L’idée de réunir une quinzaine d’ordinateurs dans une salle d’un établissement scolaire et d’en faire une salle informatique afin de permettre des usages collectifs, en demi-classe ou en classe entière, est aussi ancienne que l’informatique pédagogique. Elle est généralisée dans les collèges, les lycées et dans beaucoup d’écoles primaires lorsque la taille le permet.
Pourtant, le principe de la salle informatique a toujours été l’objet d’interrogations et de critiques. Dans les années 80, Jacques Hebenstreit observait que l’usage des calculettes en mathématiques ne se serait jamais diffusé s’il avait fallu, pour chaque opération, se rendre dans la « classe des calculettes » soigneusement fermée à clef… Plus récemment, Seymour Papert défendait la même idée à l’aide d’une parabole : « Je vous invite à imaginer un pays où il y aurait une haute civilisation de philosophie, de poésie, de théâtre, de sciences, mais où personne n’aurait jamais pensé à écrire. Alors, on invente le crayon et le papier. Rapidement, çà transforme le commerce, la science. Et un jour, quelqu’un a une idée : et pourquoi pas l’école aussi ? Mais ça déclenche un débat… Est-ce qu’il faut commencer par mettre un crayon dans chaque classe ? Ou peut-être trois crayons dans chaque classe ? Ou ne serait-il pas mieux d’avoir une salle spéciale où il y aurait des montagnes de crayons ?… ».
Dans les établissements des Landes ou des Bouches du Rhône où les collégiens ont été équipés d’ordinateurs portables, selon le voeu d’Hebenstreit et de Papert, les salles informatiques avec des postes fixes ont été conservées. Les nouveaux collèges et les nouveaux lycées que l’on construit partout cette année en France et ceux que l’on construira dans les prochaines années, sont tous dotés d’une salle informatique. S’il y a débat, c’est plutôt pour décider s’il faut en prévoir une deuxième, ou une troisième…
Pour y voir clair, il faudrait sans doute reprendre les choses à la racine : pourquoi y a-t-il des salles informatiques ? Les raisons qui viennent à l’esprit les premières sont des raisons pratiques. Les équipements partagés et concentrés sont moins coûteux que des équipements individuels et plus faciles à protéger. Mais, comme tous les équipements partagés, ils sont également plus difficiles à maintenir en bon état de marche. Sur le plan pédagogique, la salle informatique permet de faire travailler simultanément un groupe d’élèves, une demi-classe ou une classe entière. C’est son seul avantage. Car elle contraint aussi fortement l’usage : il faut s’y rendre pour conduire une activité soigneusement préparée à l’avance et suffisamment longue pour justifier le déplacement, il faut surveiller les élèves qui seraient tentés de s’éparpiller, prier enfin pour que tout se passe bien sur le plan technique. Or, l’intégration harmonieuse de l’outil informatique dans la pratique pédagogique réclame aussi de la souplesse et de la disponibilité. Un poste et l’accès au réseau devraient être disponibles à chaque fois que le besoin s’en fait sentir, même si ce n’est que pour quelques minutes. Les circonstances où il est indispensable que chaque élève de la classe dispose, sur une longue durée, d’un poste personnel ne sont pas les plus fréquents, sauf bien entendu lorsque l’informatique est l’objet même de l’apprentissage. Dans les écoles primaires par exemple, on observe que les machines en fond de classe donnent lieu à des usages pédagogiques plus pertinents et plus réguliers que ceux des salles informatiques.
L’heure n’est sans doute pas encore venue pour imaginer des écoles, des collèges et des lycées où les ordinateurs pédagogiques ne seraient plus concentrés dans quelques pôles (salle informatique, CDI, salles de technologie) comme ils le sont aujourd’hui, mais seraient distribués d’une façon plus diffuse et plus souple dans l’ensemble des espaces de travail de l’établissement et circuleraient entre les mains des usagers, élèves et enseignants. Les techniques de distribution de l’accès au réseau dans tout le bâtiment (câblage, Wifi, etc.) existent et se stabilisent. Reste la question du poste informatique. Les postes fixes, puissants et bon marché, résistent bien à la concurrence des ordinateurs portables, coûteux et dont l’autonomie est encore faible. Cela explique sans doute en partie la persistance des salles informatiques. Mais cette situation ne durera pas éternellement.
La contrainte de la salle informatique sera un jour levée. On posera alors aux pédagogues des questions comme celles-ci : souhaitez-vous vraiment conserver une salle informatique ? en voulez-vous plusieurs ? faut-il que toutes les salles de classe soient des salles informatiques ? ne vaudrait-il pas mieux s’assurer que tous les élèves soient équipés d’un ordinateur personnel portable ? avez-vous des idées nouvelles qui ne figurent pas dans cette liste ?…
La question ne se pose pas encore nous dira-t-on. C’est vrai. Mais il serait prudent d’y réfléchir sans trop tarder car, depuis quelques années, les TIC et leurs usages progressent plus vite qu’on ne l’imaginait.
Serge Pouts-Lajus