter pour son travail personnel les outils (les entretiens, son mode de management des élèves : on appelle soi-même les parents alors que l’autre CPE préfère que ce soit fait par les assistants, d’éducation, on tutoie les élèves alors que l’autre les vouvoie…,) mais comment imaginer que les procédures d’appel, la collecte des informations, la gestion de l’absentéisme, la lutte contre les retards, le système de suivi (fiche de suivi, contrat d’assiduité…) peuvent varier d’un CPE à un autre ? Inimaginable, sinon, le risque de scléroser ou d’éclater le fonctionnement du service, et donc de livrer l’équipe vie scolaire à la cacophonie deviendrait une réalité. Il faut donc parvenir à bien établir la différence entre l’accessoire et le profond, entre les points de détails qui peuvent varier, s’adapter et ce qui est fondamental. Ce n’est pas le cœur, les désirs personnels, l’égocentrisme, le sentiment de plaire, la démagogie qui doivent prévaloir mais la raison, le sens commun, l’intérêt général, le sens du service public, le travail d’équipe, la cohérence et la cohésion. Ces règles sont nécessaires pour faire face au vacillement, pour réduire les failles dans lesquelles s’engouffreront sans gêne élèves, assistants d’éducation ou autres personnels ou partenaires. Diriger à deux ou à plusieurs est quotidiennement un exploit mais il peut se réaliser aisément si chacun a le souci des autres, du groupe, de l’intérêt général, si chacun ne fait pas selon son bon plaisir.
QUELQUES PRINCIPES FONDAMENTAUX NON EXHAUSTIFS POUR DEVELOPPER LE TRAVAIL COMMUN ENTRE PLUSIEURS CPE
1) Se respecter, se tolérer, s’accepter, se faire confiance
2) Observer l’établissement et son fonctionnement lorsque l’on arrive sur un nouveau poste
3) Profiter de l’expérience des autres (confirmés et jeunes)
4) Prendre note des dysfonctionnements
5) Se mettre en accord sur les pratiques en cours pour être cohérent et faire preuve de solidarité
6) Ne pas hésiter à faire part de ses questions, de ses désirs, de sa volonté de modifier certaines pratiques, d’apporter des évolutions
7) Ne pas chercher à imposer ses vues, discuter et toujours discuter en tête à tête ou entre CPE.
8) Apprendre à faire taire ses impatiences pour rentrer en relation
9) Etre positif, constructif
10) On ne discute que dans le bureau en tenant à l’écart l’équipe vie scolaire ou les personnels même s’il faut les associer lors des réunions d’équipe élargies quotidiennes ou chroniques
11) Eviter des non dits, des implicites. Il faut formaliser les désaccords, laver son linge sale entre soi.
12) Ne pas rentrer dans les tactiques de déstabilisation, dans des propos qui tendent à décrédibiliser l’autre (ou les autres) avec l’équipe vie scolaire ou avec les autres personnels. Les alliances peuvent se révéler risquées ou dangereuses.
13) Eviter ce qui peut être interprété comme un accord implicite ou explicite ou qui met à nu les mésententes…)
14) Ne pas laisser seulement parler sa vision du métier mais tenter de comprendre pourquoi tel outil, telle pratique, telle organisation sont mis en place.
15) Echanger, discuter, trouver des terrains d’entente avec son ou ses collègues en mettant en place un temps obligatoire soit hebdomadaire soit quotidien. Mise en place d’un cahier de liaison CPE/CPE.
16) Ne pas abandonner ses valeurs, son éthique mais chercher à se comprendre
17) Réunion quotidienne de l’équipe vie scolaire/CPE pour un échange commun et des points de repères identiques