Le texte du projet de loi d’orientation présenté sur le site du ministère de l’éducation nationale fait apparaître, à coté de la loi elle-même, des annexes dont le contenu soulève de nombreuses questions. Ces annexes peuvent être considérées comme la traduction concrète des orientations de la loi. Certaines des mesures qu’elles contiennent sont déjà prises, d’autres sont des mesures en cours. La loi n’est pas encore votée par le Parlement que déjà certaines de ses applications sont décidées, déjà réalisées ou promises pour la rentrée 2005. Autrement dit, la méthode employée fait fi de la représentation nationale qui a pourtant son mot à dire sur une telle loi ! Cette façon de faire aura des conséquences importantes que nos responsables semblent négliger. L’école a avant tout besoin de légitimité. Or, la conquête de la légitimité passe par la possibilité de débattre.
Qu’a-t-on fait du rapport Thélot ? Qu’a-t-on fait de tous ceux qui l’ont précédé ? La lecture des propos officiels montre que les acteurs de terrain et leurs réalités quotidiennes sont ignorées ou même méprisées. A propos des TPE, le ministre déclare d’abord qu’ils sont conservés en seconde où ils n’ont jamais existé. A un journaliste qui lui fait observer quelques semaines plus tard que les enseignants sont nombreux à protester contre leur suppression, il fait remarquer avec ironie qu’ils étaient nombreux aussi à protester au moment de leur création. Voilà le mépris ! Un mépris que conforte le silence goguenard du journaliste. Il n’avait fallu que deux années scolaires aux professeurs des lycées pour s’approprier une innovation pédagogique importante et difficile à mettre en place. Cet élan a été cassé. Nous ne l’oublierons pas.
Si au moins les contenus de cette loi révélaient un véritable projet éducatif pour la société française du XXIe siècle, si on pouvait au moins y lire une intention, une direction, bref de quoi mobiliser la Nation. Mais la lecture de ce texte, toilettage de l’ancien, ne laisse aucun doute. Les annonces de suppression de postes d’enseignants à la rentrée montrent que les objectifs économiques priment sur le reste. Même l’enseignement privé sous contrat est attaqué. Quand on sait que les chèques emplois services servent surtout à financer les publicités de sociétés de cours privés à domicile dans les transports publics, alors que leurs employés sont parfois peu considérés, on se pose la question du sens.
Et pourtant les partisans de l’intégration des TIC à l’école ont de quoi se réjouir. Mise en cause par plusieurs courants de revendication, la place des TIC sort renforcée de cette loi. Là encore, la bonne volonté de ses initiateurs se trouve prise dans ce mélange d’annonce qui fait que la loi d’orientation est déjà mise en application avant même qu’elle ne soit votée. Pourquoi les TIC ont-elles bénéficié de ce traitement de faveur ? Il fallait sans doute équilibrer par un artifice moderniste la tendance réactionnaire qui a inspiré la loi. Allons donc pour les TIC.
Nos enfants ne pourront pas nous dire que nous leur avons caché ce qui est aujourd’hui considéré comme un des événements clés du passage du XXe au XXIe siècle : l’avènement de la société de l’information et de la communication fondé sur ces technologies. Mais comment allons-nous leur expliquer que les activités pédagogiques qui justifiaient le plus nettement l’usage de ces technologies ont été supprimées ? Pourquoi ne pas avoir supprimé les TIC avec les TPE ? Serait-ce parce que l’Etat ne finance pas les TIC alors qu’il finance les TPE ?
Nous ne retiendrons de cette loi que cet objectif mal dissimulé : réduire le coût de l’éducation pour l’Etat.
Bruno Devauchelle