Sortie apparemment de nulle part le 2 juillet, la prime au mérite destinée aux personnels des réseaux Rep+ a pourtant une longue histoire. Libération a récemment rappelé qu’une éphémère prime des réseaux Eclair, crée en 2011, pouvait déjà être déclinée de façon variable par le chef d’établissement. Mais l’idée d’évaluer le mérite des enseignants pour décider de leur paye est plus ancienne encore rue de Grenelle. Dès 2009, JM Blanquer, directeur de l’enseignement scolaire, y travaille. Cette histoire est aussi celle d’un échec.
Une idée de Sarkozy
C’est Sarkozy qui lance dès 2007 l’idée d’une rémunération des enseignants basée sur les résultats des élèves. Révélée par Education & formations, une revue de la Depp, la lettre de mission de N Sarkozy à Xavier Darcos, en 2007, l’invite à mettre en place un dispositif en ce sens.
« Nous voulons que la rémunération des enseignants corresponde mieux à l’importance de leur rôle pour la nation… Nous souhaitons que le mérite soit reconnu, tant au niveau individuel que collectif. C’est possible tout en étant objectif », écrit N Sarkozy. « Nous souhaitons que vous mettiez en place un dispositif d’évaluation beaucoup plus conséquent de notre système éducatif. Celui-ci devra comprendre quatre volets : une évaluation systématique de tous les élèves tous les ans, afin de repérer immédiatement les élèves en difficulté et de pouvoir les aider ; une évaluation régulière des enseignants sur la base des progrès et des résultats de leurs élèves ».
Mise en place par JM Blanquer
En 2009 JM Blanquer arrive rue de Grenelle et devient le directeur de l’enseignement scolaire du ministre Chatel. C’est à lui que revient de mettre en place l’évaluation de fin d’année de Ce1. Ces évaluations sont élaborées par la Dgesco (division de l’enseignement scolaire), et non par la Depp (division des études du ministère). Elles seront obligatoires pour tous les élèves jusqu’à l’alternance politique de 2012. Facultatives en 2013 elles disparaissent en 2014.
JM Blanquer s’implique beaucoup dans la réalisation de cette commande élyséenne au point qu’on parlera « d’évaluations Blanquer ». Au point aussi de créer une prime spéciale de 400€ pour les enseignants qui les font passer, soit un cout d’une quarantaine de millions.
Dans ces évaluations on retrouve les deux objectifs de la lettre de mission de N Sarkozy. D’une part évaluer le niveau des élèves. D’autre part avoir une idée du mérite de l’enseignants à travers les résultats de ses élèves. Si l’évaluation avait été généralisée aux 4 niveaux , on aurait pu suivre les progrès des élèves et, en théorie, les lier à des enseignants précisément. Mais dans le discours public cet objectif n’apparait pas, ce qui n’empêche pas des enseignants de manifester des doutes. Le ministère ne parle que d’évaluation des élèves, comme le montre un entretien donné au Café pédagogique en 2009.
L’idée de publication des résultats école par école fait long feu. Mais le mélange d’évaluation bilan et diagnostic est dénoncé chez les enseignants. » Toutefois, subsiste chez les enseignants une défiance quant à la vraie nature de ces évaluations, présentées à la fois comme bilan et comme diagnostic, en insistant tantôt sur un aspect, tantôt sur l’autre, et pouvant servir à contrôler leur valeur professionnelle », explique Education & formations. « Cet usage possible de l’évaluation est ressenti comme d’autant plus injuste qu’il ne repose pas sur les progrès réalisés par les élèves, mais uniquement sur leur niveau à un instant donné, sans prendre en considération leur niveau scolaire à leur arrivée dans la classe ni leurs différences socioéconomiques ».
Un échec retentissant
Education & formations, revue de la Deep, signale aussi le rôle qu’a joué cette direction dans le sabordage de ces évaluations. » Une étude interne, réalisée par la DEPP… fait apparaître des distorsions dans les résultats selon que les écoles ont ou non été suivies par les inspecteurs du contrôle qualité, ainsi qu’en fonction des secteurs de scolarisation », raconte Education & formations. » On observe une surestimation des élèves par leurs enseignants, et ce de façon plus particulièrement marquée dans le secteur privé, en l’absence de contrôle des procédures de passation et de correction. Dès la deuxième année d’utilisation, les limites de l’exercice, en termes de comparabilité, sont atteintes : les résultats des élèves de CM2 affichent une forte baisse en mathématiques. Cette baisse est en fait due à la plus grande difficulté du protocole élaboré pour cette deuxième itération, mais elle est interprétée comme une perte de compétence moyenne des élèves de CM2″.
Une autre instance dénonce elle aussi le caractère non scientifique de ces évaluations. C’est le Haut Conseil de l’Education. Mis en place par la droite mais indépendant, le HCE parle sans équivoque. Sur les évaluations nationales de CE1, CM2 et 3ème, le HCE pointe des questions de méthode : ces évaluations confondent évaluation du système éducatif et évaluation de sa classe par le maître. En CM2 et 3ème, selon le HCE « la fiabilité des indicateurs n’est pas assurée. La manière dont elles sont renseignées n’est ni contrôlée ni harmonisée ». Tout féru de sciences , le directeur de la Dgesco tempête contre ces propos. Mais personne ne prend au sérieux ses évaluations.
Le retour en 2018
En 2011, le ministre Chatel demande à la Depp d’aider la Dgesco à améliorer ces évaluations. Quelques mois plus tard le nouveau gouvernement enterre les évaluations de Ce1 et Cm2. Ainsi disparait la première tentative d’évaluer les professeurs à travers les élèves.
Six ans plus tard, le directeur de l’enseignement scolaire est devenu ministre de l’éducation nationale. Le président de la République a promis des évaluations dans toutes les classes chaque année. Le ministre multiplie les évaluations pour la rentrée 2018. Seul changement. Le lien avec l’évaluation et la rémunération des enseignants n’est plus occulte. La prime au mérite des Rep+ sera versée en fonction des résultats des élèves annonce le ministre le 2 juillet. « la possibilité d’un adossement d’une partie de cette indemnité aux progrès des élèves et à l’accomplissement du projet d’école et d’établissement qui y contribue sera examinée ». Et le gouvernement dit qu’il veut généraliser la rémunération au mérite.
François Jarraud
Education & formations n°86-87
Dossier du Café pédagogique de 2009